Chronique | Marilyn Manson - Heaven Upside Down

Pierre Sopor 29 septembre 2017

C'est toujours difficile de savoir où on en est avec MARILYN MANSON : est ce qu'on attend vraiment son nouvel album ? Est-ce qu'il a remonté la pente depuis la dernière fois qu'on l'a vu au fond du trou ? Est-ce qu'on doit croire ses déclarations toujours aussi mégalomanes ? Avec The Pale Emperor, l'icone au lustre terni semblait avoir trouvé une nouvelle voie en la compagnie du compositeur Tyler Bates avec une orientation plus blues, plus sobre, plus en adéquation avec ce que sa voix peut produire aujourd'hui. Certes, en live on avait encore et toujours droit au Grand-Père Simpson s'époumonant comme il peut sur Rock Is Dead et Disposable Teens pour la énième fois et errant sur scène pendant une petite heure avant d'aller se coucher, mais sur disque on avait droit à quelque chose de plutôt honnête. Voilà qui annonçait de belles choses pour Heaven Upside Down : un Manson qui avait retrouvé un peu de son aura et promettait un disque sombre, biblique et politique. Méfiance, néanmoins : tel un vieux fou à qui on laisse raconter n'importe quoi en l'oubliant dans un coin, le Marilyn aime les grandes phrases qu'on a trop gobées pour encore y croire.

Quand Revelation #12 démarre, on est surpris par une orientation plus agressive et industrielle que sur The Pale Emperor... mais alors que Manson compte jusqu'à dix sans mourir après le six, c'est vite la douche froide ! Non seulement, Tyler Bates ne semble pas bien inspiré avec ses riffs génériques, mais en plus Manson y braille comme un veau, un filtre dégueulasse posé sur sa voix sur-mixée lors d'un refrain pénible et poussif. On pense vaguement à Antichrist Superstar (on peut y voir des airs 1996, vaguement, de loin, par une nuit de brouillard et en ayant bu), mais c'est bien trop laborieux pour convaincre. Heureusement, Tattooed In Reverse nous rassure, avec son rythme et ses gros claps hérités de précédent album : ça groove grave, le virage très electro fonctionne bien, il fait sa voix de gros méchant au nez bouché et nous sert même ses fredonnements irrésistibles. Ouf, on a eu peur ! MARILYN MANSON est toujours capable de pondre un bon gros hit qui accroche, et nous rappelle tout ce qu'on lui doit, même si on aime tant le taquiner. En plus d'être décalquée sur The Hardest Button to Button des WHITE STRIPES, le morceau suivant est une sorte de réchauffé de No Reflection et de Deep Six , c'est donc qu'on doit en être au single... Gagné, We Know Where You Fucking Live est le premier porte-étendard de l'album. Pas nul, mais pas franchement mémorable, ça fait longtemps que MARILYN MANSON ne brille plus avec ses singles vaguement efficaces, certes, mais prévisibles et redondants et à la formule trop apparente. Et c'est là tout le souci : Manson est pertinent quand il s'éloigne des sentiers qu'il a déjà battus à multiples reprises, et c'est bien trop rare en ce début d'album. L'habitude ? La paresse ? Allez savoir, mais ce sont encore ces refrains peu inspirés qui viennent miner Say10, au début pourtant réjouissant avec ses accents electro / hip-hop bien poisseux et flippants. La lassitude nous touche, et pourtant Manson a toujours le sens de la formule qui fait mouche. Tel un BOOBA gothique, il est le maître de la punchline, du slogan qui claque et qu'on a envie d'imprimer sur un tee-shirt, de coller en statut facebook pour accompagner un selfie ou d'avoir en pseudo MSN. Ça passe par ses jeux de mots gentiment provocateurs : "Say10", "Cocaine and Abel", etc... Ça vole pas très haut, ça fait #êtregotikcest1philosophie mais c'est rigolo. On note d'ailleurs que ce dixième album devait s'appeler Say10, ce qui était un nom autrement plus amusant. Kill4Me rajoute une bonne couche de lassitude : en plus de nous resservir une soupe rendue froide et insipide à force de nous en gaver, le morceau est d'une niaiserie irritante, à l'émotion forcée mais sans sincérité. On dirait FRANZ FERDINAND, et c'est pire que Heart-Shaped Glasses puisqu'il n'y a pas le génie de Tim Sköld à la guitare.

