Author & Punisher continue de muter. Le projet de Tristan Shone, qui brouille les frontières entre l'homme et la machine dans une démarche qui n'est pas sans rappeler les cauchemars cyberpunk de Tetsuo, a désormais définitivement ouvert sa porte à un second musicien (le guitariste Doug Sabolick) mais également opté pour une démarche singulière sur ce nouvel album. Dans Nocturnal Birding, plus que les pistons et autres bidules mécaniques créés par l'artiste, également ingénieur, le moteur de chaque morceau est à trouver dans... des chants d'oiseau. Un concept qui, quand on connaît la lourdeur du metal industriel d'Author & Punisher (qui revendiquait l'étiquette "industrial doom"), promet de vertigineux contrastes !
Alouette, gentille alouette... Vous connaissez la chanson. Les mélodies et les rythmes sont donc inspirées ou directement adaptés de chants d'oiseau, et c'est celui de l'alouette qui sert de fondations au riff de Meadowlark. Le chant clair du début peut surprendre mais l'atmosphère oppressante devient vite écrasante et les machines de Shone se lancent alors dans leur habituel entreprise de démolition, nous broyant sans merci. "These machines kill fascists" dit la phrase inscrite sur l'attirail de Shone en référence à Woody Guthrie et, alors que son pays sombre justement dans le fascisme, on pense à l'homme derrière la musique et à ce qui a pu nourrir ce nouvel album. Ces dernières années, il allait distribuer de l'eau à la frontière mexicaine avec le groupe Border Angels : Nocturnal Birding est également dédié à tous ceux qui, en raison d'une politique cruelle de prévention par dissuasion, ont perdu la vie en essayant d'aller du Mexique aux États-Unis. Voilà qui donne tout de suite une dimension plus spectrale à ces oiseaux, souvent symboles du passage de l'âme de notre monde vers un autre...
On a l'habitude des baffes monumentales que distribue Author & Punisher. Nocturnal Birding, cependant, réussit à renouveler suffisamment la formule pour nous surprendre dès Titanis. Les touches tribales apportées par les Indonésiens de Kuntari se mélangent au son industriel et monumental de Shone, tradition et modernité se mêlant alors en un morceau-monstre hybride impressionnant et d'autant plus intense qu'il ne dure que trois minutes. De manière générale, les titres de Nocturnal Birding sont courts, explosions dont la puissance aussi éphémère que massive nous rappelle d'ailleurs la fragilité d'une vie d'oiseau.
En ouvrant son monde fait de fracas et de chaos à d'autres artistes, Shone offre à son auditeur la satisfaction permanente d'avoir l'impression de redécouvrir le travail d'Author & Punisher sous une nouvelle perspective. Il y a la parenthèse contemplative de Mute Swan, accompagnées de la voix de Mega Oztrosits de Couch Slut et pendant laquelle rôdent toujours quelques percussions en arrière-plan, comme des fauves menaçants qui attendent de se jeter sur leur proie. Puis, on se fait retourner par la contribution du groupe de death / sludge / indus français Fange sur Black Storm Petrel qui fait flirter Author & Punisher avec un black metal industriel intraitable, pesant et intimidant comme un monolithe qui écraserait le soleil.
Pourtant, malgré la rage que l'on ressent dans les vociférations de Shone, malgré la dureté des machines, un spleen fragile donne à l'album son âme. C'est parce qu'il se perd souvent dans ses rêveries mélancoliques que Nocturnal Birding réussit ensuite à avoir un tel impact. C'est dans ses moments de vulnérabilité qu'il trouve alors toute sa richesse, à l'image de la mélodie fluette de Titmouse qui revient ensuite à la charge, dopée et hargneuse. Dans un retournement de situations Hitchcockiens, les mésanges finiront bien par tenir leur revanche !
Grâce à ses remises en question artistiques, jamais par le passé un album d'Author & Punisher n'avait été aussi saisissant et poignant du début à la fin, aussi bien dans ses éruptions cathartiques qu'avec sa variété et ses instants plus introspectifs. La mélodie de Thrush, conclusion crépusculaire, continuera de nous hanter alors qu'au milieu des machines réussissent à percer quelques chants de grive, à la fois fantôme et lueur d'espoir. Avec Nocturnal Birding, la fusion entre organique et mécanique d'Author & Punisher n'a jamais résonné aussi fort, monumentale à la fois dans toute sa grandeur apocalyptique et dans ses moments profondément humains, intimes et sincères.