Hellfest 2022 - Partie 2 - Jour 4 @ Clisson (26 juin 2022)

Hellfest 2022 - Partie 2 - Jour 4 @ Clisson (26 juin 2022)

Pierre Sopor 15 juillet 2022 Pierre Sopor & Erick Wïhr Pierre Sopor

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Hellfest, jour... On ne sait plus, peu importe, le temps et l'espace ont fini par fusionner en un amalgame routinier fait de bruit, de foule, de chaleur, de saucisses englouties au pas de course entre deux scènes (et de quête désespérée de trucs sains à avaler), de costumes absurdes et de fatigue. On sait juste que ce soir, c'est fini. "L'édition du siècle" touche à sa fin.

Pour essayer de démarrer la journée sur un rythme tranquille, on rend visite à NYTT LAND. Le duo de chamanes sibériens séduit avec son rituel inspiré par les steppes, on en apprécie particulièrement le chant de gorge et ses incantations mystiques. Mais là, comme ça, en plein jour et sur une scène aussi immense, on a du mal à réellement entrer dans l'univers assez sombre du duo. Peut-être qu'il est trop tôt et qu'on a besoin d'être un peu plus secoués que ça pour vraiment attaquer la journée.

Direction les MainStages alors... Devant lesquelles stagne déjà un monde conséquent. On comprend pourquoi : METALLICA joue le soir et a attiré une horde de curieux venus uniquement pour les quatre stars. Résultat : ça campe devant. Tant pis pour la fluidité du festival, tant pis pour ceux qui veulent voir les groupes jouant dans la journée dans de bonnes conditions... mais tant mieux pour ces groupes, qui profitent d'un public plus conséquent qu'en temps normal. Notamment les tout jeunes ALIEN WEAPONRY et leur metal maori, entre thrash et groove tribal. Ils sont chouettes, ont un potentiel énorme et déjà deux albums au compteur : c'est accrocheur, agressif, mélodique. Sur scène, les grimaces et tatouages hérités de leur culture et le petit haka en introduction font leur effet. A seulement trois musiciens, la scène paraissait cependant encore un peu vaste.

Drôle d'ambiance sous la Temple Stage, où SVART CROWN joue. La formation a annoncé deux jours plus tôt que ce serait son dernier concert, son charismatique chanteur Jean-Baptiste Le Bail, également occupé par IGORRR, aurait "perdu le feu sacré". Le nouvel EP du groupe de black metal est donc destiné à ne connaître qu'une très brève existence en live et le concert prend une tonalité douce-amère où se mêlent l'envie d'en profiter mais aussi la tristesse de la séparation. SVART CROWN c'est fini, mais dans ses derniers instants, SVART CROWN avait une classe folle, c'était fort, c'était sombre, c'est fini.

Pour la rencontre entre REGARDE LES HOMMES TOMBER et HANGMAN'S CHAIR, la scène ne risque pas de sembler trop vaste, les deux groupes proposant un set commun. Neuf musiciens occupent l'espace, les chanteurs sont dans les coins, loin de l'autre comme pour accentuer leurs différences mais aussi la façon dont ils se répondent et les deux batteurs dominent l'ensemble. La configuration paraît insolite et le mélange entre le black / sludge des uns et les angoisses stoner / cold wave des autres intrigue. C'est pourtant un véritable miracle qui se produit sur scène alors que les morceaux des deux groupes sont réimaginés et refaçonnés par leurs univers respectifs : ils en ressortent sublimés, les uns gagnant une agressivité et les autres une forme d'élévation mélancolique. C'est profondément triste et magnifique, glorieux et déprimant. Plus tôt pendant le festival, les deux groupes avaient déjà donné de très beaux concerts chacun de leur côté mais leur rencontre décuple la puissance de leur mélancolie et on en ressort pulvérisés, écrasés par notre propre insignifiance. Encore !

Après un tel rouleau compresseur émotionnel, MIDNIGHT est un doux pansement que l'on applique sur nos plaies avec soulagement... mais un pansement déjà usé et bien infecté tout de même. Le mélange de punk et de black metal du trio évoque VENOM dans son approche très rock'n'roll et mordante vaguement désuète et pourtant si jouissive. Les curseurs sont poussés à fond, jusqu'au goût douteux du costume des musiciens, ça groove à mort, les paroles sont totalement over the top, l'énergie contagieuse et on a compris en moins de cinq minutes tout ce qui fait l'essence de MIDNIGHT. Voilà, ça c'est rigolo, ça c'est une fiesta méchante et débile !

