Chronique | Author & Punisher - Krüller

Pierre Sopor 12 février 2022

Alors que Beastland, sorti en 2018, hante encore nos tympans, AUTHOR & PUNISHER revient à la charge avec Krüller, un nouvel album sur lequel Tristan Shone continue de faire évoluer son doom industriel. Jusqu'à présent, c'était Shone seul, engoncé dans un bric-à-brac de sa propre conception, qui donnait vie à une musique puissante dominée par des machines impitoyables. La création se faisait alors presque performance, sa façon de travailler illustrant à elle seule le transhumanisme ainsi que la lutte de l'Humanité pour exister dans un environnement entièrement mécanique et synthétique. Sur Krüller, AUTHOR & PUNISHER ouvre ses portes et ses horizons.

Premier changement de taille : désormais, le projet est un duo puisque Phil Sgrosso de AS I LAY DYING assure les parties de guitare. Des guests s'incrustent également, comme les batteur et bassiste de TOOL, Danny Carey et Justin Chancellor (respectivement sur Misery et Centurion). Cette ouverture se traduit par un son moins extrême, un tantinet plus organique aussi, confirmant l'orientation prise par Shone depuis l'EP Pressure Mine, et, paradoxalement, sa signature sur le label Relapse Records, pourtant friand de son dur.

C'est donc un AUTHOR & PUNISHER plus atmosphérique et mélodique, qui ouvre les hostilités avec Drone Carrying Dead. Les machines sont toujours très présentes, mais les borborygmes et hurlements distordus ont muté vers un chant plus clair que jamais. La mélancolie se pose comme émotion dominante, notamment quand il s'agit de déconstruire le classique de PORTISHEAD, Glory Box en réussissant à en garder la saveur intimiste. Krüller est un album pesant, qui joue sur sa longueur pour planter un décor déprimé et apocalyptique : les machines ont rouillé, le son est plus clair, et, en ralentissant la cadence, AUTHOR & PUNISHER n'en devient pas spécialement plus accessible (bien au contraire, l'étrange structure de Maiden Star a plutôt tendance à nous perdre). La noirceur de l'ambiance, elle, fait frissonner. Misery, avec son intro sinistre et sa montée en intensité menée par la guitare (peut-être son apport le plus significatif sur l'album) et la batterie fonctionne du tonnerre et le morceau-titre en guise de conclusion nous broie de toute sa fatalité et sa pesanteur pour nous laisser, hagards, sur des samples et une mélodie lugubre à l'effet redoutable.

Les rythmiques qui nous martèlent les sens n'ont pas été oubliées. Le rouleau-compresseur méticuleux qu'est Incinerator et l'hymne en puissance Centurion sont là pour nous le prouver et renouent avec une forme d'efficacité et de frontalité qui, soyons honnêtes, nous caresse dans le sens du poil,  : c'est répétitif, aliénant, impitoyable, bref, comme on aime. Parmi les morceaux plus rythmés, Blacksmith fait office d'OVNI avec ses expérimentations IDM nerveuses inédites mais convaincantes. Mentionnons d'ailleurs la qualité de production, rendant justice à toute la panoplie de sons méticuleusement utilisés par Shone, que l'on apprécie d'autant plus que le mur de son habituel est moins saturé de réverbérations, les drones moins punitifs, mettant chaque élément en valeur.

AUTHOR & PUNISHER évolue, essaye, mute. Krüller, en nuançant le son, n'est pas son album le plus immédiatement efficace. Il est plus exigeant qu'à l'accoutumée et exige une écoute patiente, qui laisse aux titres le temps de dévoiler tout leur potentiel et leur puissance. Au fil des écoutes, il s'avère épique, dévastateur, imparable et d'une cohésion remarquable. Ce travail d'orfèvre finit par devenir plus étouffant et écrasant encore qu'à l'accoutumée, un sentiment de noirceur poisseuse et de désillusion venant se greffer au massacre mécanique. Ces paysages musicaux ravagés, dévastés et désespérés touchent, dans leurs meilleurs moments, au superbe.