Chronique | Absent In Body - Plague God

Pierre Sopor 25 mars 2022

Il aura fallu attendre quelques années pour que la parenté musicale évidente et la bonne entente entre NEUROSIS et AMENRA se concrétise. Si les deux groupes étaient faits l'un pour l'autre, tous deux amateurs d'un mélange de sludge et de hardcore déchirant et viscéral et d'envolées contemplatives, Scott Kelly et Mathieu Vandekerckhove n'ont rien précipité et ont pris le temps de constituer une bande qui a fière allure, rejoints par Colin H. Van Eeckhout et l'ex-SEPULTURA Iggor Cavalera. ABSENT IN BODY était né et après l'EP The Abyss Stares Back en 2017, ce premier album, Plague God, en impose dès le line-up et son artwork noir, mystique, inquiétant évoquant une célèbre entité cosmique malveillante...

Si AMENRA tend à l'élévation et à sublimer la douleur, Vandekerckhove, guitariste et principal compositeur dans ABSENT IN BODY préfère cette fois nous plonger dans l'abîme. Plague God commence comme un obscur rituel : dans Rise From Ruins, la batterie oscille entre des influences industrielles impitoyables et déshumanisées et une puissance tribale, le chant entre hurlements écorchés et growl abyssal impressionnant, la musique entre orages violents aux riffs écrasants et plages mystiques non moins oppressantes. C'est sauvage, terrifiant et une puissance, un souffle ancestral certain s'en extirpe pour nous envelopper de toute son opacité. C'est d'ailleurs ce qui frappe avec ABSENT IN BODY : la force de cette noirceur totale, la peur qu'elle inspire, comme quand, après une introduction à la fois chamanique et industrielle, The Acres / The Ache nous pétrifie d'effroi avec ses cris inhumains, possédés, chargés de négativité. Le groupe cultive la lenteur et joue sur la temporalité pour faire monter la pression, nous écraser de toute sa pesanteur mais aussi développer des paysages hallucinés, dévastés et désespérés d'une beauté lugubre frappante tissés notamment par une guitare qui privilégie la simplicité de quelques accords répétés en boucle à la façon d'une transe ou d'un mantra plutôt que la technicité démonstrative. In Spirit In Spite est peut-être le meilleur condensé de ce que l'album propose : une batterie aliénante industrielle en introduction laisse place à un titre hypnotique de huit minutes qui, d'une étrange manière, fait penser à TOOL qui ferait une crise d'angoisse en pleine messe noire. C'est massif mais aussi extatique : on retrouve ce goût pour le sacré d'AMENRA, mais perverti, plus primitif, plus occulte.

ABSENT IN BODY a développé les éléments présents en 2017, les a laissé mûrir et les a poussé à leur potentiel maximum. Utilisés trop facilement, les superlatifs ont perdu de leur sens mais peu importe : ce Plague God est un choc mystique, un monolithe de noirceur intime et conquérant à la puissance cosmique et aux relents de putréfaction qui s'empare de notre âme pour la paralyser d'angoisse. En moins de mots, c'est un album monumental.