Chronique | SepticFlesh - Modern Primitive

Pierre Sopor 23 mai 2022

Les grecs de SEPTICFLESH, depuis leur retour en 2008 avec l'album Communion, semblent graviter dans une dimension à part. Avec ses orchestrations monumentales et ses visuels toujours aussi marquants, le groupe transforme chacune de ses sorties en véritable blockbuster du death metal, où la surenchère de moyens et la débauche de puissance en met plein la vue et les oreilles. Modern Primitive succède à Codex Omega et, on le sait déjà, ne va pas remettre en question cet attrait pour l'impressionnant, le massif, le théâtral.

Le titre de l'album synthétise déjà l'univers si particulier du groupe, où se mélangent inspirations antiques (SEPTICFLESH n'a jamais caché sa fascination pour les civilisations anciennes et a par le passé déjà exprimé sa fascination pour l'Egypte ou le péplum), gothiques et science-fiction. Il faut aussi y voir un contraste entre notre monde moderne et nos modes de pensée encore primitifs. Le groupe aime trouver l'équilibre dans les grands écarts ou, au contraire, provoquer la confrontation violente entre deux éléments radicalement différents pour tout chambouler : The Collector, qui ouvre l'album, en est un bon exemple, avec son introduction mystérieuse et acoustique bousculée par un death metal agressif et conquérant tout en démonstration de force. The Hierophant, avec sa rythmique martiale et son chant clair aux airs d'invocation, est bien trop prévisible. Ce titre-là, on sait en anticiper la moindre évolution à des kilomètres. Faut-il y voir des musiciens qui se reposent sur leurs acquis ou qui, par complicité (et complaisance ?) jouent avec les attentes de leur public ?

Avec cette recette déjà connue, on n'échappe pas de prime abord à l'impression que SEPTICFLESH sort le même album tous les trois ou quatre ans depuis sa reformation. Modern Primitive reprend les ingrédients habituels et les pousse encore plus, plus loin, plus fort. De la surenchère par dessus la surenchère : il y aurait de quoi se lasser. Pourtant, par touches, les grecs enrichissent leur formule. Les voix claires, que ce soit les chœurs ou les lignes de chant de Sotiris Vayenas y ont plus de place (A Desert Throne, dont on apprécie le petit break basse / batterie qui vient faire monter la tension), ce qui permet d'aérer l'ensemble, de mieux faire ressentir la tension dramatique ou théâtrale des morceaux mais aussi de mieux faire ressortir les rugissements de Spiros "Seth" Antoniou (impitoyable sur Psychohistory, là où le death metal du groupe se fait le plus percutant). On y gagne en humanité dans l'expression des émotions (Neuromancer et sa mélodie cinématographique, la mélancolie d'A Dreadful Muse et sa guitare déchirante, inhabituelle chez SEPTICFLESH). L'orchestre philharmonique de Prague, déjà à l’œuvre sur le précédent album, nous entraîne plus que jamais dans ce monde où se mêlent mysticisme ancestral, influences méditerranéennes et orientales et visions extra-terrestres futuristes. Les musiciens donnent vie à des catastrophes aux proportions bibliques : les cuivres de Coming Storm, soutenus par un rythme à la fois menaçant et paniqué, sonnent comme les trompettes de l'Apocalypse et sont probablement la surprise la plus marquante de cet album.

SEPTICFLESH, en poussant toujours plus loin le bouchon, atteint une forme d'efficacité dans sa formule où chaque morceau est un single potentiel qui ne dépasse pas les cinq minutes mais réussit à condenser toute la puissance apocalyptique du groupe, toute son imagerie, toute sa démesure. On peut néanmoins regretter que, dans cet étalage monstrueux de puissance, on ne retrouve finalement plus la noirceur viscérale d'albums plus anciens. Les surprises sont rares mais suffisantes pour faire de Modern Primitive un album plus qu'honorable. On regrette cependant qu'à force de faire le même album "en mieux", SEPTICFLESH, bien involontairement, ôte à ses œuvres une part de leur identité : à quoi bon réécouter Codex Omega maintenant qu'on en a la version "updatée" ? Pour quelle raison retournerait-on à The Great Mass désormais ? Les grecs sont fidèles à leur image et proposent, à la manière d'un blockbuster, un grand spectacle grandiloquent fidèle au cahier des charges qu'ils ont eux-mêmes mis en place. Toujours plus, sans trahir la marque : à chacun de choisir son camp entre extase et lassitude.