SANG FROID, vague froide, villes froides... et soleil.

SANG FROID, vague froide, villes froides... et soleil.

Pierre Sopor 16 novembre 2025 Maxine & Pierre Sopor

Quelques heures avant de monter sur scène à la Marbrerie (on vous racontait ça), la formation cold wave Sang Froid a pris le temps de papoter avec nous de son univers. C'était le soir d'Halloween mais pas question de bonbons ni de sorts : chez Sang Froid, le monde est... froid ! La mélancolie urbaine faite de solitude et de nuits éclairées par des lampadaires blafards inspire les Nantais. Jean-Jérôme (JJS, guitariste et compositeur principal), Thomas (TC, chant) et Ben Notox (synthés) nous parlent de leur rapport au genre, alors que deux d'entre eux viennent du metal extrême et répandent les ténèbres au sein de Regarde les Hommes Tomber. Méfiez-vous, il se pourrait qu'il soit question de soleil à un moment : les lunettes noires sont de rigueur.

La photo d'illustration est signée Morgane Fringand.

Sang Froid est un groupe ancré dans le réel, notamment avec vos looks sur scène qui sont très "normaux". La question est-elle venue de vous looker un peu plus, comme des goths dans un groupe batcave, d'autant que ce soir c'est Halloween ?
TC : Personnellement, ça ne m'a jamais traversé l'esprit. L'idée était de retranscrire quelque chose de très concret dans Sang Froid, une atmosphère très urbaine et assez réelle. Les textes parlent du quotidien même s'il y a quand même de la profondeur. L'idée n'est pas de jouer un jeu, c'est d'être nous-même.
JJS : Culturellement, on vient plutôt de la scène metal à la base, on n'a pas forcément ces codes goths, que ce soit au niveau du look ou du maquillage. Sang Froid est un side-project de Regarde Les Hommes Tomber dans lequel on ne voulait pas se mettre autant de pression, on voulait la jouer plus cool et urbain. L'esthétique goth est juste dans la musique, même si on aura quand même les vestes en cuir ! 
TC : On parle pas mal d'émotions au sens brut, l'idée n'est donc pas d'avoir un avatar sur scène ni de se cacher derrière un masque, mais d'être plus humain. 

Il y a quand même des chauves-souris sur la pochette de All-Nighter, les synthés sont parfois mystiques et tendent vers de sonorités SF, Ô Caniveau a même un côté presque baroque ! Êtes-vous tentés d'aller vers quelque chose de plus théâtral ou fantastique ?
JJS
: J'apprécie beaucoup le doom et le black metal mélodique, justement pour ce côté grandiloquent. Ça fait partie de mes influences ce qui explique que ça se retrouve souvent dans mes compositions. C'est Ô Caniveau qui retranscrit le mieux cet esprit. J'ai un peu lâché les chevaux en écrivant ce morceau hyper goth, hyper château, hyper chauve-souris ! Parfois on peut déborder et se faire plaisir comme ça ! Après, c'est un morceau qu'on aime beaucoup jouer et qui est assez apprécié, alors pourquoi ne pas creuser un peu plus par là, c'est clair !

Quand on voit Hangman's Chair ou Perturbator par exemple, on se rend compte que l'univers urbain prend de plus en plus de place. La cold wave moderne est-elle plus une musique de rue que de caveau ? 
JJS : En fait, on a un peu le cul entre deux chaises entre le gothic rock et la cold wave. La cold wave, c'est vrai, tire plutôt vers cet univers urbain un peu sombre et déprimant tandis que le goth rock va plus vers ce côté plus grandiloquent, maquillé etc... on navigue tout le temps entre ces deux eaux, c'est pourquoi notre esthétique est plus urbaine et notre musique un peu plus mystique. C'est vrai qu'on a du mal à choisir une voix.
Ben : On n'est pas obligés de choisir une voix ! C'est bien de revisiter les styles aussi.

