Facétieux Jean-Jérôme Souladié ! Quelques semaines avant la sortie d'VLTRA LIBRA, il nous racontait au cours d'une interview avec son groupe cold wave / gothic rock Sang Froid aimer les ambiances "château et chauve-souris" et avouais parfois se faire plaisir en allant à fond dans cette direction gothique théâtrale. On le retrouve avec ce projet / album surprise qu'il présente comme la synthèse de ses différents travaux, de Sang froid à Regarde les Hommes Tomber : la morsure du black metal, les brumes de la darkwave, les splendeurs gothiques, la funeste pesanteur du doom, l'élégance feutrée de la musique classique... Il cite les influences de Paradise Lost, Emperor, Ulver mais également Dead Can Dance. Enregistré en solo, sans label ni rien, cet album s'inspire du Dracula de Coppola qu'il cite de manière explicite dans ses titres... voilà qui, déjà, installe un décor effectivement très "château et chauve-souris" !
"Vois Moi" : l'album d'VLTRA LIBRA commence avec les mots par lesquels le célèbre Comte amène Mina Harker à le remarquer dans les rues de Londres, un choix qui évoque autant la menace que le romantisme baroque du film de 1992. Un piano lugubre, un écho lointain de guitare qui traine comme les lamentations d'un fantôme... puis des riffs écrasants et grandiloquents : dans le genre évocateur, c'est plutôt fort ! Au loin, la voix claire nous parvient comme au travers d'un voile, sort lancé depuis les abîmes du temps. On te voit, Jean-Jérôme, mais surtout, on t'écoute !
On parcourt alors l'album comme on se perd dans les ruines d'un château sinistre, ses longs morceaux devenant alors de couloirs obscurs menant à une multitude de pièces pleines de sombres secrets. VLTRA LIBRA jongle avec les genres et les esthétiques pour mettre sur pied un univers cohérent dédié à la nuit et ses mystères. Comme un vampire qui traverse les époques, le compositeur associe ses penchants pour les synthétiseurs (la final darksynth de la très black metal La nuit je m'envole pourrait être un prolongement Carpenterien de ses expérimentations avec ULTRA BALANCE) et son goût pour le minimalisme d'un piano classique (Crepusculaire No. 1 in C minor, très belle parenthèse de poésie funèbre). La durée des titres se prête à leur portée narrative, à leurs retournements de situation, à leurs mutations.
Malin, Souladié ne recycle aucun gimmick de la mythique bande-originale de Wojciech Kilar. Sa vision est personnelle et l'on peut d'ailleurs s'amuser à y reconnaître sa touche alors qu'il vampirise ici ou là ce qu'il a pu faire dans ses précédents projets. Ainsi, La Dentelle Noire, procession funèbre solennelle, commence comme un titre de Sang Froid en moins dansant et urbain - Ô Caniveau transposé au cimetière, en somme, alors que le mélange des influences des parties plus metal rappelle ce goût de liberté qui, déjà, empêche de classer Regarde les Hommes Tomber dans un genre. La liberté, c'est ce qui motive VLTRA LIBRA, affranchi des carcans de genre. Que ce soit dans la frénésie du metal extrême ou les hallucinations fiévreuses suggérées par les couches synthétiques, dans ce chant clair spectral ou les borborygmes saturés putrides, VLTRA LIBRA donne vie à cette nuit fantasmagorique intense, exaltée.
Le résultat, d'une sépulcrale flamboyance, a cette puissance qui enflamme l'imagination. Apogée et conclusion de ce superbe cauchemar, Night Symphony No. 1 a cette démesure macabre fascinante, à la fois terrifiante et séduisante : dans cette ôde à la noirceur se retrouve condensé tout le talent de compositeur de Jean-Jérôme Souladié, qui promet déjà travailler à la suite. On y devine son amour pour la musique sous toutes ses formes, qu'elle soit autonome ou illustration cinématographique... mais aussi un certain sens de la mise en scène. Entendez-les, ces chœurs lointains d'outre-tombe, ces violons paniqués, ces guitares endeuillées, ces synthés échappés d'un film d'horreur des années 80... les enfants de la nuit, en font-ils une musique !
