Verdammnis a 20 ans !

Pierre Sopor 31 décembre 2025

Retour en 2005 : vous étiez plus souple, le neo metal était encore un peu à la mode, on trouvait de la musique sur eMule, Marilyn Manson et Rammstein commençaient déjà à être ennuyeux, Nine Inch Nails devenait un truc respectable et sobre et vous alliez encore sur internet pour y chercher des choses plutôt que de scroller dans le néant de contenus suggérés automatiquement ! Parmi vos errances, vous auriez pu tomber sur un jeune site maladroit au drôle de nom, Verdammnis. Figurez-vous qu'il y en a encore qui prononcent ça sans le "s" à la fin, l'écrivent avec des "m" en moins ou en trop, s'imaginent que c'est du latin, etc. La date exacte de la création du site s'est un peu perdue dans les méandres du temps, on a alors attendu le tout dernier jour de l'année pour en parler, histoire de ne pas attirer la malchance en fêtant la chose prématurément. Voilà, on a vingt ans !

Ouvert en 2005 par notre créateur Erick comme un site qui décortiquait les albums de Marilyn Manson et de Rammstein, justement, VRDA est rapidement devenu un webzine qui parle de "trucs sombres et bizarres". Aujourd'hui, nous essayons d'englober beaucoup de choses ténébreuses, jonglant comme on peut avec des étiquettes qui collent aux doigts : metal industriel, post-punk, gothic rock, darkwave, darksynth, noise, ambient, doom, black metal, folk, EBM... mais également quelques pas de côtés et tentatives de nous intéresser à tout ce qui est hybride, torturé, théâtral, gothique dans l'esthétique, cauchemardesque, peu importe le genre. Nous resterons pudiques au moment de mieux définir notre ligne éditoriale, puisque celle-ci a fluctué au fil des ans, échappant à toute tentative de définition stricte et évoluant surtout selon les personnes participant à l'aventure puisque chacun a apporté sa touche. Et après tout, les artistes des musiques sombres sont comme nous : ils n'aiment généralement pas se réduire à une étiquette et ne se privent pas d'évoluer. Ce qui compte pour nous indépendamment du genre musical, c'est de donner un espace à des artistes qui acceptent de montrer les ombres du monde, n'en déplaise au formatage que génère souvent la concentration des médias et des industries culturelles. Dès le début, nous voulions mettre en avant la scène electro / indus française, mais on a aussi eu notre période hard rock... voire pop-rock, hein. Ouais, c'est le jour où on sort les casseroles, tiens, histoire de finir l'année avec une grosse vaisselle ! 

VRDA en 2012 avec... une citation de Muse ? On avait devancé le Hellfest !

Il faut dire qu'en 2005, internet était comme nous, bien plus jeune, naïf et innocent. Notre équipe étant essentiellement composée de personnes nées entre la seconde partie des années 80 et le tout début des années 90, les musiques sombres sont autant pour nous une chose qui se vit au présent qu'une archéologie permanente. On pompait nos infos et l'inspiration là où on les trouvait : sur Obsküre (un modèle dont on se réjouit du retour au format papier très prochainement !), Gothtronic, D-Side, Elegy, les forums, la plateforme MySpace sur laquelle tout le monde s'improvisait musicien, etc. On nous a vite dit qu'on copiait le site Obsküre, autant sur la ligne éditoriale que notre design (nous étions tous les deux en rouge et noir à l'époque). Tant mieux, ça nous a poussés à trouver comment nous démarquer et chercher notre pertinence autrement. Vingt ans après, on cherche encore, d'ailleurs !

Alors comme on était jeunes, on faisait parfois des bêtises. Nous n'avions aucune légitimité et avec beaucoup d'assurance, on a écrit de sacrées conneries (on ne se fait pas trop d'illusions : on se doute bien que c'est toujours le cas). Sur Verdammnis, vous avez par exemple pu apprendre la mort du guitariste Buckethead (qui va toujours très bien, il vous remercie), lire "Steve Nagini" au lieu de "Naghavi" quand on parlait de And One, voir que beaucoup de groupes ont sorti leur "nouveau slip" au lieu de "clip", lire une interview d'un groupe que nous avons réalisée en pensant qu'il s'agissait en fait d'un autre groupe (on ne vous dira pas qui on a confondu, mais ils ont réagi avec élégance et n'ont rien dit - bien qu'ils aient dû passer un drôle de moment), etc. Face à ces miettes que l'on accepte de vous confesser, on vous laisse alors imaginer avec effroi l'immensité embarrassante de tout ce que l'on tait !

