Depuis son premier album Svitaye, Palaye, Morwan a évolué. Le projet post-punk de l'Ukrainien Alex Ashtaui est devenu un duo avec l'arrivée du bassiste Stefan Shtuchenko (également actif au sein de Кадриль / Quadrille) bien qu'Ashtaui continue d'en écrire la musique et les paroles. Rassurez-vous, si jamais vous aviez déduit au titre de ce nouvel album (Vse po kolu, znovu peut se traduire par "tout recommence, encore une fois") que Morwan comptait se répéter, détrompez-vous.
Bien sûr, on y retrouve toujours ce chant grave et scandé et ce goût pour les atmosphères urbaines et froides... mais très vite, on découvre à Morwan une nouvelle intensité. Все По Колу, Знову, son morceau-titre, nous saute au visage avec une énergie nouvelle, une agressivité punk qui s'approche du metal. Les introspections shoegaze de Morwan se sont transformées en orage, qu'une batterie à la réverbération industrielle confiée à Lupashko Oleksii vient faire exploser. Hymne rageur et hypnotique, Без обличчя gagne en ampleur et nous martèle son texte pour mieux nous l'incruster dans le crâne. Morwan s'est étoffé et s'est assombri (Остання мить, sinistre, vire à l'incantation avec ses synthés étouffants et son chant affligé, comme une rencontre entre doom et post-punk). Plutôt que de se diriger vers une épure à la Molchat Doma ou Ploho, Morwan cherche au contraire une nouvelle complexité sonore avec des touches noise rock à la fois torturées et organiques, comme une continuité de ce qu'était le morceau Грім sur le précédent album.
Plus rythmé, ce deuxième album est aussi plus rentre-dedans et plus accrocheur. Il y a quelque chose d'aliénant dans cette fièvre faite de nuages et de bétons (la mélodie de Мої дні, motif frénétique qui introduit des paroles balancées comme un slogan, les litanies Чорні схили qui spiralent infiniment vers les ténèbres). On repense alors au titre de l'album : plus que stagner artistiquement, les répétitions mentionnées par Morwan sont surtout celles des phrases musicales, qui s'épaississent au fur et à mesure que les morceau enflent. Cette transe moderne trahit plus un asservissement à un monde impitoyable qu'un rituel ancestral, se faisant l'écho d'une routine vide de sens répétée jusqu'à l'épuisement. Ce deuxième album est autant l'expression furieuse de ce mal-être que son remède, une incantation pour sortir de cette réalité dont nous sommes esclaves.
La basse rebondit, épaisse, les morceaux claquent, mais Morwan n'en oublie pas pour autant de faire respirer ce bloc en laissant ici ou là des influences du Moyen-Orient plus ou moins discrètes apporter à la rigueur minimaliste et radicale de sa musique des pointes de chaleur et de rêveries (c'est flagrant sur На схід, "à l'est"). Quand enfin la cadence ralentit, on en est déjà au dernier titre, tout en mélancolie cold wave. Plutôt qu'un apaisement, Не чекай à des airs de renoncement, de la défaite de celles et ceux qui n'en peuvent plus de la folie et du tapage et qui cherchent à échapper à cette angoisse moderne implacable, au cycle quotidien et machinal de la solitude dans la multitude. Morwan n'a pas perdu son spleen bien actuel qui lui donnait son âme mais y a ajouté des muscles et des nerfs sous la forme d'une rage nouvelle, de pulsions punk et rock qui donnent plus de puissance à la fois à la musique et au propos. Ce gros bloc de noirceur est aussi inquiétant que satisfaisant : rejoignons-nous alors dans un parking souterrain pour le laisser nous posséder et psalmodions tous en rond autour. De toute façon, nos vies n'ont aucun sens.