Nous avons découvert le travail du photographe norvégien Kjetil Karlsen via la pochette de l'album From the Infinite Light d'Iterum Nata (dont on vous parlait dans notre chronique). Le hasard faisant bien les choses, c'est à peu près au même moment que Karlsen sortait Watching the Silence, un premier livre au titre évocateur présentant son travail que vous pouvez acquérir via Skeleton Press.
Karlsen photographie la nature du nord de la Norvège mais on ne peut pas vraiment dire de ses images que ce sont des paysages. Quand il photographie des personnes, nous ne dirons pas non plus qu'il s'agit de portraits. La transcription de la réalité n'est pas le sujet, bien que tout se fasse en lumière naturelle. Très vite, son travail évoque une errance onirique au sein de visions irréelles, poétiques et mélancoliques. On est saisis par les cadres du photographe, mystérieux, où le ciel est d'un blanc gris hivernal sur lequel se détachent des arbres nus et autres silhouettes étranges. Les humains, quand ils sont là, sont soit des silhouettes fantastiques aux contours indéfinis, soit minuscules comme écrasés par l'immensité du paysage.
Alors que la mode est plutôt à l'ultra-netteté et la sur-définition de l'image, le travail de Karlsen nous frappe par sa texture, granuleuse, floue... spectrale, en fait. Nous sommes plongés dans un brouillard de nuances de gris qui n'a pas peur de l'obscurité, au sein duquel on distingue quelques visions venant d'une autre réalité. Karlsen aborde la photographie non seulement comme un art de la composition mais aussi du travail de l'image comme une matière bien concrète. Intemporel, ses clichés évoquent la photographie spirite du début du XXème siècle, avec ses fantômes que la pellicule essaye de figer.
Souvent, il opte pour un format carré. En plus de renforcer cette impression de voir une image d'un autre âge, renvoyant aux débuts du cinéma, cette approche resserre notre attention sur le sujet, l'enfermant dans un espace plus restreint, encourageant les compositions centrées ou symétriques. On découvre alors des images à la puissance iconique inspirées par la nature, le froid, le mysticisme... en ne cherchant pas à immortaliser la réalité d'un instant présent, Karlsen s'affranchit des époques pour nous proposer des visions intemporelles d'une beauté frappante. Pas étonnant que son travail se retrouve associé aux univers musicaux qui nous sont chers, entre autres Witch Club Satan ou Dawn of a Dark Age qui ont fait appel à son imagerie forte pour illustrer leurs œuvres cette année. Pour traverser l'hiver ou rêver de l'hiver, nous vous recommandons très chaudement Watching the Silence, ou, de manière générale, de suivre ses travaux sur sa page Instagram ou Facebook. Les photographies sont des fantômes, échos figés pour l'éternité, et Karlsen est un médium fascinant !