Rétrospective 2022

Pierre Sopor 6 janvier 2023

Une année de plus qui s'achève, c'est surtout une année de moins avant la mort. Libéré de ce poids qui quitte nos épaules courbées, c'est donc l'esprit plus léger que nos chroniqueurs jettent un traditionnel regard en arrière pour vous livrer nos souvenirs musicaux sur l'année écoulée.

Après deux ans de paralysie, 2022 devait marquer une espèce de retour à la "normale". Une promesse de reprise de concerts qui s'accompagnait donc aussi de sorties parfois retenues par des groupes qui attendaient de pouvoir tourner. Finalement, la reprise a été mi-figue, mi-raisin : des conditions différentes d'un pays à l'autre empêchant de prévoir sereinement une tournée, un public pas toujours présents pour diverses raisons (lassitude après trop de reports ? Angoisse de retrouver la foule ?)... Résultat : encore beaucoup de dates annulées ou repoussées ou des concerts qui peinent à remplir des salles qui ont sacrément morflé. Si à Paris, "ça va", il y a souvent assez de monde, c'est loin d'être le cas partout. A l'heure où frimer sur les réseaux sociaux en disant que tout a été formidable et extraordinaire histoire de paraître sous son meilleur jour est la norme, plusieurs artistes ont néanmoins tiré la sonnette d'alarme : tourner est de plus en plus risqué et difficile. Si on veut continuer à pouvoir voir des artistes indépendants, il est urgent d'aller les soutenir sur scène et de ne pas se déplacer uniquement pour les énormes événements.

 

Pierre Sopor :

Personnellement, comme régulièrement ces derniers temps, je retiens de 2022 des déceptions inattendues. TOOL à Bercy ? Gâché par le son catastrophique de l'Accor Arena (trop de basses, la batterie du génial Danny Carey en devenait insupportable), le concert m'a fait l'impression d'un long étalage de moyens où l'odeur du business prend hélas le pas sur l'artistique (les prix aberrants du merch, un show lumière clinquant mais pas convaincant qui utilisait trop rarement la largeur de la scène, limitant l'ampleur du spectacle). NINE INCH NAILS au Hellfest ? Très bien. Comme d'hab. Pro, carré, puissant. La routine, quoi. DEAD CAN DANCE au Rex ? Entre la salle surchauffée, les sièges minuscules, la horde de boomers qui filment le concert sur un smartphone pourri et le lourdingue qui braille "happy birthday Lisa !" entre chaque titre (jusqu'à ce que Brendan Perry le recadre d'un "en fait, c'était hier"), impossible d'apprécier. Si on m'avait dit que je ressortirais relativement indifférent de concerts de TOOL et NIN et qu'en plus Rob Zombie et Tim Burton sortiraient respectivement un nanar embarrassant et une série moisie en s'inspirant dans des objets cultes des 60's... Quand le charme des icônes d'hier n'opère plus, cela veut-il dire que la crise d'adolescence prend fin? Ou commence-t-elle seulement ?

En revanche, il y a eu des petits "événements" qui rendent un concert unique et mémorable. DOOL à Paris, dans une salle à moitié vide, qui offre un truc authentique, viscéral et communicatif d'une puissance unique (on en tremble encore). Les russes d'IC3PEAK, harcelé par les autorités de leur pays, qui font vibrer l'Elysée Montmartre comme rarement lors d'une tournée dont une partie des bénéfices va directement soutenir l'Ukraine. Les Ukrainiens de JINJER au Hellfest, en pleine invasion de leur pays, devant des milliers de personnes venus leur témoigner un soutien symbolique... Ou des occasions rares, voire exceptionnelles, quand des artistes s'associent sur scène pour mélanger leurs univers, comme l'ont fait HANGMAN'S CHAIR et REGARDE LES HOMMES TOMBER ou CONVERGE avec CHELSEA WOLFE et Stephen Brodsky de CAVE IN. Et la surprise MINISTRY, souvent décevant, vu mille fois, et qui a sorti un show mémorable au Hellfest, sous des trombes d'eau, grâce à Al Jourgensen déchaîné, venu se faire pardonner pour toutes les autres fois.

Côté albums, en retenir 10 est évidemment une torture, tant j'aurais pu en mentionner le triple (non, pas Zeit, pourtant ce que RAMMSTEIN a fait de plus intéressant en vingt ans). Mais il en faut 10, alors on tranche comme on peut en cette année particulièrement riche en sorties de qualité.

