Du côté de Përl, on prend son temps. Au rythme d'un album tous les quatre ans, la formation post-metal fait vivre un univers tout en contrastes, entre explosions venues des tréfonds de l'âme et parties plus intimistes. Architecture du Vertige, leur quatrième album, porte bien leur nom : avec ses reliefs étourdissants, ses profondeurs intimidantes et ses hauteurs apaisées, il a effectivement de quoi nous faire tourner la tête.
Si Përl était un paysage, ce serait des falaises escarpées, comme celles mentionnées dès Au Royaume des Songes. Un truc imposant qui évoque toute la puissance et la sauvagerie de la nature, ses tempêtes, ses vagues gigantesques qui se heurtent avec fracas à des murs de roche qui résistent aux assauts... mais aussi un vide spectaculaire duquel plonger et dégringoler à toute allure. Cette entrée en matière intense, est une note d'intention onirique, élégante, furieuse. Les rayons du soleil, la contemplation douce-amère... et soudain, l'ouragan et les cris toujours aussi impressionnants d'Aline Boussaroque dont la polyvalence au chant épouse les virages serrés pris par la musique, ses plongées comme ses mouvements ascendants.
On aime Përl quand le son explose, que la musique est un séisme dévastateur. On aime aussi Përl quand on se perd dans l’œil du cyclone : pop, spoken word, peu importe les étiquettes, les textes en français sont toujours mis en valeur. La violence ne fonctionnerait pas sans ces moments d'introspection et vice versa, il ne peut y avoir de relief sans contraste (vous avez déjà essayé de dessiner des ombres dans le noir total, vous ?). Naufragée des nuages, avec sa scansion rap, son crescendo éruptif et ses coups de batterie qui nous martèlent impitoyablement, ainsi que la tornade d'émotions contenues par La Chute et son mouvement inversée (cette fois-ci, ça commence fort pour respirer ensuite), avec ses ombres post-punk et black metal hargneuses, sont peut-être les reliefs les plus vertigineux de cet album, ceux desquels la vue est la plus belle, les meilleur points pour plonger vers l'abîme.
Përl nous ménage quelques surprises, tout d'abord en donnant une leçon d'efficacité à Sólstafir en s'appropriant en français leur titre Fjara. Le résultat, crépusculaire, mélancolique et moins pompeux que l'originale (on ne va pas se faire que des amis), est superbe. Forcément, la participation de Sam Pillay de Point Mort (qui signait également plus tôt cette année un très bel album) apporte à son tour son lot de tournis tant la chanteuse maîtrise, elle aussi, les grands écarts stylistiques, entre douceur et folie théâtrale. Affectionnant toujours autant le clair-obscur, Përl nous trimballe, nous emporte dans ses tourments écorchés, ses élans exaltés, ses rêveries. Architecture du Vertige est un sacré édifice, raffiné et brute, fragile et puissant, qui sait nous tenir en haleine.