Chronique | Zeal & Ardor - Zeal & Ardor

Pierre Sopor 11 février 2022

ZEAL & ARDOR a tout d'abord été une curiosité, celle de découvrir un projet insolite mélangeant gospel / spirituals et black metal, en réponse à un défi lancé par internet. Puis une surprise, celle de réaliser la puissance du concept grâce au talent de Manuel Gagneux, maître alchimiste quand il s'agit d'associer et transformer les genres mais aussi à la pertinence thématique : et si les esclaves nord-américain s'étaient tournés vers le démon plutôt que le dieu de leurs maitres ? Quelques années plus tard, ZEAL & ARDOR n'est plus cette insolite découverte mais un projet établi, attendu, qui a su au fil des sorties confirmer son talent et étendre ses horizons sonores. Il restait donc à savoir si ce troisième album serait l'occasion d'à nouveau nous surprendre ou plutôt une continuité des œuvres précédentes.

Disons-le d'emblée, maintenant que l'on connaît l'efficacité de ZEAL & ARDOR, la surprise ne fait plus autant partie de l'équation. Le plaisir, en revanche, est toujours là et bien réel : la voix chaude et charismatique de Gagneux est toujours aussi agréable à l'oreille, la puissance des mélodies simples et influences blues ainsi qu'un soupçon de mysticisme démoniaque associés à des guitares furieuses tapent toujours dans le mille. Ambiance sinistre et menaçante dès le morceau-titre, les nuages s'amoncèlent à l'horizon, il fait lourd, il fait sombre, pas de doute, ça va péter. La gestion de la tension est admirable et se prolonge jusqu'aux refrains de Run, où enfin les chevaux se lâchent : ZEAL & ARDOR n'a rien perdu de son mordant et de sa capacité à proposer des parties black bien méchantes entre deux couplets en voix claire mais pas moins possédés. On note une mélancolie et une amertume peut-être plus présente, ce que l'EP Wake of a Nation annonçait déjà en s'inspirant des différents crimes racistes ayant embrasés les États-Unis ces dernières années, appuyant l'arrière-goût actuel des appels de Gagneux à se soulever contre l'oppresseur.

Toujours concis, fidèle à son ambition d'enrichir son metal extrême de formules plus pop et accessibles, Gagneux s'amuse tout de même à proposer du neuf à sa popotte. La discrète mélodie sinistre de la très sombre Death to the Holy, l'électronique aérienne de Emersion, la tension furieuse d'Erase, la lourdeur apocalyptique de Götterdammerung (le Crépuscule des Dieux chez Wagner) ou une fin d'album plus légère et douce amère (le côté presque lounge / trip hop de Hold Your Head Low, les nappes hallucinées de A-H-I-L) apportent leur lot de nuances et de variété. Et puis, il reste ce sens du groove imparable piqué au gospel (Church Burns, sur laquelle Gagneux prêche avec...zèle et ardeur, ahem), du grand écart acrobatique entre les genres (Golden Liar et sa douce mélancolie).

Avec son troisième album, ZEAL & ARDOR n'est plus une découverte qui va nous couper le souffle. Gagneux continue de peaufiner son univers unique avec un talent fantastique : ce troisième album est plus celui du plaisir. Plaisir presque facétieux de déconstruire, d'associer, de créer des morceaux où les mélanges sont organiques, naturels, alors que sur le papier ils nous paraissaient improbables. Plaisir aussi, pour nous, d'écouter le résultat toujours rafraîchissant et poignant. On n'est plus soufflés par l'astuce du concept, mais c'est toujours aussi bon. Cet étrange bébé polymorphe continue d'émerveiller et de grandir et s'est hissé au-dessus de la hype liée à la découverte des débuts pour s'établir comme un groupe solide et passionnant.