Sang Froid a été crée juste avant la pandémie. Quel rôle joue Nantes, cette ville d'où vous venez et que vous mettez beaucoup en avant ?
TC :
Nous avons créé ce projet littéralement trois mois avant la pandémie sans savoir ce qui arrivait. Se promener dans un Nantes vraiment désert a beaucoup inspiré mes textes. On a tous bien apprécié ces balades en ville je pense, surtout la nuit.
Ben : Oui, complétement. Sur nos pochettes, on a mis en avant tous ces totems qui dépassent : la tour de Bretagne, les grues... on a joué avec ces ambiances.
JJS : Notre inspiration visuelle vient justement de l'esthétique cold wave et de tous les groupes anglais ou même de l'est, des années 80 ou plus récents comme Molchat Doma, qui mettent en scènes des hangars délabrés, leur architecture... 
TC : L'idée était de rendre hommage à cette ville que l'on aime beaucoup. 

Pourtant, les paroles sont très sombres !
TC : Oui, la ville est plus vue comme un refuge si tu veux, ça reste un trip solitaire, solennel. Elle n'est pas vue comme exaltée mais plutôt une grotte intérieure, un décor. 
JJS : Un décor dans lequel on erre. C'est ce que l'on a voulu retranscrire dans notre clip Proudly Ruining Yourself, dans lequel ce personnage dépressif erre tout seul dans les rues de Nantes la nuit. Elle est le théâtre d'une vie dépressive et nocturne.

Et maintenant que la pandémie est passée et que les rues sont à nouveau fréquentées ?
TC : Elles restent désertes la nuit donc ça va !

Y a t-il d'autres endroits qui pourraient vous inspirer autant ?
Ben : Beaucoup de grandes villes que j'ai connues et dans lesquelles j'ai pu déambuler la nuit. Des capitales comme Londres, Berlin, Bruxelles...  La vilaine vie dans toutes ces villes : le principe est le même, on l'a juste retranscrit à l'endroit où l'on vivait. 
JJS : C'est ce sentiment de se sentir seul dans une grande ville tentaculaire, malgré les centaines de milliers d'habitants. C'est vraiment le thème de All-Nighter
Ben : C'est un thème très moderne finalement. 

Comment avez-vous convenu ensemble que Thomas serait le chanteur sur ce projet ? D'autant que le chant clair a dû être un défi ! 
Ben :
Tout s'est fait naturellement entre nous. JJ est arrivé avec ses compositions, il m'a dit "je veux faire de la cold wave un peu électro, je ne sais pas trop" ! Puis on a bossé les morceaux, on s'est dits "tiens, Thomas va faire le chant"... Tout s'est construit au fur et à mesure, sans plan préconçu à la base. Il en est de même concernant l'esthétique du groupe. 
TC : Oui, avec le covid, on a eu le temps de construire tout ça !
JJS : Avec Regarde les Hommes tomber, on sortait de la composition du troisième album qui fut plutôt tumultueuse, c'est un projet sur lequel il y a un cadre très strict et dans lequel il faut respecter certains codes. C'est la raison pour laquelle nous avions envie de faire quelque chose de complètement différent pour souffler, avec beaucoup plus de liberté créative. C'est là que j'ai commencé à composer et étant donné qu'avec Thomas ça s'est toujours bien passé humainement, je lui ai demandé s'il serait d'accord pour essayer de chanter en voix claire.
TC : Je l'ai pris comme un défi !
JJS : Tout le projet en soi est un défi ! Sommes-nous capables ou non de faire autre chose que du metal ?
TC : J'ai commencé le chant metal quand j'avais 17 ans et je n'avais jamais chanté en chant clair. J'étais assez peureux au départ. Il ne suffit pas simplement de crier comme avec le chant metal, il faut être juste. Tu es vraiment à poil ! Il faut que tu aies l'intention sans trop en faire, l'émotion sans trop en faire...  Il faut que ce soit un travail de précision, alors j'ai bossé tout simplement, dans ma cave, et ça l'a fait. Je ne prétend pas être un grand chanteur juste mais je fais ce que j'aime et c'est le principal. 

