L'ex-cave à son de VRDA #2 : Pzychobitch

Tanz Mitth'Laibach 11 août 2021

Bigre ! Nous vous avions assuré que "Régulièrement sur VRDA, nous reviendrons sur un groupe qui n'existe plus mais qui nous a marqués et auquel on repense régulièrement avec nostalgie.", et c'était en... juin 2019, il y a plus de deux ans, pour un hommage à LUCKY STRIKER 201 ! Il faut croire que l'actualité nous a laissé peu de place pour la nostalgie. Mais enfin, rouvrons nos placards pour en ressortir un groupe dont se souvient toujours avec grand plaisir : PZYCHOBITCH.

À la lecture du nom du groupe, il nous vient immanquablement à l'esprit l'image de sa chanteuse à l'éclatante chevelure rose, Sina Hübner ; mais surtout, on pense à une electro-indus originale, qui s'inscrivait le plus souvent dans la dark electro par son mélange d'EBM et de techno dans des atmosphères effrayantes mais sans jamais sombrer dans les poncifs du genre.

Le groupe s'est formé il y a maintenant plus de vingt ans en Allemagne, autour de Sina Hübner et du claviériste Stefan Böhm. Comme le raconte Sina dans une interview de 2003 au site Mindbreed, le duo se rencontre dans une discothèque de Duisbourg, en Rhénanie du Nord-Westphalie, où Stefan officie alors comme DJ et où Sina travaille au comptoir ; l'un et l'autre avaient déjà pris part à différents projets musicaux, notamment CASCADE FALLS dans le cas de Stefan, et Sina avait été bassiste dans des groupes punks. Sina explique davantage les origines de leur collaboration musicale dans une interview beaucoup plus récente pour Volt Magazin puisqu'elle date de 2020, quatorze ans après la fin du groupe : c'est suite à une performance improvisée associant la voix de Sina aux DJ que quelqu'un du label Hands Productions leur propose de publier un enregistrement. Sina et Stefan réalisent alors avec le label un premier EP ensemble sous le nom de S.I.N.A, Get Better, sorti en 2000, puis l'année suivante un premier album, Snapshot (oui, le nom fait bizarre, à notre époque). Ce premier projet s'inscrit dans un style très powernoise, où une pluie de battements techno ultra-répétitifs s'abat sur l'auditeur accompagnée de quelques sonorités intimidantes et de murmures féroces de Sina (exemple). Toutefois, tandis qu'ils se livrent à cette expérimentation que Sina décrit comme quelque chose de très spontané, elle et Stefan s'associent déjà à un troisième larron pour produire quelque chose de plus travaillé : Frank Klatt, un ami de Stefan. Le désormais trio fournit d'abord un remix du morceau Can't Stop Your Mind dans une version plus riche ; celle-ci est présentée sur l'EP de 2000 Get Better avec la mention (Pzycho-Bitch RMX) -la graphie du nom du groupe évoluera au fil du temps. Il s'agit donc du premier morceau publié de PZYCHOBITCH :

Après ce premier essai, Frank, Sina et Stefan continuent à composer ensemble ; comme le raconte Sina dans son interview à Mindbreed, leur fonctionnement était d'abord la composition d'un premier cadre musical par Stefan et Frank, puis Sina apportait ses propres idées sonores et ses vocaux bruts avant qu'ils n'assemblent le tout ensemble. Cela aboutit à un premier EP qui sort en juin 2001 chez le label Pro Noize, intitulé Master of Myself et orné d'un surprenant dessin de style manga en guise de couverture -Sina alors brune ? Cet artwork est signé Agi, compagnon de route historique de Stefan depuis son premier projet. Le disgracieux trait d'union ayant disparu, le jeune groupe écrit maintenant son nom PZYCHO BITCH. Si la forte influence techno s'entend toujours, la musique du groupe prend une tournure radicalement différente de S.I.N.A : les battements ne sont plus au premier plan, ils sont là pour rythmer l'ambiance menaçante distillée par les sonorités électro-industrielles et surtout la voix de Sina qui monte effroyablement en puissance, à la fois sensuelle et menaçante :

