Chronique | Perturbator - The Uncanny Valley

Pierre Sopor 16 mai 2016

Difficile de passer à côté de la mode synthwave des dernières années, qui apporte un vent de fraîcheur aux musiques électroniques en faisant du neuf avec du vieux. Il suffit de faire ses courses à Franprix pour se cogner du KAVINSKY, et les bandes-son de films "à la Drive" pullulent depuis cinq ans. Il faut dire que les années 80, ça fait rêver. Tout y était tellement mieux : les films d'horreur, la musique, les jeux vidéos, les fringues aux couleurs pas possibles, les coiffures... Ou en tout cas, ça semble être l'avis de toute une génération vivant dans le fantasme nostalgique d'une décennie que tous n'ont pas forcément connue plus que ça. Mais limiter la synthwave au succès de la mièvre Nightcall serait bien sûr réducteur, car il existe une branche plus dure de projets qui ont réussi à dérider même les plus purs des métalleux.

Ces derniers, attirés par les pentacles roses des pochettes très séries B sont venus remuer leurs popotins aux sons de PERTURBATOR, CARPENTER BRUT, DAN TERMINUS ou MEGA DRIVE. The Uncanny Valley est le nouvel album du maître français PERTURBATOR, et succède à Dangerous Days dont on retrouve inévitablement plusieurs ingrédients. La boîte à rythmes et les nappes de synthés sont reconnaissables entre mille dès les premières secondes de Neo Tokyo, mais on est surpris par l'agressivité de ce début d'album. Ça pulse sauvagement, et l'alchimie entre les ambiances à la John Carpenter et les rythmiques sorties d'un jeu de baston en 8 bits fonctionne à merveille. Le son a gagné en profondeur et en richesse depuis Dangerous Days, et les différents featurings sur les passages plus ambiants et mélancoliques (Femme Fatale, Sentient) permettent de souffler entre deux titres plus frénétiques (la très speed She Moves Like A Knife, ou les super lourdes Diabolus Ex Machina et The Cult of 2112 et ses choeurs absolument déments). PERTURBATOR frappe très fort avec The Uncanny Valley, dont le son rétro-futuriste saisit l'essence même de ces 80's idéalisées, avec ses ambiances inquiétantes et ses rythmes groovy. On imagine facilement un héros badass mal rasé, un bandeau sur le front (ou l'oeil), rouler très vite en décapotable dans les ruines d'une métropole futuriste (genre ça pourrait se passer en 1997, un futur lointain quoi) et castagner des punks adorateurs de Satan et de vilains aliens manipulateurs. Le tout sans images de synthèse, faut pas déconner : on fait de la musique électronique mais on vénère l'analogique hein !

Une des forces de James Kent, l'homme derrière le projet, est peut-être de donner sa version, ce que lui a retenu des eighties, son fantasme au lieu d'un réel revival. Car le son de PERTURBATOR, malgré ses nappes de synthés, est résolument moderne et ne patauge pas dans une nostalgie rétrograde, ni dans une pose facile de type "c'était mieux avant".

PERTURBATOR se sert du passé pour en créer une version alternative, personnelle, sincère et tournée vers le futur. Si c'est pas du rétro-futurisme, ça ! Bref, The Uncanny Valley tabasse. Sans se trahir, PERTURBATOR a gagné en épaisseur, en variété, en puissance et en agressivité. Bref, la hype n'est pas prête de se calmer... Et c'est tant mieux, car même avec la plus grande mauvaise foi du monde il est impossible de bouder un album comme celui-là !