Chronique | Hocico - Artificial Extinction

Sterben 24 juillet 2019

L'attente a été plus longue qu'à l'accoutumée depuis l'excellent Ofensor, sorti fin 2015. Entre temps le contexte mondial s'est encore tendu, dessinant un avenir toujours plus incertain. Le dérèglement climatique fait planer une menace existentielle sur l'Humanité, et le sentiment d'être au seuil d'une période très sombre est désormais un bruit de fond permanent dans nos sociétés... Bref, l'époque est plus que jamais en phase avec la tonalité apocalyptique et amère de la musique d'HOCICO. "This is the final extinction / Our destiny / Creators of our own destruction / Slaves to dark technology", proclame ainsi le morceau donnant son titre à l'album.

Artistiquement, on sent une volonté de faire évoluer une formule devenue très redondante (n'oublions pas que le groupe à l'araignée sévit depuis maintenant plus d'un quart de siècle !). Faute de révolutionner les fondamentaux de leur musique, Erk et Racso ont de toute évidence envie d'élargir le scope, d'y greffer de nouveaux éléments. L'innovation la plus notable est l'influence de la drum n'bass, qui était déjà perceptible sur I Abomination (le morceau phare du EP Spider Bites au parfum très THE PRODIGY). 

Deux titres reflètent en particulier l'ouverture à de nouveaux formats rythmiques : le très moyen Damaged, un morceau à l'énergie rock qu'on aurait plus vu sur un album de RABIA SORDA; et le bien meilleur Cross the Line, qui flirte avec le techstep, un sous-genre de la drum n'bass caractérisé par des ambiances urbaines et futuristes sur des beats lourds de menace.

Ces expériences "dark n'bass" (ou "neuropunk", selon un hashtag utilisé par le groupe) sont les seuls vrais morceaux uptempo de cette fournée. Ailleurs le bpm reste sous contrôle, et se fait même souvent lent et pesant, à l'image du morceau d'ouverture Dark Sunday. De même les lignes de basse galopantes sont moins omniprésentes que par le passé, Racso préférant libérer de l'espace sonore pour laisser pomper de gros kicks façon techno hardcore.

Certains synthés ont par ailleurs tendance à imiter l'agressivité dans les médiums d'une guitare électrique. Ajouté à la récente collaboration avec le groupe de metal TRAGEDY OF ME, on peut suspecter Erk et Racso -tous deux amateurs de rock énervé- d'envisager une direction plus crossover à l'avenir...

Sûrs de leur légitimité à faire ce qu'ils veulent (le luxe de ceux qui n'ont plus rien à prouver), les cousins ne craignent donc pas de prendre des chemins de traverse. Néanmoins les gros hymnes de concert sont là. En particulier Psychonaut, un tube dans la tradition des classiques du groupe au point d'en être un peu générique. A ce jeu, on préférera les plus excitants Shut Me Down ! et Palabras de Sangre

Reste qu'une bonne part de l'album n'est pas si dancefloor-friendly. C'est un choix courageux qui replace HOCICO dans son héritage electro-industriel, genre musical dont l'horizon ne s'arrêtait pas autrefois aux clubs.

On retiendra ainsi le petit joyau d'electronica délicate et sombrement poétique qu'est El Ballet Mecanico. Cet instrumental évoque d'abord les mouvements d'automate d'une danseuse de boite à musique, tout en minuscules rouages et notes mélancoliques. Mais le mécanisme se grippe vite, et des interférences de plus en plus bruitistes viennent perturber le tableau jusqu'à sa corruption complète. 

Breathing Under your Feet est un mauvais rêve, une oraison nocturne à 90 bpm, parcourue de roulements de hi-hats et de snares empruntés à la trap (ou plus précisément à la witch house, son pendant gothique). Quiet Zone (In Dead Silence) est encore plus satisfaisant, avec ses nappes synthétiques évoquant Assimilate de SKINNY PUPPY.

Au global, l'album a un rendu très froid, technique, et manque parfois un peu d'âme dans sa louable volonté de diversification. La créature HOCICO a entamé une nouvelle phase de mutation, se jouant des barrières stylistiques pour suivre sa propre trajectoire "post-EBM" en terres inconnues. Artificial Extinction donne un peu l'impression qu'une page se tourne, et peut-être est-il temps en effet. Reste toujours ce talent pour les compositions addictives, et cette énergie férocement communicative qui prend tout son sens lors des shows cathartiques du duo.

L'avis de Pierre

Depuis Ofensor, sorti en 2015, HOCICO a donné de nombreux concerts (venant même assez régulièrement en France) et sorti le live Shalom From Hell Aviv! en 2018. On n'avait pas vraiment eu le temps de perdre de vue le duo mais c'est vrai qu'on n'était pas contre un peu de fraîcheur dans nos playlists. L'annonce d'un nouvel album avait excité la curiosité des fans, surtout qu'on nous promettait un disque particulièrement méchant. HOCICO dit, HOCICO fait : Artificial Extinction est là et n'est pas franchement le plus rigolo des compagnons estivaux.

Le parallèle est facile, tentant et inévitable : un an plus tôt, le chanteur Erk Aicrag sortait The World Ends Today avec son side-project RABIA SORDA. Rage décuplée et thématique apocalyptique : des ingrédients que l'on retrouve ici dès les beats de la désormais familière Dark Sunday. HOCICO est ici au sommet de son art pour les hymnes dark electro qui cognent : c'est brutal, la voix d'Erk plus gutturale que jamais dégage bel et bien une agressivité qui fait mouche alors que les claviers de Racso Agroyam plantent l'atmosphère de fin du monde de cette ouverture au tempo assez bas, lourde et menaçante. Le sens de la formule, HOCICO ne l'a pas perdu. Artificial Extinction est rempli de méchants tubes pour dancefloor (Shut Me Down, Psychonaut, sorte de relecture moderne de Poltergeist dont on retrouve l'intensité du rythme, le rouleau-compresser Palabras de Sangre...) voire de titres plus electro-punk dont l'agressivité rappellent justement RABIA SORDA (Damaged, Cross the Line).

Ce qui fait la puissance de l'album, et de HOCICO en général, au-delà de son savoir-faire quand il s'agit d'être efficace, c'est le talent de Racso pour tisser des ambiances glaciales et anxiogènes. Sur Artificial Extinction, c'est flagrant dès El Ballet Mecanico et son atmosphère à la fois mélancolique, onirique et robotiques. Les sons de machines plantent un contexte industriel auquel la mélodie donne une élégance aérienne que l'on n'attendait pas si tôt dans l'album. Entre deux gros hits, HOCICO aère son album de respirations fantomatiques muettes (Blinded Race) ou aux paroles murmurées (Breathing Under Your Feet) dont les sons insectoïdes rampants nous traînent dans un univers science-fictionnel particulièrement noir où le désespoir l'a emporté sur la rage.

Artificial Extinction était un disque attendu. C'est aussi un album annoncé à grands renforts de superlatif par le label Out of Line : normal, ils font leur job. Difficile de leur donner entièrement tort, cependant. Ce n'est probablement pas le meilleur album d'HOCICO, même s'il fait indubitablement partie du haut du panier, mais c'est un disque plus que solide, particulièrement efficace, sans réelle faiblesse. HOCICO ne se réinvente pas et d'ailleurs personne ne leur demandait, mais après avoir connu le duo plus émoussé au courant des années 2000, les entendre aujourd'hui avec une telle hargne et une telle énergie fait plaisir.