Éteignez vos éclatants sourires, baissez la voix, retirez votre chapeau : Nero Kane est de retour avec son quatrième album et la chose impose une forme de recueillement. L'artiste dark folk italien y explore à nouveau ses thèmes fétiches que sont la mort, l'amour, la mort, le mysticisme, la mort, la poésie, la mort, le passé (qui est mort) et la mort. Voilà qui pose un décor, en noir et blanc de préférence, austère et mystérieux.
As an Angel's Voice, avec ses nappes funèbres et les incantations élégiaques hallucinées de Marco Mezzadri, est une illustration idéale du propos : entre romantisme spectral et rituel brumeux, il y a dans ce minimalisme suffisamment d'espace pour que l'auditeur y projette ses propres fantômes. Dans sa sobriété et son économie d'effets, Nero Kane dégage finalement une forme de théâtralité contemplative d'où le moindre son semble bondir et prendre un sens cryptique, sacré. On vous laisse découvrir plus bas la superbe vidéo signée Samantha Stella, responsable des visuels mais qui pose aussi sa voix sur plusieurs titres. En un titre de quasi dix minutes, Nero Kane nous a hypnotisés, emprisonnant notre âme dans ses visions enfiévrées et arides à la pesanteur lugubre.
On erre alors dans l'album comme on se perd dans les ruines d'une église. Avec ses quelques accords joués en boucle et sa poésie crépusculaire, Nero Kane fait penser à un étrange croisement entre l'élégance absolue de Jozef Van Wissem (sans le luth), les textes psalmodiés d'Ordo Rosarius Equilibrio, sans les aspects martiaux et l'americana sinistre de King Dude (par exemple sur Mountain of Sin), comme si tout ce beau monde s'était réuni pour signer la musique d'une vision de l'american gothic réalisée par Alejandro Jodorowsky. Un peu de blues (My Pain Will Come Back to You), un peu de dark ambiant, une guitare qui apparait comme un mirage dans le désert (Unto Thee Oh Lord)... malgré le minimalisme, les ombres ne manquent pas. Les échos solennels de Land of Nothing nous enveloppent alors que retentit pour la première fois de l'album la voix de Samantha Stella, grave et solennelle. Située à mi-chemin, ce monument funéraire aux lamentations gothiques (soupçon de batcave, un brin d'Anne Clark) impressionne.
Alors que Nero Kane semble retenir sa musique, lui refusant toute effusion trop démonstrative, ce qu'elle dégage n'en est que plus ample. Vasteté des paysages, immensité du temps, l'infini... Tout cela pourrait avoir été composé dans la pénombre d'une pièce minuscule à la lueur d'une unique bougie, mais nous plonge dans un univers où le temps et l'espace n'ont plus aucune autorité. The World Heedless of Our Pain résonne comme un chant qui a traversé les ages, un secret que l'on se murmure au cœur de l'hiver lors des veillées funèbres. There is no End, nous chante Nero Kane vers la fin d'un album qui s'achève sur l'espoir d'une lumière avec Until the Light of Heaven Comes : on sent bien que cette éclaircie risque de mettre encore quelques éternités à pointer le bout de son museau. Que la lumière prenne son temps, nous on reste là, dans les ténèbres, à se délecter de ce piano inquiétant à la réverbération d'outre-tombe. C'est beau quand la musique donne l'impression de de perdre dans une maison hantée pour l'éternité.