Chronique | ANA IESU - LA CHAIR ET L'IDEAL

Pierre Sopor 13 décembre 2025

ANA IESU est, pour le moment du moins, bien énigmatique : le duo black metal / noise / indus français a émergé des ténèbres au long de l'année 2025. Un premier titre en début d'année, quelques apparitions sur scène... et, déjà, LA CHAIR ET L'IDEAL, un premier album enregistré live fin 2024. Parcourez donc les titres, écrits en majuscules, et vous comprendrez vite qu'on ne va pas traverser tout cela sans se faire quelques bleus : tourments exacerbés, souffrances psychologiques aux échos physiques, ANA IESU fait dans l'exorcisme.

Enregistré live, un détail qui a son importance : il y a tout au long de LA CHAIR ET L'IDEAL une authenticité, un truc viscéral spontané qui en est sa plus grande force. Les cordes vocales saignent, la rage, les peines et les peurs explosent. DOREE, CREVEE nous plonge dans une tempête aux airs d'apocalypse personnelle alors que les machines nous charcutent. Leur réverbération ajoute à l'ampleur. Ouais, un titre à peine et déjà on sent qu'ANA IESU va nous laisser le genre d'impression qui se grave à même la peau avec un objet rouillé et pas désinfecté.

On pense parfois à Lingua Ignota, les touches néoclassiques et l'orgue en moins... et pas uniquement pour ces titres en majuscule, comme criés, ni parce que l'un d'eux s'appelle DE LANGUE INCONNUE. Il y a cette même approche cathartique absolue, sans retenue, ce même besoin de transformer la noirceur en une tempête presque mystique, cette même tendance à nous tétaniser avec des hurlements terrifiants. D'ailleurs, figurez-vous que d'après les traducteurs automatiques, "ana iesu" voudrait dire "et Jesus" en maori... Probablement un sacré hasard, mais qui accentue la dimension mystique d'une tracklist que l'on peut relire comme un calvaire messianique au féminin, entre évocations du divin et final en forme d'abandon sous le ciel bleu ! Comme quoi, quand on veut trouver des connexions, non seulement on en trouve, mais en plus on raconte n'importe quoi.

On arrête les divagations, on n'est pas là pour rigoler. Les machines nous charcutent, la voix nous écorchent, quelques notes fantomatiques se répètent jusqu'à devenir aliénantes : rien n'est rassurant, rien n'est apaisant. Pourtant, l'électronique, malgré son approche souvent bruitiste, pose aussi des rythmiques qui aident l'auditeur à accéder à ce magma de bruit et de fureur, pulsations hypnotiques qui nous impriment les morceaux directement dans le crane. Paradoxalement, ANA IESU est aussi douloureux et opaque qu'accessible, grâce justement à ces touches industrielles qui lui donnent des airs de rituel incantatoire. Rassurez-vous, cependant : vous n'allez pas danser.

Ce monolithe de noirceur s'humanise un tantinet à mi-parcours en laissant fugacement place à sa vulnérabilité. DIEU QUELLE TRISTESSE puis FLECHES ET FLAMBEAU ont ce parfum de défaite, de désespoir et nous rappellent comme les silences peuvent être plus violents et inquiétants que les chaos sonores les plus intenses. Black metal, éruptions harsh noise : on n'est pas là pour se faire épargner. C'est dans ses derniers instants que LA CHAIR ET L'IDEAL est le plus fort, avec ABANDONNEE, quand des sanglots paniquées laisse place à des machines à la lourdeur funèbre, nous abandonnant à notre tour dans un brouillard synthétique étouffant d'où s'extirpe une mélodie menaçante, comme une suite de celle de DE LANGUE INCONNUE. On ne pourra pas reprocher à ANA IESU de faire les choses à moitié, ni de manquer d'idées : jamais on ne s'accoutume à la souffrance et la folie de ce premier album, qui nous brinquebale dans un univers impressionnant, où les émotions sont aussi puissantes que les sons qui nous ratatinent. C'est radical, ça fait mal, c'est massif, effrayant et beau.

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Pierre Sopor

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