"Y'a du monde, dis-donc, y'a quoi sur les MainStages ?". Aucune idée, on ne peut plus y accéder. Les gens s'en foutent un peu de qui joue, ils font les poireaux en attendant METALLICA. Libre à chacun de profiter comme il veut, hein, nous on va voir un petit peu CULT OF FIRE. On y va parce que le black metal mystique inspiré par l'hindouisme du quatuor tchèque mérite le coup d'oreille, mais surtout parce que le décor est digne d'un parc d'attraction. Fauteuils serpents, immense autel : c'est très beau, très kitch aussi. On va voir CULT OF FIRE seulement "un peu" parce que, malgré un visuel tape à l’œil, leurs pérégrinations spirituelles fonctionnent finalement mieux en studio, là où aucun soucis technique ni aucun "hey Serge, tu veux une bière ?" ne vient briser l'immersion. Et puis, c'est quand même très statique : un rideau tombe sur les musiciens déjà en place en début de set, le même rideau vient les cacher à la fin. Entre temps, ils n'ont pas bougé d'un centimètre.

Y'en a un autre qui ne bouge pas d'un centimètre, c'est le chanteur de THOU, Bryan Funck (qui semble avoir perdu vingt ans sans sa barbe). On dirait que quelqu'un l'a posé là, devant son pied de micro, et qu'il faudra venir le chercher à la fin du concert. Prostré dans une inconfortable position courbée, planqué sous un combo capuche / casquette, il alterne entre deux expressions faciales : le vide absolu du néant et le vide absolu de néant énervé. Drôle d'effet. Le reste du line-up apparaît (vaguement) plus souriant mais sans fioriture vestimentaire non plus. Le groupe de doom / black / sludge s'en fout un peu du décor, ce qui compte c'est de nous enfoncer dans son univers marécageux étouffant. La musique est riche, ça ne rigole pas du tout, mais ça gagnerait à être vu dans une salle plus petite, où l'expression figée de Funck inquiéterait tout de suite beaucoup plus.

On reste dans les environs de la Valley pour voir EYEHATEGOD. Ils ont retourné la rue Jean-Pierre Timbaud en juin 2018 en pleine "défaite de la musique" devant le regretté UFO et on attend de voir si ça sera le même bazar à Clisson. Hélas, malgré le charisme bourru du guitariste Jimmy Bower qui, évidemment, fait la gueule et malgré l'énergie qu'y met Mike Williams au chant (ses récentes expériences capillaires le rapprochent d'un improbable mélange de Nicolas Sirkis, Orelsan et Michel Houellebecq), on n'entre pas dedans. Peut-être que l'épuisement dû à ce festival à rallonge (et à THOU quelques instants plus tôt) commence à nous rendre moins réceptifs, on se lasse plus facilement... Toujours est-il qu'on n'en garde pas un souvenir impérissable.

Pour se réveiller un peu, il y a l'Altar et NAPALM DEATH. Le set est archi énervé, on s'en mange plein la tronche, Mark "Barney" Greenway court partout en secouant la tête comme s'il avait léché une prise électrique juste avant pendant que Shane Embury et John Cooke font un concours de qui porte la chemise la plus moche. Désolé pour les rires nerveux, c'est la fatigue, mais y'a pas à dire : NAPALM DEATH n'a pas besoin de blagues vaseuses ou de costumes débiles pour être le concert le plus rigolo du festival.

On ne verra pas MERCYFUL FATE, pas trop notre truc et trop de monde. Notre courageuse délégation se divise alors en deux équipes : une équipe (la plus courageuse) va voir SABATON pour s'assurer que le show est toujours aussi grandiloquent et généreux que d'habitude... C'est le cas. On trinque sur scène, la bonne humeur est de mise, on évoque avec émotion le concert donné en remplacement de MANOWAR à la dernière minute en 2019 et y'a même un tank sur scène. Il faut au moins ça pour supporter ce bazar power-metal en treillis que l'on veut bien tolérer uniquement parce qu'ils y mettent une bonne humeur rare. Les fans peuvent se sentir frustré par la place que prend le show, empiétant parfois sur la musique lors de longs interludes... Nous ça nous va très bien, on avait trouvé ça très chouette il y a trois ans quand leur chanteur, le très sympathique Joakim Brodén, avait une extinction de voix : ce n'est peut-être pas une coïncidence. Notre deuxième équipe, pendant ce temps, se promène un peu au gré du vent et regarde des gens faire joujou avec du feu. C'est bien aussi.