Tu écris tous tes textes dans ce projet, quelles sont tes inspirations ? Les thèmes abordés sont-ils personnels ? Ont-ils fait l'objet de discussions entre vous ? 
TC :
Les textes restent très intimes même si j'essaie de laisser une part libre à l'auditeur afin qu'il puisse se faire sa propre interprétation sur ce qui est raconté. Les thèmes sont le manque de sommeil, la dépression, les addictions, l'alcool... des sujets personnels mais qui restent des choses assez banales pour plein de gens, finalement. L'idée était d'en parler dans une certaine intimité mais en gardant une lecture assez globale pour que tout le monde s'y retrouve. C'est venu assez spontanément et ça a été validé par les gars donc ça s'est fait comme ça. 
JJS : On lui a laissé carte blanche totale sur les paroles et ce qu'il nous a proposé nous a tout de suite plu, donc on est partis là dessus !
TC : Concernant mes inspirations, il y en a plusieurs bien sûr. Il y a un bouquin que je trouve hyper goth et assez fondateur, Belle du Seigneur d'Albert Cohen. C'est un pavé très gothique qu'il faut lire ! Le loup des steppes d'Hermann Hesse, Dracula forcément... On ne se refait pas !

Dans quel état d'esprit composez-vous ? Avez-vous besoin d'être dans cet état d'esprit négatif ou trouvez-vous une forme d'apaisement en créant ?
TC :
C'est l'éternel débat... faut-il être malheureux pour créer ? Je pensais que oui, mais j'ai découvert récemment que non !
JJS : La musique est toujours un peu cathartique, ce que tu sors vient du fond de ton âme... Mais paradoxalement, la période pendant laquelle je suis le plus créatif est l'été, quand il y a du soleil ! Pourtant je compose des trucs tristes et goths, mais je compose mieux l'été, quand il fait chaud et que tout le monde est de bonne humeur... comme quoi ! Il y a quelque chose de propice à la création, je ne sais pas te dire pourquoi. Tout le monde te dira que l'hiver pour créer c'est génial... moi, c'est l'été !
Ben : Quand tu as du temps, c'est là au fond de toi... 
TC : Quand tu es au camping !
JJS : Je dirais plutôt que c'est cyclique et que je compose mieux une fois que j'ai pu digérer toutes les émotions, le vécu, ou les traumatismes de l'année en cours. Quand arrive l'été, je suis bien, j'ai pu digérer tout ça, et là, je peux composer. Ce n'est pas le cas de tout le monde mais je fonctionne comme ça. Par contre si c'est un été sans soleil, pendant lequel il fait froid, c'est plus compliqué ! Étant métis, peut-être que ça a un rapport avec la mélanine, je ne sais pas ! J'ai besoin d'énergie solaire. 
Ben : Pourtant j'ai l'impression qu'à Nantes on a la même saison toute l'année !
TC : Pour moi c'est plutôt une histoire de chapitres de vie, ce que tu traverses à l'instant T et comment tu le vis, plus que les saisons.

Le rock gothique et la cold wave reviennent semblent à la mode chez les musiciens metal, notamment extrême. On a pu l'entendre récemment chez Cemetery Skyline, Tribulation ou quand Paradise Lost a lancé son side-project Host il y a deux ans, par exemple. Pourquoi pensez-vous que les metalleux assument de plus en plus de danser sur des synthés ? 
JJS :
J'ai une théorie ! Ces gens là commencent à avoir entre quarante et cinquante ans aujourd'hui, ils ont grandi dans les années 80/90, période durant laquelle la cold wave et les syhthés étaient très à la mode. 
Ben : Tu ne pouvais pas passer à côté de The Cure et Depeche Mode, ça passait beaucoup en radio.
JJS : Quand tu arrives à la quarantaine tu reviens un peu à tes premiers amours, à tes premiers coups de cœur musicaux. Il y a des choses que tu kiffais écouter au lycée mais tu en avais honte alors tu te cachais. A quarante ans, tu assumes pleinement et tu as envie de jouer les trucs que tu kiffes réellement.
TC : Il y a quand même pleins de ponts entre tous ces genres, le prisme reste sombre, on fait du rock gothique pas du ska donc le lien est assez évident. 
Ben : Au Samaïn Fest par exemple, il y avait des gros metalleux bretons qui bougeaient leurs popotins, ça fonctionnait très bien !
JJS : Au Tyrant Fest, ils ont presque bougé la tête ! Ils sont restés, en tout cas...

