Il n'est probablement pas nécessaire de trop vous expliquer pourquoi cette exposition, qui se tient du 24 septembre 2025 au 26 janvier 2026, a capté notre attention : ça s'appelle Gothiques. Pas besoin d'un dessin. Ajoutons à cela que le Louvre-Lens n'en est pas à un coup d'essai côté propositions qui nous affolent : l'expo Soleils Noirs avait, par exemple, initialement prévue d'être accompagnée par un concert de Benighted et Shaârghot en 2020 avant d'être repoussée à 2021 pour cause de pandémie !
Il y a pourtant un twist que l'on se doit de vous révéler tout de suite, un brin divulgâché par la couleur rose pastel choisie pour accompagner la gargouille de l'affiche : si vous vous attendez à une exposition consacrée aux Sisters of Mercy et à Dracula, faites votre deuil. Ne vous attendez pas à danser mollement les yeux rivés au sol dans le décor épuré du Louvre-Lens : la grande majorité de l'exposition est consacrée au Moyen-Âge, à une époque où l'art gothique était synonyme d'élégance, de lumière traversant les vitraux et de couleurs flamboyantes !
Nous traversons donc les siècles au gré des salles séparées par des portes en forme de voutes. Faire tenir une cathédrale dans le Louvre-Lens était compliqué, on a alors droit à des morceaux, des plans d'architecte, des explications, etc. Notre intérêt est piqué par la beauté de certaines pièces exposées. Des statues de pleurants, d'impressionnantes reliures de manuscrits aux superbes détails sculptés... L'exposition est généreuse, il y a beaucoup, beaucoup, à voir. Comptez bien deux heures au minimum si vous êtes du genre à tout regarder, tout lire (d'ailleurs, on comprend que le sujet impose un éclairage tamisé, mais lire les infos écrites en blanc sur du gris à l'ombre d'une œuvre n'est pas toujours simple !).
Petit à petit, on comprend comment on arrive de cet art de l'élégance et de la lumière à la conception actuelle du "gothique" : l'imaginaire fait son entrée, la nature effrayante et ses créatures fantasmagoriques... Puis, bien plus tard, au XVIIIème siècle, les fantasmes autour du Moyen-Âge finissent de donner cette teinte noire. Promettant de parler des différentes conceptions du gothique, du XIIème siècle jusqu'à la contre-culture née dans les années 70, l'exposition nous semble aller un peu vite à partir de là. Le salon néogothique est très beau, l'accent mis sur le lien entre la redécouverte d'un patrimoine négligé et sa préservation et les écrits de Victor Hugo est bien mis en valeur, mais l'on passe un peu vite d'Edgar Allan Poe et Mary Shelley au couloir de sortie aux airs de moodboard où se retrouvent, pêle-mêle, des inspirations que l'on aurait adoré voir plus en valeur dans l'expo elle-même !
Comme on le disait plus haut, de musique il ne sera pas vraiment question. On ne réclamait pas forcément un exposé complet qui irait de Joy Division à She Past Away, mais cela aurait permis de rappeler que "musique gothique" n'est pas "metal" et nous aurait bien fait plaisir ! On croise un clip de Therion qui illustre une salle sur la danse (accompagnée d'une version médiévale de la mélodie de Toxicity de System of a Down) et des tee-shirts AC/DC, Mötörhead et Siouxsie quand il est question de police d'écriture gothique. Vous constaterez qu'à part la reine des Banshees, on n'atteint pas les sommets de l'échelle du gothisme ! Dommage, le Louvre-Lens sait pourtant y faire quand il est question musique : leur exposition sur la musique à l'antiquité en 2017 et 2018 était passionnante.
Idem pour le cinéma : un espace sombre qui propose des scènes du Cabinet du Dr Caligari, Nosferatu ou encore du Masque du Démon, et c'est à peu près tout. Dommage car c'est peut-être là que le public "moldu" avait le plus de chose à apprendre, là où le Louvre-Lens aurait pu associer le superbe patrimoine historique à des choses plus surprenantes. Il y en a tout de même, à l'image du très drôle Sac de Rome par les Goths d'Agathe Pitié ou du camion-benne tordu aux airs de cathédrale gothique de Wim Delvoye.
On pourrait avoir l'impression que le Louvre-Lens va trop vite sur les choses plus contemporaines ou ludiques, les choses que le public "normal" connaît moins que les cathédrales (cela dit, on aime beaucoup Peter Murphy, mais Bauhaus n'a pas non plus la même importance dans l'histoire que Notre-Dame de Paris !). Pourtant, le cabinet de curiosités exposés vers la fin du parcours est finalement une synthèse pertinente et tout à fait représentative d'une culture faite de bric et de broc, entre spiritualité, goût pour le raffinement esthétique, attrait pour le macabre et un certain humour... mais aussi hantée par le consumérisme. D'ailleurs, prévoyez un sac vide et un budget pour le passage à la boutique du musée !
Vue la quantité de choses que propose l'exposition, on peut mettre de côté nos attentes de fans qui espéraient peut-être croiser leurs icônes rarement mises en avant dans des lieux de culture dite "légitime" sans en ressortir trop frustré pour autant. Néanmoins, on a aussi l'impression que le Louvre-Lens passe peut-être un peu à côté de l'occasion d'avoir non-seulement une démarche pédagogique plus affirmée envers les non-initiés mais également de porter un regard plus critique ou distancié sur le mouvement et l'esthétique gothique qui sont aujourd'hui récupérés par le grand public mais dont l'essence est parfois oubliée (le carton la série Wednesday et son insupportable superficialité formatée TikTok en est un exemple). Être marginal est devenu "cool", ça fait bien en société (du moment qu'on n'est pas "trop" marginal), mais ce n'est pas pour autant que l'on remet en question notre rapport à la mort et au bizarre, par exemple. D'ailleurs, regardez, les univers gothiques sont tellement à la mode qu'on en parle même au Louvre-Lens !
Que cela ne "noircisse" pas trop cette belle affiche rose : le Louvre-Lens a mis en place une exposition ambitieuse, fournie, pleine de pièces magnifiques que l'on parcourt souvent avec émerveillement, entre la silhouette d'un ange dont les ailes nous dominent et les corps de gisants. Il est déjà satisfaisant de voir que la dimension "pop culture" a eu le droit d'exister bien qu'on n'aurait pas dit non à une salle ou deux de plus. L'ambition de parler des arts gothiques, au pluriel, est déjà louable dans un lieu où l'art contemporain et la pop-culture ne sont pas les principaux sujets d'intérêt. Vue la richesse et le nombre de choses à voir, on est aussi bien forcés d'admettre que rajouter des salles aurait non seulement risqué d'être indigeste mais aurait également nécessité de déborder sur la pelouse du musée ! Pour reprendre le slogan ironique d'Empathy Test, "les vrais goths seront dégoûtés", mais ils n'ont qu'à sortir leurs yeux plein de khôl de leur nombril pour apprécier autre chose que ce qu'ils connaissent déjà. Nous on se frotte les mains de voir une exposition faire un lien entre les cathédrales et Buffy contre les Vampires, Victor Hugo et Dark Souls, Batman et Frankenstein, dans une démarche syncrétique qui donne finalement une noblesse à des formes d'expression considérées au mieux comme "mineures", au pire comme "déviantes". En cela, Gothiques au Louvre-Lens est peut-être incomplète, un brin rapide et certainement amputée par les contraintes éditoriales que l'on imagine (on est au Louvre-Lens, hein, pas à la Mécanique Ondulatoire ou au regretté Musée des Arts Ludiques !) mais est aussi un bel hommage aux univers qui nous passionnent.