On a des articles qui nous font un peu honte (à vous de les trouver !), des trucs sûrement débiles qu'on a écrits il y a très longtemps et qu'on n'ose pas relire, qu'on aimerait parfois supprimer mais que l'on décide de garder comme un souvenir de cette époque pleine d'énergie, d'arrogance naïve, d'espoirs et de maladresse. Nous sommes en revanche très fiers de certaines bêtises. Le 1er avril 2007, par exemple, nous proposions un lien pour télécharger en exclusivité le nouveau single de Manson, une chanson parlant de "tout quitter sans penser au passé". On vous avait alors fait télécharger Partir un Jour des 2Be3. Un gros site de fan de Manson s'était empressé de reprendre l'info avant de réaliser son erreur et de nous traîter de gamins puérils cherchant à attirer l'attention avec du contenu mensonger... Finalement, l'année suivante, ils nous piquaient notre idée pour faire une blague similaire !

En 2006 : venez nous rejoindre sur MySpace... et on pompe les news d'Obsküre, mais on n'en fait pas un secret ! Notre grammaire était déjà acrobatique et on vous promettait une section internationale... qui a fini par à peu près voir le jour en 2024 !

Au fil de ces deux décennies, nous avons vu internet évoluer. On a connu internet à l'époque des portails d'entrée (le notre, très cool, était accompagné d'un morceau de Krystal System à une époque, écoutez donc l'intro du morceau plus bas en boucle et ça vous mettra dans l'ambiance), le temps des sites bordéliques où l'on mettait des trucs partout pour "faire joli", des pseudos un peu ridicules (on a toujours aujourd'hui quelqu'un dans notre staff qui s'appelle comme une chanson !) et des liens vers d'autres sites, on a hébergé un forum, on a vu apparaître et se développer Facebook, YouTube et compagnie... tout ça sans ne jamais vraiment trop être dans le coup ! Aujourd'hui, on peut se replonger dans vingt ans d'archives photos et vidéos (via notre chaine youtube, autrefois active), repenser aux artistes qui ont disparu de la circulation mais aussi à ceux que l'on a vu grandir, et c'est plutôt cool. On a vu les webzines (surtout metal) se multiplier, certains très bien et d'autres totalement nazes qui semblent n'exister que pour gratter des invit' au Hellfest et des CD promos. Nous ne sommes pas et ne serons jamais "un site metal". Mais un peu quand même. Personne n'y comprend rien. On y perd en accréditation dans les grandes salles ce qu'on gagne en identité et en plaisir !

On a toujours des projets pour l'avenir. Commencé avec beaucoup d'amateurisme, le site évolue continuellement et essaye d'être agréable pour vous et nous autant sur le fond que la forme. Certains projets prennent du temps : après de nombreuses années à caresser l'idée, on a fini par intégrer un agenda concerts, à bricoler des versions anglaises pour certains articles, mais aussi désormais un agenda des sorties à venir, et nous ouvrions une section "Culture" (faute d'un nom plus inspiré, dont la quête vaine a probablement retardé l'ouverture de cette section d'au moins deux ans !) où nous vous parlons de cinéma, de littérature, de photographie, d'expositions, etc... C'est que si la musique est notre sujet de prédilection, elle a ses points communs et ses passerelles avec d'autres domaines artistiques, qu'on parle de vampires, de Grands Anciens ou du diable en visite à Moscou ! 

Parfois, on traîne un peu trop des pieds : il y a quelques années, nous avions par exemple comme projet une série d'articles sur des groupes emblématiques qui n'existent plus. On avait fait une petite liste : les Tétines Noires, Corpus Delicti, Krysal System, The Old Dead Tree... ohlala, on a tellement traîné que depuis, ils se sont tous reformés ! L'article que vous lisez en ce moment en est d'ailleurs une nouvelle illustration puisqu'il a commencé par "bon, on fait quoi pour nos dix ans ?" puis "hey, pour les 15 ans, on sort un top 15 de nos albums préférés de ces 15 dernières années ?", qui est soudainement devenu "bon, pour les 20 ans, on met un petit message quand même ? genre pendant l'été quand y'a pas d'actu ?". Nous voilà le 31 décembre, à parler de nos vingt ans, dix ans après nous être demandés ce qu'on allait pouvoir faire pour nos dix ans. Bref. On aimerait vous en proposer plus, couvrir plus de choses, parler plus souvent de cinéma, d'expositions, de littérature, etc, mais le temps manque ! 

