On va essayer de rester poli. Mais c'est pas simple de rester poli quand on se prend parpaing sur parpaing en pleine gueule. D'ailleurs, toute tentative de parler poliment et avec des mots compliqués de King Yosef est aussi vaine qu'aborder le sujet sans mentionner des choses solides et en béton. Des gros mots et l'univers du BTP, ça pose un décor, un truc lourd, gris, impitoyable et vachement en colère. On le pressentait quand Tayves Pelletier s'incrustait sur le dernier album en date de Youth Code, A Skeleton Key In The Doors of Depression (chronique) : ce p'tit gars, là, il faut le garder à l’œil... Ne serait-ce que pour voir venir la prochaine mandale : à force d'y laisser les dents, nos gencives amortiront l'impact ! Pourtant, An Underlying Hum (chronique) laissait entrevoir également son appétit pour des choses plus atmosphériques, presque mélancoliques. Est-ce que King Yosef mettrait de l'eau dans son vin ?
Alors on ne sait pas trop s'il a mis de l'eau dans le vin ou du vin dans de l'eau, peu importe, ce qu'on sait c'est qu'il met les pieds dans la gueule dès Feoil en ouvrant son album avec sa beuglante de possédé. Dans son mélange entre metal industriel, hardcore et trap, on apprécie toujours l'accent mis sur les machines, le côté intraitable de sa scansion. King Yosef dégueule ses tripes et crache son venin. Heureusement que les gens qui écoutent de l'indus sont souvent un peu chauves, soit pour faire cyberpunk soit parce qu'ils sont vieux, parce que les autres auront besoin d'un peigne. Ces machines nous broient la viande avec une énergie aussi intimidante que profondément jouissive, chaque cri semblant naître au plus profond de l'âme du jeune homme, que l'on devine un brin perturbé. Ou en tout cas tracassé.
La rugosité de Godflesh est bien là, le mélange indus / hardcore peut évoquer Code Orange, mais King Yosef trace sa propre route en dépoussiérant le genre à sa façon, avec sincérité. Si ses compatriotes de Black Magnet attaquent avec une rage similaire, King Yosef est moins passéiste dans ses références. Et puis, là, entre deux assauts sauvages, il nous colle une respiration, la tête hors de l'eau quelques secondes pour mieux replonger, un travail sur les atmosphères qui noircit un peu plus le tableau et, surtout, l'enrichit. King Yosef ne fait pas de la musique pour faire la fête, pourtant on aurait presque envie de se dandiner ici ou là. Ainsi, Glimmer, avec Holy Fawn en guest, propose un beat entêtant et quelques voix plus introspectives, comme une variante apocalyptique et chaotique de ce que fait HEALTH depuis dix ans. King Yosef assume également des influences trip-hop que l'on devine par exemple au début de Lichen, dans Wither ou pendant l'hypnotique Blue Morning, et qui réussissent à passer une tête comme un brin d'herbe qui pousserait parmi les décombres de machins très gros et en ruine.
Spire of Fear est un album satisfaisant extrêmement satisfaisant. Il y a des musiques qui parlent à l'âme. King Yosef, lui, non seulement il hurle plus qu'il ne parle, mais il s'adresse de prime abord à nos tripes, à nos intestins, à nos instincts les plus primitifs. La première réaction est d'avoir le souffle coupé, la seconde est de se dire "PUTAIN OUAIS" (ah bah voilà, ça y est, les gros mots) face à l'agressivité excessive qui nous pète en pleine tronche et cette intensité folle. Et puis, petit à petit, on est ravis d'entendre les nuances, on est surpris par une seconde partie d'album qui essaye des choses différentes, révèle une facette plus contemplative avant de conclure dans un chaos de machines déchaînées avec son morceau-titre.
Surtout, on est satisfaits par l'approche de King Yosef. Il connaît ses classiques, il les honore, mais il ne cherche pas à les copier. Ce qu'il propose, c'est son truc à lui, quelque chose de profondément personnel et cathartique qui ne cherche pas à imiter d'illustres idoles de manière servile ni à caresser dans le sens du poil son auditoire (même si, presque comme une blague, Everythings Point of Origin, le morceau bonus, nous colle une basse qui fait remuer et une intro plus EBM avant d'envoyer quelques riffs martiaux à la Rammstein). King Yosef s'empare du metal industriel et en livre sa version, brute mais également peaufinée, à fleur de peau, spontanée. Le mec ne vient pas pour vous divertir : si vous dansez, c'est comme des primates, à poil autour d'un feu et en pétant furieusement des trucs autour de vous. Il vient pour nous ratatiner, pour nous hurler ce qu'il a sur le coeur, nous pétrifier ou nous embarquer avec lui et, finalement, bel et bien s'emparer de nos âmes pour en nourrir ses machines. Tout le monde ne le réalise pas encore car la forme, sans compromis, peut (à juste titre) effrayer, mais on tient là un artiste majeur du genre. Jamais un bol d'air frais n'a autant eu le goût d'un bunker au fond du gosier.