Le résultat est déjà fascinant ! Si les sonorités ne sont pas nouvelles -on est alors en plein essor de la dark electro, des projets comme :WUMPSCUT: ou SUICIDE COMMANDO sont déjà occupés depuis un certain temps à mêler l'EBM et la techno avec des samples effrayants- on est en droit d'être étonné par la façon dont est utilisée la voix de Sina, qui devient elle-même un élément inquiétant par son avidité, tandis que les quelques exemples d'utilisation de voix féminine en dark electro jusque-là, sur des morceaux isolés de projets à voix masculine la plupart du temps, en faisaient plutôt un élément de fragilité au milieu d'univers menaçants. Le groupe a de plus le bon goût d'éviter les ficelles déjà utilisées par ses confrères à base de refrains en voix saturée et de samples de films d'épouvante, dont l'abus ne tardera pas à se manifester.

Le premier véritable album de PZYCHOBITCH paraît dès la fin de l'année sous le titre Eden, dont la couverture reprend le concept de version manga SF des membres du groupe, toujours réalisé par Agi, la teinture rose de Sina faisant son apparition à cette occasion. On y retrouve les titres Out of My Mind et Master of Myself de l'EP, une nouvelle version du morceau Come Back ! intitulée Come Back II ainsi que neuf nouveaux titres qui marquent une étape supplémentaire dans la transition de PZYCHOBITCH vers des sonorités moins technoïdes et des structures plus élaborées. Le groupe ne craint plus de ralentir ses morceaux pour distiller l'angoisse, créant des atmosphères délicieusement pesantes comme sur le morceau Little Sister :

Il est alors clair que PZYCHOBITCH est devenu le projet principal de Sina et Stefan, ceux-ci créent seulement un nouvel EP pour S.I.N.A en 2002, Back In Stereo, toujours plus brut que PZYCHOBITCH mais avec des atmosphères plus dérangeantes (exemple), avant de mettre le projet en sommeil. Cette même année, ils sortent également un EP pour le morceau Big Lover figurant sur l'album Eden, comprenant le morceau inédit Face In Your Hands, une nouvelle version de la chanson Eden et une de Big Lover, ainsi que trois remix par d'autres artistes dont SITD et Thomas Rainer de L'ÂME IMMORTELLE ! Ainsi s'inaugure l'habitude du groupe d'accompagner ses albums d'EP de remix, versions alternatives et morceaux inédits. PZYCHOBITCH abandonne pour l'occasion son imagerie manga au profit d'une photographie aux couleurs sombres de Sina ; c'est aussi à ce moment qu'il adopte la graphie définitive PZYCHOBITCH, tout attaché.

Néanmoins, Frank Klatt quitte brusquement le navire après cela et créé son propre projet, DIE FARBEN. "Un peu choqués" par son départ d'après Sina, elle et Stefan sont alors rejoints par Martin Kovacic, que Stefan connaissait depuis 1992 où il l'avait rencontré dans son premier projet CASCADE FALLS. Le trio recomposé se met alors à travailler sur la duologie The Day After / The Day Before, The Day Before étant un EP qui sort en novembre 2003 tel un héraut de l'album The Day After qui arrive en 2004 ! PZYCHOBITCH en profite pour changer de label, rejoignant Minuswelt Musikfabrik. The Day Before, dont la couverture figure en illustration du présent article, révèle les morceaux du futur album My Day et Breakdown ainsi qu'un magnifique inédit, Life Could, et divers remix et versions alternatives. Il est à noter que l'un d'eux, pour la chanson Insane, est signé de... DIE FARBEN, Frank Klatt est d'ailleurs crédité de la production de certaines pistes de The Day Before et The Day After, ce qui laisse penser que son départ est intervenu au cours du travail sur les deux disques.  