Top 10 disques :

01. GGGOLDDD - This Shame Should Not Be Mine
02. BRUTUS - Unison Life
03. ABSENT IN BODY - Plague God
04. FRAGILE FIGURES - Anemoia
05. A.A. WILLIAMS - As the Moon Rests
06. ZEAL & ARDOR - Zeal & Ardor
07. HANGMAN'S CHAIR - A Loner
08. DROWND - [AN]AESTHETIC
09. SØLVE - Earth Inferno
10. LILI REFRAIN - Mana

Top 10 concerts :

01. DOOL @ Petit Bain
02. IC3PEAK @ Elysée Montmartre
03. REGARDE LES HOMMES TOMBER X HANGMAN'S CHAIR @ Hellfest
04. CONVERGE : BLOODMOON @ Hellfest
05. AMENRA @ Elysée Montmartre 
06. MINISTRY @ Hellfest
07. SHAÂRGHOT @ Trabendo
08. GGGOLDDD @ Elysée Montmartre
09. PERTURBATOR @ L'Olympia
10. FRAGILE FIGURES @ Petit Bain 

Tanz Mitth'Laibach :

2022 n'aura pas été une grande année musicale pour moi, absorbé par d'autres occupations et un temps immobilisé par une fracture -j'en ai en revanche profité pour réaliser un vieux projet, cette présentation synthétique de l'écrivain fantastique Joseph Sheridan Le Fanu. Il y a en outre eu fort peu de concerts pour les musiques sombres à Lyon -la proximité de Paris compense, mais avec un certain coût ! Il y a cependant eu des choses passionnantes cette année. 

Il y en a eu une en particulier que j'attendais depuis longtemps : le retour sur scène de CORPUS DELICTI. Je les ai tellement aimés, ces albums, moi qui n'ai pas pu connaître la scène gothique française des années 90 ! Alors, lorsqu'ils se sont reformés à la fin 2019 avec l'intention de donner des concerts, comme tout le monde, mon cœur a fait un bond : las, la pandémie et le confinement les ont pris de vitesse. En 2022, c'est enfin chose faite : le groupe a pu repartir en tournée et a en particulier donné un concert formidable avec LES TÉTINES NOIRES à Cannes auquel j'étais, les mises en scène extravagantes et la brutalité de l'un faisant contrepoids au lyrisme sombre et à la sobriété de l'autre, puis j'ai pu les revoir à Paris en compagnie de JE T'AIME (live report). Beaux souvenirs !

Au niveau des sorties de disques, j'ai été particulièrement marqué par le Disharmonium — Undreamable Abysses de BLUT AUS NORD : aimant à la fois le black metal psychédélique du groupe et l'univers de Lovecraft, cette plongée vertigineuse m'a procuré le frisson devant l'innommable que j'espérais. Wir Sind Das Volk de LAIBACH m'a fasciné d'une autre façon : bande-originale d'une pièce de théâtre, l'album présente des morceaux délicieusement angoissants, mais c'est davantage encore leur articulation avec les textes d'Heiner Müller qui m'a captivé. J'ai aussi été très agréablement surpris par l'album Zeit de RAMMSTEIN, qui ne s'annonçait pourtant pas sous les meilleurs auspices : avec un univers plus abouti que le fameux "Albumette" et une tonalité douce-amère qui sied très bien aux Teutons vieillissants, c'est leur meilleur disque depuis longtemps. Toujours au chapitre des bonnes surprises, je retiens en dark electro les albums de SUICIDE COMMANDO et PSYCLON NINE, à qui leurs nouvelles orientations lugubres vont très bien au teint. Il est vrai qu'il y a eu du moins bon : comme il fallait s'y attendre, le deuxième album de THE HU était loin en-dessous du précédent (chronique). Je finis par quelque chose qui me fait particulièrement plaisir : au chapitre des groupes gothiques français des années 90 de retour, DEAD SOULS RISING nous a fourni un nouvel album goth-rock envoûtant, plus sombre que le précédent. Mais allons-y pour un nouveau classement dont le seul critère commun sera l'effet produit sur l'auteur de ces lignes !

Top 10 disques :

01. BLUT AUS NORD - Disharmonium — Undreamable Abysses (Black Metal psychédélique, France)
02. LAIBACH - Wir Sind Das Volk (Néoclassique industriel, Slovénie)
03. SIGH - Shiki (Black Metal, Japon)
04. BRUTUS - Unison Life (Post-Hardcore, Belgique)
05. SUICIDE COMMANDO - Goddestruktor (Dark Electro, Belgique)
06. AND ALSO THE TREES - The Bone Carver (Coldwave, Royaume-Uni)
07. RAMMSTEIN - Zeit (Electro-Metal, Allemagne) 
08. DEAD SOULS RISING - Miroir Illusions (Goth-Rock, France)
09. PSYCLON NINE - Less To Heaven (Dark Electro, États-Unis)
10. RETROSECT - À l'envi (Synthpop, France)

Julien

Top 5 disques :
01. CARPENTER BRUT - Leather Terror
02. ANTIMATTER - A Profusion of Thought
03. RAMMSTEIN - Zeit
04. DROWND - [AN]AESTHETIC
05. WHITE RITUAL - In & Out