Après sa période de gloire dans les années 2000, on ne peut pas franchement dire que la scène aggrotech connaît le même succès qu'à l'époque de MySpace. Pourtant, en plus des inusables vétérans qui continuent à faire leur petit truc dans leur coin, on a observé ces derniers mois une vague de nostalgie pour le genre : Dawn of Ashes et Aesthetic Perfection y revenaient alors qu'Unter Null faisait enfin son retour... Les Polonais de H.EXE, eux, s'éveillent d'un profond sommeil de plus de dix ans avec Anthems of the Unseen Tide, dont l'artwork et la pochette devraient déjà vous mettre la puce à l'oreille : voilà qui sent bon la Nouvelle-Angleterre, les tentacules et les horreurs indicibles ! Leur album précédent s'achevait d'ailleurs par The Music of Erich Zann, hommage évident au maître de Providence...
Nous n'irons pas jusqu'à oser imaginer Lovecraft avec de fausses dreadlocks fluos en train de nous faire sa meilleure variante de la tecktonik sur un mix eurodance blindé de distorsion. Il peut se passer des choses en une décennie et H.EXE aujourd'hui, sous l'influence corruptrice du temps et des murmures de Grands Anciens, a muté. Les guitares méchantes ont fait leur apparition, ce que l'on constate dès At the Threshold : les incantations saturées d'Odo mordent toujours, la froideur des synthétiseurs imposent cette teinte horrifique clinique... et des gros riffs qui castagnent viennent alourdir le tableau. Malin, H.EXE a toujours su éviter les clichés les plus navrants du genre en ayant gardé une approche où la noirceur et l'agressivité passent avant les gimmicks musicaux paresseux et les couleurs trop chatoyantes.
Anthems of the Unseen Tide porte bien son nom : ramassé sur une grosse demi-heure, l'ensemble enchaîne les hymnes méchants et intenses. On y apprécie les mélodies sinistres minimalistes qui donnent leur tonalité horrifique aux morceaux et font respirer entre deux assauts de guitare (Sunless Tides, Elder's Lair qui aurait tout à fait pu assumer son début de grandiloquence symphonique !). La cadence ne ralentit qu'en fin de course avec Sphere on Sphere, où le cosmicisme et les ténèbres abyssales rampent avec une lenteur apocalyptique forte en évocations : les ruines de cités aux angles impossibles se faisant alors le dancfloor idéal. On peut s'amuser du décalage entre l'univers lovecraftien, très connoté fin XVIIIème / début XXème siècle, et la modernité du son, créant un anachronisme finalement pas déconnant : les lois du temps et de l'espace sont tordues sous l'action de quelque entité innommable ! Les titres des morceaux sont scandés en boucle pendant les refrains, ça rentre facilement en tête, la lourdeur de la guitare enfonce le clou sans fausse pudeur ni subtilité factice. H.EXE rentre dans le lard avec un premier degré, une générosité et une énergie qui réjouissent et nous plonge dans un univers qui, à l'image de leur nom, mélange mysticisme et esthétique cyber.
Il y a un twist dans Anthems of the Unseen Tide : H.EXE a certes évolué mais n'a pas oublié ses racines et chaque titre est disponible sous deux versions : Initial et Legacy, ces dernières laissant de côté le metal industriel pour rappeler l'electro-dark moderne des précédents albums. Un choix qui, étonnamment s'avère plutôt pertinent car il permet justement de mettre en valeur le travail sur les atmosphères en proposant des versions moins bourrines mais également plus menaçantes, plus lentes une fois privées de leurs riffs explosifs. De ces versions plus dépouillées, on apprécie par exemple la théâtralité de The Old Museum ou la tonalité hypnotique que prend That Thing Within.
De plus, en ayant opté pour un ensemble relativement court et misant sur une efficacité permanente, H.EXE peut se permettre le luxe de nous balancer chaque malédiction deux fois car tout cela défile à une allure qui nous protège d'une lassitude prématurée ou des courbatures ! Du gros boum-boum, des guitares méchantes, Lovecraft et des artistes qui, plutôt que d'opter clairement pour une orientation musicale, nous laissent la possibilité de choisir notre camp : parfois, il faut savoir apprécier les plaisirs simples, surtout quand c'est fait avec autant d'enthousiasme et de savoir-faire qu'ici.