Chronique | Das Ich - Fanal

Tanz Mitth'Laibach 19 novembre 2025

Bien sûr, Das Ich nous a manqués. Le lyrisme noir du groupe, exprimé par une musique électronique d'inspiration industrielle mais avec aussi une touche néoclassique, était emblématique de cet ensemble d'artistes que l'on a surnommés "Neue Deutsche Todeskunst" ("Nouvel art morbide allemand") au sein de la scène gothique allemande des années quatre-vingt-dix, que l'on qualifiait globalement de "darkwave". Depuis le dernier album du groupe Cabaret, pas moins de dix-neuf ans se sont écoulés ; certains des groupes darkwave de la même génération se sont mis à franchement tourner en rond, d'autres sont partis dans des aventures musicales éloignées de leurs inspirations d'origine ou se sont éclipsés, cependant que la nouvelle scène darkwave apparue depuis s'est avérée beaucoup plus sobre, renouant avec la froideur lancinante de la coldwave. Et quel que soit le plaisir qu'on y ait pris, force est d'admettre qu'on avait bien envie de retrouver la théâtralité forcenée qu'incarnait Das Ich.

Le groupe a fait une longue coupure en termes de compositions : le chanteur Stefan Ackermann a été gravement malade, le claviériste Bruno Kramm s'est quant à lui consacré à son engagement politique contre la surveillance numérique. Et puis, alors qu'on avait cessé de l'attendre, voilà que Das Ich revient cette année avec dans sa poche un neuvième album intitulé Fanal ! On est à la fois ravis et un peu inquiets : cela sonnera-t-il aussi bien qu'attendu, dix-neuf ans plus tard ? Le dernier album nous avait fait une impression étrange, renouvelant avec succès les sonorités électroniques de Das Ich mais moins rugueux que les précédents. Qu'en sera-t-il cette fois?

La réponse se trouve quelque part entre les murmures inquiétants de Stefan Ackermann et sa rage désespérée, entre les sons électroniques saturées qu'on nous martèle à un rythme binaire et les sons d'instruments d'orchestre à cordes qui viennent nous scier le cœur : Fanal nous ramène ce que l'on aime de Das Ich, son intensité dramatique, sa théâtralité exacerbée, son univers sonore riche et soigneusement construit. Tout cela est délicieusement articulé, Das Ich jouant à couper rythmes, sonorités et types de chant d'une façon à la fois entraînante et effrayante ; on rebondit d'une pièce à l'autre de cette sorte de maison hantée musicale. Il est vrai que les sons ne nous surprennent pas cette fois : contrairement à Cabaret, le duo a ici fait le choix de simplement renouer avec ce qu'il a pu faire de plus EBM par le passé, on pense en particulier à Egodram. Si cet album était sorti il y a quinze ans, on aurait peut-être trouvé cela dommage mais pas maintenant : ça faisait trop longtemps qu'on n'avait plus eu ce type de sonorités à se mettre sous la dent et ce n'est pas l'essentiel ; l'essentiel, ce sont les rythmes et les mélodies, qui sont nouveaux et diablement efficaces. 

On apprécie d'autant plus l'univers intimidant et furieux déployé par l'album que sa raison d'être ne se cantonne pas à une sensibilité personnelle, comme on s'en doutait d'après l'engagement de Bruno Kramm : si les titres contiennent des références anciennes (Lazare, Brutus, Prométhée), Das Ich s'est inspiré de la façon dont le monde évolue dans le présent, où la technologie est utilisée pour mettre en place des dictatures technocratiques et de gigantesques accumulations de richesses aux mains de quelques-uns, construites sur le patrimoine culturel commun et les donénes personnelles de millions de gens. Il y a en effet de quoi être effrayé et révolté ; le fanal de l'album est à la fois un avertissement et un espoir.

On aime donc beaucoup Fanal. Si les deux singles Lazarus et Brutus sont efficaces et virulents, on aime davantage encore des morceaux qui développent davantage leur ambiance : au milieu du disque, Vanitas et Dantes Hölle sont deux perles noires en la matière, le premier reposant sur une lente montée en puissance torturée, le second dansant à souhait. Il y a tout de même un morceau sur lequel on bute : Prometheus avec son rythme saccadé manque de profondeur pour vraiment nous emporter, mais on l'oublie rapidement à la faveur de la longue pièce finale Genesis (Urknall), qui termine en beauté avant les remix des deux singles. Si Das Ich ne nous rassure pas, son retour nous réconforte !

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Tanz Mitth'Laibach

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