"Partir un jour, sans retour", chantaient les troubadours de jadis et c'est vrai que de la mort, point de retour n'est envisageable. Le Point de non-retour, le dernier album de Point Mort, multiplie les bon point dès son artwork expressionniste, ce rouge qui claque comme un hurlement à la Munch. Des corps tourmentés, un visage apaisé, un autre en souffrance... la formation post-hardcore (pour faire simple avec les étiquettes) continue son bout de chemin et pose comme un avertissement visuel. Ce sera mouvementé, viscérale et totalement imprévisible.
D'ailleurs, l'entrée en matière ॐ Ajar aux sonorités electro / indus et avec ces cris lointain qui hantent de lointains échos, est assez inédite pour Point Mort. Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour être surpris et constater, encore une fois, l'appétit du groupe pour les mélanges, les expériences, les ruptures de ton, le décloisonnement... Une énergie créative qui nous explose en pleine face avec An Ungrateful Wreck of Our Ghost Bodies : on pense à l'agression écorchée et impossible à contenir de Converge et au sens du théâtre venu des tripes de Julie Christmas alors que, pendant plus de dix minutes, Point Mort nous trimballe dans tous les sens avec un talent pour la ligne de chant fédératrice dans un registre qui, surprise, rappellerait parfois presque Guano Apes !
Saluons alors le travail de compositions car à aucun moment Point Mort ne devient routinier ou ennuyeux mais, surtout, n'est jamais pompeux. Il y a une intensité de tous les instants, un truc sauvage et brut qui peut, en un battement d'aile de papillon, passer de la fureur infernale à une introspection entre post-rock, prog, trip-hop et même quelques touches pop. Les reliefs sont vertigineux et, sur la durée, les morceaux prennent alors une allure narrative épique que l'on suit, suspendu à ces structures tortueuses comme on s'accroche à un bon bouquin ou au wagonnet d'une montagne russe. On savoure l'instant mais on attend déjà avec impatience de voir où tout cela va nous mener, avec excitation mais aussi prêt à encaisser les coups les plus vicieux.
Au chant, Sam incarne toutes les voix qui jaillissent dans Le point de non-retour et assume un rôle de chanteuse-comédienne-medium : est-elle plusieurs personnes, ou plusieurs facettes d'un être morcelés en d'innombrables éclats tranchants ? Terrifiante, intimidante, bouleversante, elle incante, rugit, minaude, brasse ombre et lumière, espoir et rage. L'implication est totale, l'interprétation habitée. Voix claire, growls abyssaux, cris venus des tripes, paroles rappées : ces longs titres lui offrent le terrain de jeu idéal pour libérer toutes ces voix qui bouillonnent. Plus qu'une hydre polycéphale, voyons-y tout simplement l'expression de l'existence humaine dans toutes ces nuances, ces contradictions, ces surprises, entre douleurs vives, explosions rageuses et onirisme poétique.
Alors que la cathartique Der au climat de révolte galvanisant s'achève brutalement, assumant jusqu'à la dernière seconde la radicalité des choix de Point Mort et son refus du prévisible, on est un peu sonnés. Effectivement, après ça, aucun retour en arrière ne saurait s'envisager, et tant mieux. Le point de non-retour est un ensemble possédé, une œuvre collective où personne ne triche. Si l'on peut voir de la générosité dans la durée des morceaux qui dépasse régulièrement les six minutes, c'est surtout dans la dédication absolue des personnes impliquées qu'elle se trouve : chaque riff, chaque cri, chaque virage à 666 degrés suinte l'authenticité. Pas de retenue, pas de fausse pudeur : Point Mort donne tout mais le fait avec un profond respect de son auditeur qui se traduit par l'envie de nous proposer quelque chose de riche, d'inattendu, d'unique. En mouvement perpétuel, entre chaos et grâce, Point Mort n'a jamais si mal porté son nom (sauf si c'est pour dire qu'en effet, ils ne sont point morts du tout !) et c'est tant mieux. C'est à la fois rafraichissant, flatteur et, surtout, une grosse claque qui remet les idées en place.