Et METALLICA, dans tout ça ? Bon, eh bien METALLICA, c'était METALLICA, et ils étaient très en forme. Gros spectacle carré en forme de best-of avec un show lumières impressionnant, de la pyrotechnique, un petit feu d'artifice derrière la scène et des médiators neufs distribués par poignées en fin de set (Kirk Hammett a conscience de l'absurdité de la chose, mais ça l'amuse visiblement). On se doute qu'ils ont dû apporter une partie du matériel, justifiant peut-être la construction de leur immense loge spéciale, car les moyens étaient nettement supérieurs à ce que l'on voit d'habitude, même au Hellfest. Ils ont envoyé du lourd et l'ont fait avec un cœur que l'on n'attendait pas forcément, en témoignent les quelques mots en français qu'ils essayent de prononcer à tour de rôle en fin de show, les plaisanteries (notamment sur Saint Anger, mais vaut mieux en rire) et l'insistance avec laquelle ils répètent qu'ils sont heureux d'être ici. Tu m'étonnes. S'ils reviennent un jour, en revanche, faudra pousser les murs : c'était blindé jusqu'à l'Altar, notamment par de nombreux touristes venus du monde entier et cette marée humaine empêchait absolument tout déplacement.

Mais nous, on décide quand même de finir dans le froid, les ténèbres et la lourdeur avec TRIPTYKON. Tom Gabriel Warrior nous faisait déjà le coup de show nocturne la dernière fois avec HELLHAMMER, mais on na va pas se mentir : on le préfère ici, avec son dernier groupe en date. Le noir héritage de CELTIC FROST est vivant, là, quelque part dans l'ombre de cette conclusion à laquelle peu de gens témoignent. C'est lourd, rugueux, hanté et les lamentations sinistres de Tom Warrior nous glacent le sang. Finalement, ce contexte de fin de festival face à une foule clairsemée, était idéal : alors que METALLICA en était le feu d'artifice final, on avait l'impression de faire partie des privilégiés qui ont vécu la vraie agonie de cette formidable édition 2022 que l'on peut donc abandonner avec un goût sépulcral en bouche.

Voilà. Sept jours de festival (malin, le Hellfest a capitalisé sur les dimensions de l'événement en commercialisant un énième t-shirt collector pour les "survivants" du dernier jour), des découvertes, des loupés, des surprises, des déceptions, du grand spectacle, des moments absurdes (de la torche enflammée balancée par WATAIN sur la foule à NITZER EBB sans son "vrai" chanteur), des moments exceptionnels, du monde... En chemin, on échange un peu nos impressions. Le traditionnel "y'a quoi demain ?" est remplacé par "y'avait quoi hier ? Je ne me souviens plus - Moi non plus, des trucs, trop de trucs, je les confonds tous et j'en ai oublié la moitié. - Comment on va faire pour écrire les reports ? - T'inquiète, on fera comme tout le monde : on prendra l'air super pro et on baragouinera n'importe quoi. Si y'a pas trop de fautes d'orthographe, ça passera. Faudra vérifier sur google le nom du chanteur d'ALICE COOPER quand même pour pas se gourer". Pas de noms annoncés pour l'an prochain même si les rumeurs courent déjà dans tous les sens, cherchant dans telle reformation ou tel choix de musique pendant le feu d'artifice final un indice... Ce qui est sûr, c'est que le festival retrouvera sa formule normal sur trois jours.

Comme d'habitude, on se dit qu'on est désormais trop vieux, que c'est trop et que "plus jamais". On va enfin pouvoir penser à autre chose, faire autre chose, parler d'autre chose. Vivement l'année prochaine !

Top 3 de la journée (Pierre) : REGARDE LES HOMMES TOMBER VS HAGMAN'S CHAIR, TRIPTYKON, SVART CROWN

Top 3 de la journée (Erick) : METALLICA, MIDNIGHT, SABATON

Retrouvez nos compte-rendus des autres journées du festival :

-Hellfest 2022 - Partie 1 - Jour 1
-Hellfest 2022 - Partie 1 - Jour 2
-Hellfest 2022 - Partie 1 - Jour 3
-Hellfest 2022 - Partie 2 - Jour 1
-Hellfest 2022 - Partie 2 - Jour 2
-Hellfest 2022 - Partie 2 - Jour 3

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