Les couvertures des deux disques, très proches, signées Ingo Römling, mettent quant à elles Sina dans une posture équivoque, entre une hypersexualisation renforcée par ses membres nus et une expression féroce qui fait davantage penser à une bête s'apprêtant à bondir pour nous déchirer la gorge... Le groupe traduit ainsi ce qu'exprimait déjà le chant de Sina, une lascivité inquiétante, élément d'effroi plutôt que de désir, comme on la trouvera plus tard par exemple chez GRAUSAME TÖCHTER.

Si Eden était un excellent album, le groupe atteint son zénith avec The Day After : les ambiances du groupe n'ont jamais été aussi angoissantes et sensuelles à la fois, nous sommes immergés dans un environnement sonore froid aux boucles obsédantes tandis que la voix de Sina nous entraîne toujours plus loin dans l'abîme. Aussi riches qu'ils sont captivants, les morceaux sont capables de marquer notre esprit par leur atmosphère oppressante tout en continuant à nous surprendre à mesure qu'on les réécoute ! Le groupe se fend par ailleurs d'un duo avec Hanin Elias (ex-ATARI TEENAGE RIOT) sur le morceau Fitter Than You :

Si PZYCHOBITCH ne publie aucune nouvelle composition de sa plume l'année suivante, en 2005, le groupe présente en revanche une version remixée de... l'album The Day After dans son ensemble, sous le titre The Day After [The Hecq Destruxxion] ! Ces nouvelles versions sont présentées comme "manipulées, reconstruites et détruites" par BENNY BOYSEN, alias BEN LUKAS BOYSEN ou simplement HECQ, compositeur berlinois. Ces nouvelles versions s'avèrent plus planantes mais pas vraiment moins inquiétantes...

Pendant ce temps, PZYCHOBITCH change de direction sous l'impulsion de Sina Hübner : lassée des sonorités électro-industrielles et ne voulant plus miser sur la sexualisation, celle-ci guide le travail de composition du groupe pour ses prochains disques vers quelque chose de plus léger, influencé notamment par l'electro-clash ; cela se concrétise par une nouvelle duologie parue en 2006, faite de l'EP Strom Aus Fantasie avec les habituelles versions alternatives et remix (on n'y trouve pas d'inédit cette fois-ci, en revanche) et de l'album Electrolicious. Toutefois, l'accueil est plus froid cette fois-ci, l'évolution ne faisant pas que des heureux chez les fans du groupe -dans son interview à Volt Magazin quatorze ans plus tard, Sina regrette d'avoir cru que cette nouvelle orientation serait suivie de tous mais estime que si elle ne l'avait pas prise, PZYCHOBITCH aurait aussi pu décevoir en sombrant dans la répétition. 

L'accueil reçu par cette nouvelle duologie paraît bien injuste aujourd'hui ! Si Electrolicious n'a pas l'intensité d'un The Day After, l'album est peut-être le plus original de PZYCHOBITCH, utilisant des sonorités plus douces et des constructions plus légères pour produire un nouvel univers dérangeant. Moins étouffant que ses prédécesseurs, l'album est aussi malicieux et entraînant, Sina paraissant se jouer de nous à la perfection.

Quoi qu'il en soit, le groupe est déçu par l'accueil de Electrolicious et n'a pas le cœur à poursuivre sa collaboration après ses six années d'intense activité. Sina et Stefan avaient également relancé S.I.N.A au début de cette année 2006 pour un album furieux nommé Nie und Immer (exemple), mais Sina ne souhaite pas poursuivre ce projet non plus après l'échec d'Electrolicious.

Après la fin de PZYCHOBITCH et S.I.N.A, Stefan Böhm rejoint son vieil associé Agi pour former avec lui un nouveau groupe qu'ils prévoient initialement d'appeler SET ALIGHT et qui finalement voit le jour sous le nom de OUR BANSHEE 4200, dont nous avons chroniqué le seul album paru à ce jour, sorti en 2017. Martin Kovacic semble quant à lui avoir cessé la musique, ce qui est du moins le cas de Sina Hübner, qui explique dans son interview de 2020 ne plus s'y investir et se consacrer maintenant à son fils, même si elle n'exclut pas de revenir à la musique lorsque celui-ci aura grandi.

Cela nous ferait assurément chaud au cœur.