Peut-on résister à la tentation d'écouter un groupe qui s'appelle Cthuluminati ? Non, bien sûr, quand bien même nos points de santé mentale seraient au plus bas et se frotter à de telles choses pourrait nous faire basculer pour de bon dans la démence. Tentacula est le second album du groupe en dix ans d'existence et, comme une cité aux angles impossibles, comme toute créature indicible et innommable que l'esprit ne saurait concevoir, définir Cthuluminati en terme de genres est assez vain : post-metal lovecraftien ? Doom ? Avant-garde ? Black metal ? Stoner ? Psychédélique ? Peu importe. La réalité est obsolète et le voyage s'annonce onirique et halluciné comme on aime.
Il y a de quoi se perdre dès Cthrl : dix minutes de vagabondage halluciné introduites par quelques mots récités installant la dimension narrative de l'ensemble, des nappes cosmiques, quelques féroces incursions du côté du black metal, un groove bien rock'n'roll, de la grandiloquence théâtrale... L'auditeur se retrouve plongé dans un tourbillon de créativité et d'étrangeté, train fantôme irrésistible dont les numéros se succèdent à toute allure. Ce n'est que le morceau d'introduction mais il porte en lui un tel chaos qu'il est aussi une synthèse des plaisirs à venir.
Les guitares grincent dans les ténèbres alors qu'une lourdeur doom évocatrice de choses ayant traversé les éons et le cosmos s'impose. Cthuluminati maîtrise parfaitement les montées en tension (l'inquiétante Abyssmal Quatrain, suintante de folie), ménage une pause atmosphérique à la moitié de l'album aux airs de conte chanté au coin du feu, par une nuit où les étoiles auraient été dévorées par l'obscurité (Transformation) avant de nous replonger dans les abîmes de la folie.
Dans sa dernière partie, Tentacula prend une dimension mystique et rituelle, une orientation toujours satisfaisante quand on aime s'encapuchonner et psalmodier dans sa cave ! La solennité de The Illusion of Control, avec ses chœurs de cultistes et sa pesanteur, puis Mantra et son chant de gorge hiératique qui se mélange à un growl viscéral et à une voix délirante imprégnée de désespoir nous embarquent en pleine incantation hypnotique. C'est à la fois inspiré musicalement et plein de petits gimmicks qui permettent à la musique de donner vie à un décor immersif.
C'est peut-être finalement ce qui nous séduit le plus dans Cthuluminati. Il ne s'agit pas juste de brandir l'effigie de Lovecraft pour être cool, mais bel et bien de chercher dans la musique des moyens d'abolir la réalité et de retranscrire l'étrangeté et la folie des dimensions que l'auteur de Providence racontait dans ses écrits, des choses à la fois monolithiques, hors du temps, et scientifiquement impossibles. En cela, Cthuluminati réussit à transgresser et surprendre... mais là où la démarche pourrait paraître pompeuse si elle n'était qu'avant-garde cérébrale, le groupe y ajoute une grosse dose de plaisir. Les musiciens sont finalement autant comédiens alors qu'ils donnent à leur musique une dimension cinématographique évidente. C'est fait avec la plus grande sincérité, le plus grand respect, le plus grand sérieux... mais aussi une réelle dose de fun communicatif, une passion pour la création qui transpire des enceintes ou du casque et rend ce Tentacula aussi passionnant qu'attachant.