On a douloureusement passé la moitié de cet Heaven Upside Down, et le constat n'est pas glorieux. On a l'impression d'avoir déjà tout entendu trop de fois, et MARILYN MANSON apparaît d'autant plus émoussé qu'il essaye d'avoir l'air dangereux à nouveau, courant désespérément après l'image qu'il veut qu'on ait de lui, cherchant à attirer l'attention avec ses tentatives d'aboiements qui manquent cruellement de mordant. Ça fait un moment que son travail n'a plus la puissance et l'ampleur qui l'ont propulsé au sommet, que le mystère et la symbolique de ses pochettes provocantes ont laissé place à son narcissisme ennuyeux et terne, et pourtant il a su à plusieurs reprises créer de belles surprises quand on ne l'attendait pas. Et, alors que cette première partie d'album vogue mollement d'un titre oubliable à l'autre, Saturnalia vient réveiller notre intérêt. On le disait plus haut : MARILYN MANSON est tellement plus stimulant quand il sort de ses schémas pré-conçus et c'est le cas ici, avec ce titre d'une inhabituelle longueur et son ambiance sinistre à la Bela Lugosi's Dead de BAUHAUS. On se laisse charmer par la mélodie et les boucles, répétitive certes mais plus hypnotiques que lassantes, alors que les paroles regagnent en intérêt, ancrant sa poésie macabre dans un contexte contemporain amer et violent, avec des fêtes antiques en toile de fond. Le titre, Saturnalia, renvoie aux fêtes romaines qui abolissaient les barrières sociales et se déroulaient au moment de Noël : Manson encourage donc à un soulèvement du peuple, symboliquement opprimé par le christianisme, la naissance du Christ ayant occulté les Saturnales. Ce mélange de symboles, d'histoire, de religion et de politique n'est pas nouveau, mais fait toujours plaisir quand il est mené avec intelligence, pertinence et cohérence. Qu'il soit un alien ou l'antéchrist, Manson aime toujours autant se mettre en scène et se présenter comme une figure prophétique ou messianique qui va guider le peuple vers un éveil intellectuel, l'amener à penser par lui-même et à renverser l'ordre établi, spirituel comme social.

Ça a pris le temps, et entrer dans Heaven Upside Down a nécessité cet étrange morceau de huit minutes dont JE$U$ CRI$I$ est le prolongement parfait, avec sa césure braillarde inattendue qui vient l'épicer, mais les choses deviennent enfin intéressantes. Blood Honey réussit là où Kill4Me échouait lamentablement : apporter un peu de mélancolie à l'album, avec des lignes de chant plus solide et quelque sons bizarres (Tyler Bates qui souffle dans les goulots des bières qu'il a vidées en studio ?). C'est étonamment prenant, peut-être parce que le titre dégage une noirceur et une menace rendues palpables par plus de lourdeur. C'est tellement systématique que ça en devient drôle : tous les albums de MARILYN MANSON ont leurs passages plus faibles. Ici, ils sont quasi tous regroupés au début. On n'évite pas les redites, tant l'album évoque un mélange entre Born Villain et The Pale Emperor, et ce ne sont pas les auto-citations disséminées ici ou là qui vont nous contredire ( les "Fight ! Fuck !" façon The Fight Song de JE$U$ CRI$I$, l'intro de Threats of Romance façon Five to One, etc...), mais la sauce finit par prendre sur la durée et après quelques écoutes grâce à cette deuxième moitié d'album.

Heaven Upside Down est un disque bâtard. Comme toujours, c'est inégal et, à l'image de son auteur, la musique de MARILYN MANSON est un gros patchwork d'autres trucs piqués à gauche et à droite et d'auto-références. C'est quand il essaye de faire peur que Manson se vautre, ses tentatives de jouer le grand méchant avec lequel on ne doit pas déconner étant plus pathétiques que crédible. Dommage, car c'est quand il se sort un peu le nez du nombril et arrête de prendre des poses has-been pour grapiller un peu d'attention  qu'il retrouve sa pertinence, dans une forme de simplicité et de sincérité rare d'autant plus précieuse. Heaven Upside Down ne restera pas dans les mémoires comme un grand album, mais l'ensemble reste honorable : comme d'habitude, MARILYN MANSON a beau nous agacer avec des titres parfois faiblards et génériques, il reste un artiste toujours capable de nous rappeler ici ou là tout ce qu'une génération lui doit.