Chronique | Rome - The Lone Furrow

Pierre Sopor 28 août 2020

Du côté de ROME, les sorties se suivent à un rythme parfois vertigineux alors que le prolifique Jérôme Reuter semble ne jamais s'arrêter. On n'a pas forcément eu le temps de digérer Le Ceneri Di Heliodoro ni The Dublin Session, tous deux sortis en 2019, et encore moins les deux albums consacrés uniquement aux aspects plus ambients et industriels de ROME (Käferzeit en 2019 et Gärten und Straßen en 2020) que l'artiste luxembourgeois est déjà de retour avec un sacré morceau plein d'invités prestigieux, The Lone Furrow.

Malgré des sorties rapprochées, l’exigence a toujours été de mise pour ROME et son mélange de neofolk et d'indus martial minimaliste, anxiogène et poétique à la fois. Notre appétit avait été aiguisé plus tôt cette année alors que Reuter chantait sur le meilleur titre du second album de ME AND THAT MAN, side-project d'Adam "Nergal" Darski (BEHEMOTH) : on avait hâte de retrouver sa voix sépulcrale et sa guitare. Et pourtant, à la découverte de la tracklist, une crainte naissait : celle de voir ROME se diluer et s'éparpiller au fil des titres, la longue liste de guests risquant de dénaturer le projet. Il n'en est rien.

Certes, l'album est peut-être le plus varié de la discographie de ROME mais en bon chef de bande, il dirige ses invités d'une main de maître, les pliant à son esthétique sonore au gré d'interludes en spoken-word (JJ de HARAKIRI FOR THE SKY accompagné d'un seul piano sur The Lay of Iria, ça marche à mort), de duos inspirés (Nergal rendant notamment la politesse à Reuter sur l'épique The Angry Cup dont l'évolution vire à l'incantation flippante) ou des mystérieux chœurs de l'unique Laure Le Prunenec (RÏCÏNN, IGORRR) sur la superbe Palmyra, où les deux artistes se risquent au chant en français.

Ce qui surprend dans The Lone Furrow, c'est cette rage nouvelle que l'on décèle chez Reuter. Toujours mélancolique, poétique et gracieuse, sa musique semble habitée d'une colère nouvelle et d'un pessimisme qui transpirent fréquemment (Kali Yuga Über Alles et ses percussions martiales, ou On Albion's Plain, relecture de Working Class Hero toute en amertume, ne font que peu de mystères sur l'humeur générale). La voix grave du musicien se fait incisive, agacée, parfois même autoritaire.

Ces sentiments plus violents et les interventions d'autres voix donnent à The Lone Furrow une ampleur particulière, le démarquant au sein d'une discographie marquée par la régularité et l'excellence. Moins minimaliste peut-être, avec une importance nouvelle donnée aux arrangements orchestraux qui apportent une intensité dramatique souvent poignante, mais toujours sobre et élégant, ROME ne déçoit pas, ROME surprend, ROME impressionne et séduit toujours autant.