IC3PEAK + Zavet @ Elysée Montmartre - Paris (75) - 21 mai 2022

Live Report | IC3PEAK + Zavet @ Elysée Montmartre - Paris (75) - 21 mai 2022

Pierre Sopor 23 mai 2022 Pierre Sopor

Le duo moscovite IC3PEAK posait ses valises à Paris pour une soirée spéciale à plus d'un titre qui nous semblait immanquable. Le concert, organisé par Fabristi et Base Productions, avait été reporté à plusieurs reprises, changeant de lieu (de la Maroquinerie on passe à l'Elysée Montmartre) et la venue des Russes, connus pour leurs problèmes avec les autorités de leur pays qui voient d'un mauvais œil leurs "provocations et contestations", faisait figure d'événement tout particulier en pleine guerre entre leur pays et l'Ukraine. Artistiquement, IC3PEAK vient de sortir l'album Kiss of Death aux sonorités plus metal que d'habitude mais avant de le découvrir en live, ZAVET venait chauffer la salle, déjà bien remplie.

ZAVET

ZAVET se pointe sur scène le visage recouvert par une cagoule, accompagné d'une collègue derrière un synthé. Le rappeur russe aime les univers sombres et glauques, comme on peut le découvrir avec ses clips (ne cherchez pas sa page Facebook : comme beaucoup de jeunots, il traine plutôt sur Instagram), et les nappes oppressantes.

Héritier de la vague horrorcore, il est facile de voir en lui un descendant slave de GHOSTEMANE (avant son virage assumé vers l'indus), en moins bruitiste (même si son premier album, Kaidan, n'est pas avare en étrangetés noise) . En live, son énergie suffit à remporter l'adhésion du public qui lui réserve un bel accueil. En une petite demi-heure, nous, on a surtout aimé les moments les plus énervés quand, prostré, il hurle comme un possédé. Malgré les postures de gros durs super d4rk et quelques longueurs, ZAVET est attachant : entre sa jeunesse et son enthousiasme manifeste, le p'tit gars est finalement mignon et touchant et, surtout, arrive à tenir la scène en attendant la tête d'affiche.

IC3PEAK

On l'a senti pendant ZAVET : le public est bouillant. Normal, après tout : c'est complet ce soir et, en général, quand on paye pour voir un groupe c'est qu'on les aime bien. Mais il y avait vraiment dans l'air quelque chose de particulier, une tension, une envie de soutenir les artistes qui sont venus jusqu'ici (pourront-ils rentrer chez eux après la tournée, dont la moitié des bénéfices sont reversés à l'Ukraine ?), un truc prêt à exploser. Le show d'IC3PEAK commence dix bonnes minutes avant le vrai début du concert, quand la salle est plongée dans le noir et qu'une nappe électronique bourdonnante plante l'atmosphère. Seuls six écrans installés en fond de scène brisent les ténèbres et, peu à peu, la nappe mute en un sanglot angoissé qui éclate, annonçant l'arrivée des deux musiciens. Ambiance.

Au-delà de la musique, IC3PEAK est aussi un projet visuel. Anastasia Kreslina et Nickolay Kostilev se chargent également de leurs artworks, de leurs clips... Et sûrement aussi de leur scénographie. Ils jouent dans la pénombre, des GoPros installées sur les micros et instruments projettent leurs visages sur les écrans derrière eux et les lumières se limitent à un noir et blanc qui met en valeur leur maquillage. Seules quelques touches de rouge viennent briser ce tableau monochrome, glauque et futuriste. Le rendu est particulièrement réussi, sombre et étouffant (Мертвая Луна / Mërtvaja Luna en intro, grand moment irrespirable, le rendu de Смерти Больше Нет (Smerti bolʹše net) ou Плак-Плак (Plak-plak), à la fois sinistre et mélancolique, est incroyable). Dans son coin, Kostilev n'exprime pas la moindre émotion, aucun sourire, rien. Inquiétant clown triste monolithique et muet, il passe des percussions aux synthés ou à la guitare selon les besoins. Anastasia Kreslina, elle, se cache sous sa capuche et joue les matriochkas sinistres quand il s'agit de réciter des comptines folkloriques flippantes.

Le duo communique très peu, les deux restent dans leurs rôles, cohérents avec le spectacle proposé. Si le public se déchaîne sur les morceaux les plus accrocheurs, entre trap et metal (Vampir, ça cogne), sur scène on ne rigole pas. Contrairement à bien des groupes qui, en live, deviennent plus vivants ou festifs, IC3PEAK révèle un visage encore plus glauque, angoissé, oppressant et puissant. Au-delà du traditionnel merci de fin, les seuls mots des Russes seront contre la guerre en Ukraine, ce qu'un message vient appuyer longuement sur les écrans pendant un interlude poignant.

Le public parisien ne s'y est pas trompé : pour certains artistes, la contestation n'est pas juste une posture mais a un sens réel, concret, urgent, et leur création est potentiellement dangereuse pour eux-mêmes. L'énorme claque donnée par IC3PEAK ne tient pas juste à la puissance de leur musique ou à l'efficacité d'un show horrifique sinistre et dystopique mais dans la sincérité de leur rage, de leur désespoir. Les murs de l'Elysée Montmartre ont tremblé comme rarement ce soir-là, pour ce qui restera comme l'un des concerts les plus viscéralement marquants de l'année.