Lost in Kiev + Fragile Figures + Giirls @ Petit Bain - Paris (75) - 23 novembre 2022

Live Report | Lost in Kiev + Fragile Figures + Giirls @ Petit Bain - Paris (75) - 23 novembre 2022

Pierre Sopor 24 novembre 2022 Pierre Sopor

Il y a un mois, le groupe de post-rock cinématographique LOST IN KIEV était de retour avec Rupture, un très bel album dont nous vous parlions par ici. Il était temps pour le quatuor, qui revient de plusieurs dates avec THE OCEAN, de célébrer ça sur scène le temps d'une release-party en bonne et due forme organisée par Voulez-Vous Danser. Ils étaient accompagnés de FRAGILE FIGURES, le duo venant également de sortir un magnifique disque (chronique) et de GIIRLS.

GIIRLS

Annoncé quelques jours seulement avant le concert, GIIRLS prend place sur scène. Un féminin et un pluriel trompeur pour le projet du seul Brice Delourmel (guitariste chez la formation cold wave DEAD) qui débarque en toute simplicité. Pas d'artifice, pas de planque, un sobre "bonsoir" est lâché discrètement avant d'attaquer un set d'une demi heure. Un projet de synthwave en début de soirée ? Pourquoi pas après tout : les groupes suivants assument pleinement leur goût pour les synthétiseurs. Boucles hypnotiques et mélodies retro : on connaît la recette propre au genre, que GIIRLS ne révolutionne pas mais à laquelle Delourmel ajoute son goût pour la froideur et le doux amer. On apprécie tout particulièrement les passages les plus lourds et sombres, quand tout l'attirail dansant bigarré laisse sa place aux atmosphères cyberpunk agressives et plombantes. On note que le set est uniquement instrumental, ne laissant aucune place aux rares incursions vocales que comportait son premier (et pour l'instant unique) album, Far Reality, sorti en 2020. Pour réchauffer le public et lancer la soirée, c'était très bien.

FRAGILE FIGURES

De la pénombre, un écran qui projette des images poétiques et mystérieuses : le dispositif permet aux deux musiciens de FRAGILE FIGURES de s'effacer quelque peu pour laisser leur univers occuper l'espace, et, ainsi, retranscrire la dimension irréelle de leur musique en studio. On connaissait déjà les très belles pochettes du groupe, on comprend désormais d'autant plus l'importance d'un visuel fait d'images fortes qui complètent parfaitement la musique. Si le choix d'une boite à rythme est parfois frustrant, il est ici entièrement justifié : sa rythmique implacable impose une froideur et une tension angoissée à des compositions hantées par la mélancolie et un potentiel dramatique fort. On peut s'amuser à deviner ici ou là quelques références cinématographiques (on ne prend sûrement pas trop de risque à supposer que le duo aime les films de Dario Argento et The Machinist), on pense à un croisement nerveux entre JOY DIVISION, EZ3KIEL et Charlie Clouser. C'est évocateur, sombre, anxiogène et souvent sublime. Le temps d'un concert, la péniche de Petit Bain se transforme alors en vaisseau fantôme brumeux qui s'amuse à perdre son public dans les ténèbres et les méandres de ce petit monde aussi poignant et fascinant. Malgré une musique introspective et "intérieure", le bassiste Julien Judd prend le temps de communiquer avec le public, notamment pour remercier copieusement environ chaque personne présente et impliquée dans cet événement : c'est aussi ça, la classe.

LOST IN KIEV

Après les spectres de FRAGILE FIGURES, l'arrivée de LOST IN KIEV réchauffe l'atmosphère. Si la mélancolie est toujours de mise, elle est diluée par les sourires des musiciens, les quelques interventions du guitariste / claviériste Maxime Ingrand et les couleurs chaudes des lumières. Le groupe attaque sa release-party avec des titres plus anciens, histoire de brouiller les pistes. On apprécie l'apport des nappes de synthés et l'électronique de plus en plus présente dans les travaux du groupe, mais aussi la lourdeur dans laquelle plonge régulièrement la musique pour apporter une bonne dose de viscéralité à des compositions où le cérébral et l'émotion cohabitent subtilement. La musique de LOST IN KIEV y gagne un relief qui maintient l'attention du public, dont l'oreille est perpétuellement stimulée par un effet, une variation, une nuance, un passage de l'ombre à la lumière. On note également que, si l'écran est toujours utilisée ponctuellement, les musiciens s'affranchissent aussi régulièrement de l'aspect visuel et cinématographique auquel ils sont associés, comme pour recentrer l'attention du public sur l'échange direct, la communication entre les artistes et leur audience. Résultat : quand ils font mine de quitter la scène pour entretenir un faux suspense avant le rappel, on se surprend à demander "déjà ?". Le temps d'une soirée, nos repères temporels ont été bousculés par des artistes capables de jouer avec notre perception du réel et nous faire oublier le temps de leurs sets respectifs les trivialités concrètes du quotidien pour nous offrir un espace poétique riches et tumultueux.