Et vous, venant de Regarde les Hommes Tomber, est-ce quelque chose que vous auriez assumé il y a 10/15 ans ?
JJS :
Peut-être !
TC : Pas tant que ça.
JJS : A l'époque en tout cas, on n'en ressentait pas le besoin. C'est vrai qu'aujourd'hui on peut plus facilement mixer différentes musiques et assumer ce mélange des genres. Nous venons d'une génération où c'était la guerre des chapelles. Il y a avait le clan des goths, le clan des metalleux, le clan grunge, etc... Alors que maintenant les jeunes s'en fichent et écoutent aussi bien du black que Beyonce. Il n'y a plus de règles et cette période est vraiment cool pour sortir de sa zone de confort. 

Malgré une scène cold wave bien présente en dehors de la scène metal, Sang Froid est souvent programmé lors d'évènement metal. Comment l'expliquez-vous ?
JJS :
Oui parce que malgré tout, avec Regarde Les Hommes Tomber, on reste catégorisés dans ce style-là. C'est le même problème que rencontrent Carpenter Brut ou Perturbator, ils ont beau faire de l'electro, de la techno ou de l'indus, ils ne font que des évènements metal. Nous venons de cette scène, alors on a du mal à exister ailleurs, c'est très paradoxal. 
Ben : Perturbator est un bon exemple. Ce qu'il fait est purement electro mais j'ai plein de copains qui sont dans ce milieu qui ne le connaissent absolument pas ! Avec Carpenter Brut, ils sont dans la catégorie "electro pour metalleux", ils ont fait tellement de festivals metal comme le Hellfest que leur musique n'est pas médiatisée dans les autres milieux, malgré sa qualité et la reconnaissance qu'ils ont acquise. 
JJS : Quand tu viens d'un milieu, c'est vraiment très dur d'en sortir. Nous serions vraiment très curieux de jouer devant un public vraiment goth ! Mais il y a aussi le fait que pour faire exister le groupe, on s'est appuyés sur notre réseau existant. 
TC : On est tributaires d'un booker qui fait initialement du metal aussi, et peu sont spécialisés dans le goth. Ce sont des réseaux assez imperméables et ils sont peu nombreux. C'est aussi une question de temps, le projet est très récent. 
Ben : Oui, c'est en train de changer doucement, nous sommes programmés à l'affiche d'un grand festival goth et electro-indus l'année prochaine en Espagne, le Dark City Fest, avec Front Line Assembly notamment. Ça nous fera peut-être un peu sortir de la boite ! Personnellement, je viens plus de la scène gothique et industrielle donc j'aimerais un peu voir ce que ça donne en Allemagne. Une fois, un couple de l'Est de la France est venu nous voir après l'un de nos concert en nous demandant de venir jouer là-bas parce qu'ils n'ont que des groupes un peu vieillissants dans cette scène-là... donc c'est de la communication à faire. On a quand même fait la première partie de Front 242 à Nantes, c'était excellent, j'en étais très content.

Tu dis que tu viens de la scène gothique et industrielle, est-ce une scène que tu continues de suivre en France ?
Ben :
J'écoute pas mal de techno même si c'est un genre avec beaucoup de crossover, et le groupe que je suis actuellement, c'est Kompromat, qui réunit Vitalic, que j'aimais déjà beaucoup, et Rebeka Warrior de Sexy Sushi, qui vient du punk, de la techno et de l'underground. Ils cartonnent en ce moment. Ils parlent à la fois à la vieille et à la jeune génération, il y a tous les âges dans le public. On ne peut pas qualifier ça de goth mais ils sont partis sur un truc un peu cold hyper qualitatif, Vitalic niveau machine, ça envoie quand même ! 

Aujourd'hui c'est Halloween, est-ce une fête que vous avez fêtée quand vous étiez-jeunes ? En avez-vous des souvenirs ?
JJS :
Pas du tout ! 
TC : Ce n'était pas du tout intégré culturellement en France à l'époque.
Ben : On fêtait la Toussaint, on allait au cimetière !

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe