“Halloween ! Halloween ! Les citrouilles chantent et les chauves sourient”... Vous connaissez la chanson. Le Bal & la Bête aurait dû se tenir à Bal Chavaux, une nouvelle salle située à l'emplacement de l'ancien cinéma Le Méliès. Au final, Bal Chavaux n'était pas prêt à temps, rendez-vous donc quelques mètres plus loin à la Marbrerie pour une soirée organisée par Sanit Mils, le Metal Social Club et HornsUp. Le marbre, c'est cool, ça sert à faire des tombes, donc ça nous va tout aussi bien ! Avec ses espaces différents, la Marbrerie est bien adaptée à l'événement, devenant lieu de (non) vie, avec son espace restauration, son stand de tatouages... c'est cozy et l'on y croise plusieurs goules costumées (mention spéciale à cette impressionnante gorgone). Bref, on s'y sent bien.
Le programme est riche et éclectique, sans réelle tête d'affiche puisque chaque groupe a droit à environ la même durée de set. Alors que le public commence à arriver sur place, on s'apprête à déjà assister au concert le plus spécial de la soirée.
LIGHT OF THE MORNING STAR
Ce qui rend ce premier concert si spécial est sa rareté. Light of the Morning Star cultive un certain mystère. Leur unique apparition en France remonte à 2018... mais ce n'est pas tout : ce soir n'est que leur deuxième concert depuis 2018, tout court. Les voir apparaître en cette soirée spéciale, quand le voile entre le monde des vivants et celui des morts est au plus fin, ne devraît pas nous surprendre... Ainsi, les morceaux du merveilleux album Charnel Noir, paru en 2021, et de l'EP Wings in the Night Sky de 2024, n'ont jamais vraiment eu l'occasion de hanter leur public "en vrai". Pourtant, c'est avec les notes spectrales de Nocta, une piste du premier album, que le rituel commence, d'emblée lourd et captivant.
O-A, le cerveau anonyme du projet, incante dans les ténèbres. Les lunettes noires et les machines à fumée sont de rigueur : Light of the Morning Star a bien mérité son étiquette gothique, évoquant les souvenirs de Mario Bava, Nosferatu, Peter Cushing et Vincent Price. Avec sa théâtralité et sa gravité, la musique impose quelque chose d'occulte et solennel. Derrière le groupe sont projetées des images de procession, des silhouettes encapuchonnées portant un cadavre... C'est mystique, macabre et fascinant. Chaque piste dégage le parfum exaltant d'une nuit d'hiver mais semble également contenir les mystères dissimulés derrière le couvercle de la tombe.
Le couvercle s'entrouvre, on frissonne. Lid of a Casket retentit. O-A se lamente de sa voix sépulcrale. “Caskets, caskets, spirits ride through their lids”: alors que ceux qui portent une casquette se sentent visés, ce soir, les spectres sont de sortie et aucune tombe ne sera capable de les retenir. L'atmosphère est glaçante, Burial Chamber Cold nous hypnotise, les guitares de Coffinwood grincent comme une marche funèbre gothic rock... Dans la pénombre, on se régale alors que le groupe rend hommage à toute sa discographie, du premier EP avec Black Throne Ascension jusqu'aux pistes les plus récentes. Tout est imposant, majestueux, irrésistiblement noir et opaque. Les morceaux sont séparés par des larsens et le public, qui commence à se rassembler devant la scène, ne sait pas vraiment quand applaudir, comme lors d'une veillée funèbre. Le rituel nécromantique s'achève avec Charnel Noir, mais le sortilège continue de faire son effet longtemps après. Si la rareté donne sa valeur à l'événement, on espère tout de même revoir Light of the Morning Star bientôt. En attendant, nous continuerons à apprécier ce sombre secret à l'ombre de notre caveau.
GRAVEKVLT
Comme on peut le deviner à l'enthousiasme du public, Gravekvlt est déjà grave culte et le changement d'atmosphère est radical. L'intro de Mr Crowley d'Ozzy Osbourne retentit alors que le groupe prend place sur scène. Cette fois, les lunettes noires ne sont pas là pour faire gothique mais pour frimer et assumer un côté rock'n'roll retro. Gravekvlt s'écoute en portant des jeans bleus trop serrés.
Tout de suite, le rythme accélère. Leur mélange punk / black / speed metal va très vite. Comme avec Light of the Morning Star juste avant, les fans de films d'horreur ont de quoi s'amuser avec l'imagerie bien que l'atmosphère gothique a laissé place à une série B saguinolente. Gravekvlt attaque, mort, rugit. C'est agressif et festif à la fois... Pourtant, c'est quand leur frénésie se calme qu'on les prefère. La parenthèse sinistre de Frozen Grave, avec ses évocations macabres qui vont si bien avec le thème de la soirée, ou les touches dissonantes quasi batcave de Last Skeleton's Dance offrent des variations bienvenues tout en épaississant l'atmosphère.
Cependant, pour pogoter comme des zombies décérébrés parmi les tombes, les riffs de Goat'n'Roll's et le groove de Fangs of the Night, avec sa voix claire, fonctionnent à merveille. On pense, en vrac, à Mötörhead, Tribulation, Midnight et Venom. C'est rigolo, épique et sinistre à la fois. Une vision années 70/80 de l'horreur ésotérique tout en jouant aux rock stars, un truc qui fait rimer "mise en bière" avec "boire des bières" (hey, on est des punks, on va pas s'emmerder à chercher de meilleures rimes !). C'est aussi coloré qu'attachant, le fun dans les funérailles, en gros.
