Chronique | Marilyn Manson - We Are Chaos

Pierre Sopor 11 septembre 2020

Un nouvel album de MARILYN MANSON, c'est un peu comme ce repas de Noël en famille : on l'attend avec un mélange d'appréhension et de vague espoir que ça pourrait être sympa, en dépit de toute logique, et même si les derniers étaient souvent pourris. On s'imagine que ça sera coloré, qu'on se vautrera avec confort dans la nostalgie de ce truc qu'on appréciait en grandissant, et ce malgré ce tonton gênant et un peu ridicule qui beugle n'importe quoi. Qu'est ce que vous voulez ? Manson, c'est la famille : on tolère chez lui ce qui aurait été inacceptable chez d'autres, des concerts minables aux morceaux fadasses en passant par les visuels fainéants et narcissiques et les déclarations mégalos.

C'est ce naïf espoir de renouer avec une époque enterrée que le décalage temporel embellit forcément qui nous pousse à ce plonger dans We Are Chaos, annoncé avec la même sobriété que d'habitude (un "putain de chef d'oeuvre" nous disait Shooter Jennings, nouveau compositeur-compagnon d'infortune de Manson), même si Heaven Upside Down était piteux, même si les reprises enregistrées par les deux hommes ces dernières années étaient embarrassantes. D'ailleurs, le premier contact avec la bête n'est pas fameux : on s'y ennuie. We Are Chaos n'est pas un album d'éclats. Comme depuis dix ans, quand Manson force sur sa voix, on se surprend à baisser le son. On ne saisit pas la cohérence de l'ensemble, tout est bien plat et la production écrase un son organique pour lequel  on aurait souhaité l'espace de mieux respirer.

Et pourtant.

Et pourtant, on y revient. Est-ce qu'on insiste parce que l'artwork est moins laid que tous ceux sortis par Manson ce millénaire ? Est-ce qu'on insiste parce que c'est Manson, justement, et qu'on lui laisse la chance supplémentaire qu'on n'aurait pas laissé à d'autres ? Ou est-ce en raison de ces petits moments de grâce où l'on devine une forme de mélancolie, comme la seconde partie de Paint You With My Love et ses airs Mechanical Animals, les extra-terrestres et délires electro en moins ? Toujours est-il qu'on y revient. On apprend à apprécier des lignes de chant qui font mouche, des arrangements intéressants ici ou là, un piano qui reste en tête (Half Way & One Step Forward et son chant poignant) ou encore les paroles plus touchantes et moins ridicules que sur le précédent méfait du pépère.

On finit par se faire piéger par cette ambiance douce-amère apaisée et faussement rassurante, cette orientation pop-rock assumée pleinement cent fois plus pertinente qu'une énième tentative puérile de se la jouer roi de la provoc. Manson délaisse ses postures de frimeur pour renouer avec une modestie et une poésie qui lui réussissent bien mieux désormais. Des refrains de We Are Chaos (avec ce drôle de clip, son plus intéressant depuis des siècles) aux rengaines de Solve Coagula et Broken Needle, l'album est plein de ces moments qui commencent par squatter nos tympans jusqu'à finalement trouver le chemin de nos petits cœurs et s'y loger pour y rester. Alors tout n'est pas parfait, bien sûr : on sait qu'en live, ce sera atroce, quelques tâches enlaidissent l'ensemble (Infinite Darkness) et on a toujours droit au recyclage de The Arma-Diposable-Ziggety-Goddamn-People-Zagg avec Perfume, mais pour une fois ces petits tracas ne sont pas majoritaires.

On est donc en 2020 et Manson nous touche à nouveau. Un peu comme avec The Pale Emperor, il s'est trouvé un camarade avec qui "less is more", mais contrairement à l'album de 2015, il se montre ici plus vulnérable, plus sincère peut-être. Saluons enfin cet artiste qui, derrière ses postures tapageuses et sa vulgarisation d'influences plus intéressantes que lui (ce qui fait de lui un excellent pédagogue !), n'a jamais sorti deux fois le même album. Allons-y franchement : We Are Chaos est le meilleur album de MARILYN MANSON depuis que MARILYN MANSON est devenu moins bien. Libre à chacun de décider à quand ça remonte !