Au cours de ces vingt années, il y a des choses qui n'ont pas changé : on essaye de garder une base amicale d'une toute petite poignée de personnes (nous sommes entre 4 et 8, selon les contributions occasionnelles) et on ne gagne pas le moindre centime, histoire de garder notre indépendance éditoriale (et d'éviter les engueulades en interne). Nos articles sont la plupart du temps bienveillants car le plaisir de l'échange nous motive et les projets intéressants sont bien trop nombreux pour avoir le temps de dire tout le mal que l'on pense des trucs nuls... même si ça arrive, parfois.

Croyez-nous, parmi les centaines de mails que l'on reçoit (on n'arrive même pas à en lire le tiers, faute de temps), il y a des trucs vraiment archi-nuls, des trucs totalement hors-sujet (genre les groupes de rock sympas et rigolos qui font des chansons sur le fromage et les pirates), ou des gens qui ne s'emmerdent tellement pas à nous présenter leur travail qu'on ne va pas non plus s'emmerder à aller l'écouter (genre : "salut ça va ? merci de partager mon nouveau clip sur ton blog / sur HornsUp (oui, oui, on nous fait souvent le coup du mauvais média), ça parle de fromage et de pirates, ça déchire", en oubliant de préciser le nom du groupe !). En revanche, les menaces et les insultes pour avoir osé "taquiner affectueusement" Dir en Grey ou Marilyn Manson, par exemple, ça on les garde précieusement : c'est beau la passion !

Bienvenue sur le Berceau des Damnés et rejoignez la Verdammnis Mad Alliance !

En vingt ans, des souvenirs géniaux, des prises de tête, des anecdotes amusantes, il y en a des tonnes. On ne pourra pas les énumérer. Globalement, tenir un webzine comme le notre implique de passer des heures à fouiller pour parler de choses dont peu de gens se soucient alors que l'on pourrait dormir, travailler ou profiter de la vie. Tenir un webzine pendant vingt ans, c'est avoir connu le neo-metal et l'aggrotech quand c'était à la mode, les voir devenir ringards puis revenir un peu dans le coup, c'est avoir traversé la mode du visual kei en France, c'est nous être enflammés sur des nouveaux groupes en étant persuadés qu'ils allaient cartonner alors qu'ils splittaient six mois plus tard, c'est avoir connu Igorrr à l'époque où il bidouillait tout seul des trucs bizarres, c'est avoir vu Alcest en première partie de The Vision Bleak dans une petite salle, c'est avoir vu Tamtrum au Bataclan, c'est avoir vu Shaârghot quand c'était juste trois types qui jouaient dans un bar à entrée libre dans la banlieue de Meaux, c'est s'émerveiller de croiser un mec avec un tee-shirt Lycosia en 2025, c'est des tonnes de CD promos de trucs qu'on ne trouve plus sur le net, des visages que l'on croisait autrefois sur scène et sur lesquels on retombe par hasard des années après (Laurent des Arsch Dolls qui tenait un stand de merch au Hellfest, Remzi d'Obszön Geschöpf qui a ouvert son bar à Calais, le chanteur de Lucky Striker 201 intervenant dans un documentaire sur Arte), c'est se faire poser un lapin en interview DEUX FOIS par un groupe allemand un brin poseur et surcoté mais très populaire qui a mal pris une chronique d'il y a dix ans, pas si négative, alors qu'ils prétendent ne pas lire "les médias inutiles" (wouhou, on est utiles, alors ?). Quand on est invités à des événements, on continue de se sentir un peu comme des imposteurs parmi les "vrais médias sérieux", les "vieux de la vieille qui étaient là avant" et tout ça.