SANG FROID
Fini les cimetières, les vampires et tout ça. Voici venue l'heure des synthés, le moment où les métalleux vont taper dans leurs mains et se dandiner sur de la cold wave. Sang Froid commence dans le noir, avec une Gnossienne de Satie en fond. Comme d'habitude, le look est sobre et élégant. Pas de lunettes noires pour eux. Puis, Proudly Ruining Yourself démarre, avec sa rythmique catchy, la vois sépulcrale de TC et les guitares de JJS qui apportent un supplément de pesanteur. C'est froid, accrocheur, irrésistible.
Bien que Sang Froid suinte d'une nostalgie affirmée, sous les influences des Sisters of Mercy et Depeche Mode, on apprécie les touches plus modernes des synthés mystiques et futuristes de Ben Notox, ainsi que leur goût pour la lourdeur probablement hérité du background metal des deux musiciens de Regarde les Hommes Tomber (l'intro de Grace & Doom). On s'amuse aussi à reconnaître le jeu de scène de TC... cold wave ou black metal, peu importe, son pied de micro reste son meilleur ami, qu'il brandit et remue tout au long du set. Les ténèbres ne sont percées que de quelques spots rouges ou bleus, le sang et le froid probablement ! Températures négatives dans les veines, certes, mais les fronts se recouvrent de sueur devant la scène.
Les mélodies simples nous collent aux tympans. Une boite à rythme sortie tout droit de la Guerre Froide (très, très froide) impose son rythme à l’irrésistible Silence the Night et sa discipline à The Eleventh Dawn, un morceau porté par son électronique hypnotique et sa voix d'outre-tombe. L'intensité atteint son apogée avec Ô Caniveau, dont la théâtralité grandiloquente et le désespoir sublimée éloignent Sang Froid de son univers urbain et réalise, nous rappelant les cauchemars plus fantastiques et mystiques auxquels Light of the Morning Star donnait vie plus tôt. Une marche funèbre cold wave à la mélancolie écrasante qui plonge la Marberie dans un silence respectueux. C'était un des grands moments de la soirée. "Je crèverai seul, voilà tout" : t'en fais pas, si ça te rassure, on mourra tous seuls. N'est-ce pas réconfortant de savoir que nous sommes tous ensembles dans notre solitude ?
FINAL DOSE
L'heure tourne, les concerts s'enchaînent presque sans répit. Les Londoniens de Final Dose ont pour mission de maintenir éveillées les goules de la Marbrerie. Final Dose a soigné un poil son look : y'a un mec avec une cape et un autre porte une capuche de bourreau !
C'est un peu des punks, après tout, mais qui jouent du black metal, alors on porte des capes mais pas trop non plus, parce qu'il faut avoir l'air d'en avoir un peu rien à foutre. Final Dose n'est pas là pour prendre la pose mais pour nous ratatiner les neurones en mode essoreuse, le tout sous des spots rouges invariables qui ne bougeront pas d'un iota pendant le set. Final Dose nous découpe à toute allure et combine la froideur des forêts scandinaves (les hurlements à la lune d'Eternal Winter, écoutez-les, les enfants de la nuit, quelle musique font-ils !) avec une énergie explosive. On est soufflés par ce batteur, possédé, dont le travail de démolition impressionne.
Ouais, mais bon, il est plus de 23h et on n'a plus vingt ans. On aurait peut-être préféré se faire tabasser par des bourreaux musclés un peu plus tôt dans la soirée. Là, on a un peu de mal à suivre le rythme, on profite alors des rares accalmies atmosphériques (l'intro de Rite of Spring) pour essayer de respirer. Final Dose ne fait pas dans les nuances ni les fioritures et a été sans pitié envers son public.
REJECTS
On n'allait quand même pas fêter Halloween sans mentionner les Misfits à un moment ! Rejects est un cover band, donc on se lance dans une petite demi-heure de reprises des classiques de Glenn Danzig, Doyle, Jerry Only et tous ceux qui ont fait partie du groupe au cours de ses cinq décennies de turbulences. Une demi-heure, c'est court mais suffisant pour jouer un paquet de chansons des Misfits et faire la fiesta.
On est agréablement surpris par la voix du chanteur, qui émule fidèlement les cris de loup de Danzig. La setlist fait sautiller le public comme des goules éméchées sur Night of the Living Dead, I Turned into a Martian, Last Caress et Scream!. En toute fin de set, Rejects nous livre bien entendu sa version de Halloween (on vous recommande d'ailleurs de jeter une oreille à la version lente et hantée de Hexvessel !). On n'allait quand même pas fêter Halloween sans la chanson Halloween (allez, John Carpenter, la prochaine fois on pensera à toi aussi) ! C'était fun et fédérateur, un truc pour faire la fête et rigoler entre goules, loups-garou, punks, métalleux et autres créatures étranges !
Cet instant sympathique permet d'achever les concerts sur une note plus électrique et légère. La Marbrerie a célébré Halloween comme il se doit, de diverses manières. Metal gothique, black metal, cold wave, des goths, des punks... On a rigolé, on a invoqué de sombres créatures, on a été tristes. On espère que cette espèce de mini-festival, dont la ligne éditoriale était plus dictée par la date que par un genre musical spécifique, aura droit à une suite... Après tout, les monstres ne sont jamais vraiment vaincus et reviennent se venger dans tout un tas de suites, alors qui sait... à l'année prochaine, peut-être !
 

















































































