L'ère du Verseau qui donne son nom au nouvel album de Perturbator est, en astrologie, une période bénie caractérisée par le progrès technologique, la science, la liberté ou encore la raison critique. Pour certains occultistes, cela arrivera avec le retour du Christ sur Terre. Pour les hippies, il s'agit d'une époque heureuse marquée par la solidarité, la coopération et le détachement des choses matérielles. Perturbator aurait-il remisé ses pentacles fluos pour adopter les rêveries fraternelles New Age ? James Kent va-t-il toquer chez nous, une couronne à fleur sur la tête et un bâton d'encens à la main, pour nous inviter à rejoindre les méditations de son "groupe de pensée" ?
Allez, faisons encore durer ce suspense rhétorique pendant quelques mots : après tout, l'artiste n'en serait pas à sa première "renaissance", lui qui délaissait ses néons tapageurs il y a bientôt dix ans avec New Model pour plonger de plus en plus vers la déprime et la noirceur, gardant des univers cyberpunk l'odeur de la pluie et la désespoir poisseux plus que les couleurs clinquantes. Mais sinon, non, évidemment, Perturbator n'a pas viré utopie New Age et il y a fort à parier que le titre est à prendre de façon ironique, ou pour nous dire "bon, les gars, ce temps est révolu / n'est jamais arrivé". The Age of Aquarius commence par la fin du monde, Apocalypse Now, un titre hanté par la mélancolie de Kristoffer Rygg (Ulver) dans lequel Perturbator mélange ses influences cold wave toujours plus affirmées et son goût pour la formule pop accrocheuse, plombé par quelques nappes écrasantes et menaçantes du meilleur effet.
La guerre, la violence, les pensées partisanes belliqueuses : voilà qui sert de toile de fond à ce nouvel album dont on apprécie immédiatement la portée cinématographique. Perturbator évoque et raconte en se privant de mots, ou presque : très vite, on retrouve également Tristan Shone d'Author & Punisher dans un registre assez inédit puisqu'il est ici privé de ses machines caractéristiques le temps de l'introspective Venus. Avec Lustful Sacraments en 2021, Perturbator optait pour un son plus contemplatif, varié et dépressif, mélangeant sa synthwave à la cold wave et l'industriel de manière plus marquée. The Age of Aquarius poursuit dans cette voie et l'affine, y ajoutant plus de profondeur et de variété. Les atmosphères sont soignées, les paysages électroniques prennent vie de manière presque palpable alors que l'on erre dans les ruelles sombres de l'album, dont la froideur synthétique n'exclut pas des émotions bien réelles.
Pourtant, n'ayez crainte, on y danse aussi. Avec la frénésie de Lunacy, la lourdeur et le groove de The Glass Staircase ou l'énergie angoissée de Mors Ultima Ratio, vous trouverez de quoi vous trémousser dans le noir, l'air maussade, alors que Perturbator convoque des esthétiques faites de série B d'action, d'horreur et de science-fiction tout en jonglant habilement avec les contrastes, les ruptures de rythme et les superpositions de couches. Dans le genre catchy, au milieu de l'album, The Art of War marque à la fois une bascule dans l'album dont la seconde partie parle plus de libre arbitre que de conflit et une orientation martiale dont la tension et la nervosité est boostée par des tendances EBM, EBSM et cyberpunk appuyées (on pense par exemple à Sierra Veins).
Depuis ses débuts, Perturbator a toujours excellé dans les ambiances, la création d'univers sonores futuristes et spectraux, festifs ou désespérés. C'est plus évident que jamais avec The Age of Aquarius, notamment le temps de Hangover Square, 12th House et ses basses mystérieuse ou l'onirique Swimming Pool dont le minimalisme et le piano créent une parenthèse presque surréaliste, bulle apaisante de contemplation au milieu des ruines.
The Age of Aquarius, album misanthrope et apocalyptique ? Certes, on y danse, mais le ton est bel et bien pessimiste. Pourtant, vers la fin, James Kent semble mettre un peu de vin dans l'eau de sa piscine glaciale, tout d'abord en invitant à nouveau Greta Link sur la mélancolique Lady Moon puis Alcest pour le morceau-titre en conclusion. Dix minutes qui alternent entre noyades et respirations, obscurité et éclaircies, et pendant lesquelles le rythme s'intensifie comme une course au cours de laquelle l'espoir renaîtrait, bien que le chant de Neige plonge de plus en plus vers les abysses du black metal. Des contrastes, de l’ambiguïté, là encore... Cependant, on sait bien que dans les diverses mythologies, la fin n'est que le commencement d'un nouveau cycle. Alors, et si malgré sa noirceur, en commençant par l'apocalypse, The Age of Aquarius s'achevait en fait avec l'espoir d'un renouveau ? Nous en débattrons dans la pénombre. La seule chose qui est sûre pour le moment est que les spectres futuristes qui errent dans l'album s'empareront de votre âme aussi bien que de votre corps, hanteront votre regard et votre popotin : vous serez triste et désabusé, mais vous allez remuer !