On va sûrement continuer l'imposture encore un peu alors, avec une ligne éditoriale en forme de zig-zag, en mettant en avant ce qui nous plaît, sans gagner de sous. Quand on reçoit un retour sur nos articles, on se l'envoie en interne et on se dit toujours le même truc : "ON NOUS LIT !". On ne sait pas trop pourquoi, mais cette année, on a noté une augmentation de presque 50% du trafic quotidien sur le site depuis le printemps. Ca ne change rien pour nous mais ça nous fait très plaisir : ça veut dire que l'on contribue peut-être parfois, modestement, à répandre cette musique qui nous tient à coeur. D'autant plus que les réseaux sociaux ont tendance à centraliser le contenu du web, rendant l'info accessible immédiatement à chacun et ôtant aux divers médias une bonne part de leur utilité. Alors on espère pouvoir encore dire "ON NOUS LIT !" avec ce mélange de panique, d'amusement et de fierté pendant une vingtaine d'années encore (pas plus, parce qu'après, on sera vraiment trop vieux). Et si jamais, toi, là, tu es jeune, tu nous lis et que tu as envie de nous plagier (drôle d'idée !), fonce : les musiques dont on parle sont petites mais il y a de la place pour tout le monde et chaque voix supplémentaire apporte sa pierre à l'édifice... qui sait, dans vingt ans, tu auras ton lot de chouettes souvenirs aussi !

Il était beau notre portail, non ?

Finissons par le plus important : on remercie sincèrement toutes les personnes qui nous ont accompagnés à leur façon au fil des années et qui ont contribué d'une façon ou d'une autre à l'aventure. Au-delà des artistes, il y a les gens qui les défendent, les font jouer, communiquent leur actualité. Relations presse, organisateurs, labels, etc : des héroïnes et des héros de l'ombre qui permettent à la musique de vivre et à nous médias de travailler en nous envoyant les albums en avance, en mettant en place des interviews, en nous accréditant aux concerts, en nous proposant de nouveaux artistes afin que l'on puisse ensuite, à notre tour, vous faire découvrir des choses. Pendant ces vingt dernières années, nous avons eu des échanges privilégiés avec des gens qui n'ont peut-être pas toujours compris notre ligne mais l'ont respectée et ont fait preuve d'une bienveillance, d'une patience et d'une confiance à notre égard qui est aussi précieuse qu'incompréhensible. Par ordre alphabétique : Andreas Behnke (Nachtplan), Angie Dufin (NRV Prom), l'Atomic Cat, la team Audiotrauma, Aurélien di Sanzo & Quentin Verdier (Watts Next), Clément Duboscq (Vous Connaissez ? PR), Cornelius Brach (Wave Gotik Treffen), Ellie (Ellie Prom), Elmar Herrmann (Protain), Elodie et Romain (Agence Singularités), Emeline Berton (Mediatone), Garmonbozia, Gary Levermore (Red Sand PR), Gunnar Sauermann (SPKR), Headline Concerts, Holger Troisch, Manya et toute l'équipe de NCN Events, Jessica Schellberg (result promotion), Michael Bohnes (Castle Rock), Muriel Palacio (What the Fest), Noémy (Solstice Promotion), Peter Mastbooms (Bodybeats), Roger Wessier (Where the Promo Is - pardon encore pour le coup de panique avec l'accred perdue deux jours avant le Hellfest en 2022 !), Signal Zero, Sébastien Gamez (Season of Mist), Tangui (A Jeter Prom), Sounds Like Hell Productions, Stéphy (La Fouache), Sylvain Onodrim (Black Speech / Onodrim), Thibaud GL (School's Out Prod), Thierry Boucanier, Torny Gottberg (Progress Productions), Valérie (JTM Consulting), Vanessa Seewald (prime entertainment), Vangelis (Sanit Mils), Veryshow, William Zimmermann (Moon Coil Media), Xavier Darasse (Persona Grata), Yannick (Elektro Chok / Punish Your Machine / Celtic Circle), et puis toutes les personnes que l'on oublie forcément. Enfin, merci à vous, là, qui nous lisez de temps ou temps ou régulièrement et dont la curiosité permet à ces scènes qui nous sont si chères de continuer à vivre. Vous nous lisez, on vous voit, on vous remercie... bien que l'on se demande ce que vous faites encore sur le site à lire cette phrase : vous êtes du genre à lire les génériques jusqu'à la fin au cinéma ? C'est inquiétant.

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe