Chronique | Rome - Parlez-vous Hate?

Pierre Sopor 28 janvier 2021

On connaît Jerome Reuter, on le sait prolifique. Néanmoins, l'état du monde ces derniers mois a probablement facilité la conception de Parlez-vous Hate?, nouvel album de l'artiste luxembourgeois, alors que l'excellent The Lone Furrow n'a même pas six mois.

Parlez-vous Hate?, un titre qui résonne forcément avec l'actualité : ROME a souvent eu un regard acerbe sur le monde et on n'attend pas moins du projet neofolk que son habituel mordant. Pourtant, on est surpris par le ton général : dès le morceau-titre, on est entraîné par une guitare conquérante et un refrain accrocheur. ROME sonne étrangement détendu,  voire carrément facétieux et l'impression se confirme souvent tout au long de l'album, alors que les titres catchys se succèdent donnant à l'ensemble une tonalité rock'n'roll aussi surprenante que bienvenue. On est bien loin de la rigueur minimaliste hantées par le timbre sépulcrale de Reuter. Death From Above ou You Owe Me A Whole World sont irrésistiblement cool. Désolé Jerome, on t'a connu plus austère, mais là tu es particulièrement engageant et, oserons-nous le dire, fun.

ROME, fun ? Qu'est ce qu'on va raconter, là ? Pourtant, si. On peut s'amuser de cette relecture tordue de Springsteen sur Born in the E.U. qui, derrière ses airs d'hymne fédérateur, cache forcément une critique du nationalisme et une défense de la démocratie, si menacée (l'album nous plonge d'ailleurs, dès son introduction, dans une utopie fasciste, Shangri-Fa). Reuter n'a pas changé son fusil d'épaule mais fait preuve d'une ironie nouvelle et assez délectable, qu'il enrobe dans ses balades aux sonorités presque pop, d'une puissante efficacité, sans jamais rien perdre de sa superbe. Quand il revient à ses amours martiales et industrielles, ça donne par exemple Panzerschokolade, nouvelle boutade aussi glaçante qu'amusante. La mélancolie n'est jamais loin (Der Adler Trägt Kein Lied, Feral Agents), car ROME ne saurait non plus trahir son ADN.

Parez-vous Hate? est en fait la suite parfaite de The Lone Furrow, son album compagnon idéal : plus simple, dépouillé de ses nombreux invités prestigieux, il déguise la rage, l'amertume et les critiques de son auteur derrière une forme agréable dès la première écoute et quelques jeux de mots ludiques. C'est un album varié, facile à aimer et dont la puissance provient aussi bien de de cette forme si séduisante mais aussi de son intelligence. ROME est en état de grâce et, en un temps record, a sorti deux pépites cohérentes et complémentaires.