Chronique | Nine Inch Nails - Add Violence

Pierre Sopor 20 juillet 2017

Fidèle à sa démarche des dix dernières années, Trent Reznor continue de sortir des disques ressemblant à des cadeaux faits aux fans : sans trop prévenir, il annonce soudainement qu'une future sortie est imminente et sort les morceaux en ligne dans la foulée. On a appris il y a peu que l'EP Not the Actual Events sorti l'hiver dernier était le premier d'une trilogie et que le second EP, Add Violence, sortirait donc avant fin juillet. Nous y voilà.

Après Not the Actual Events qui renouait avec un son parfois très dur et chaotique, Add Violence surprend dès Less Than, morceau bien plus pop. Le chant rappelle fortement la période With Teeth (surtout sur le refrain) / Year Zero, alors que le fond, très electro, renvoie aussi bien à Hesitation Marks qu'au dernier SKINNY PUPPY (écoutez le titre Illisit, aux relents d'Assimilate). Le clip qui accompagne le morceau se la joue rétro, avec des images issues du jeu vidéo Polybius, un jeu récent inspiré d'une borne d'arcade des années 80 dont l'existence n'est pas totalement avérée et qui aurait été utilisée par la CIA pour mener des expériences psychiques sur les gens avant d'en faire disparaître toute trace de la circulation. Folklore SF, complot gouvernemental, manipulation de masse : Reznor s'amuse toujours autant dans ses univers dystopiques depuis Year Zero, et musicalement le titre est catchy à défaut d'être passionnant. Changement d'ambiance avec The Lovers, morceau plus atmosphérique où les murmures de Reznor sont accompagnés d'une superposition de différentes nappes, alors que les claviers d'Atticus Ross délivrent leur son si reconnaissable : amateurs de Ghosts ou des bandes-son des derniers films de David Fincher, vous ne serez pas dépaysé par l'instrumentale. Les couplets, menaçants et séduisants, sont hélas éclaircis par un refrain pas forcément des plus inspirés.

Jusque-là oeuvre correcte mais n'apportant rien d'indispensable à la discographie de NINE INCH NAILS, Add Violence décolle avec This Isn't the Place, dont la première partie pourrait sortir tout droit des passages les plus ambiants de The Fragile. Quand Reznor chante, il le fait d'une voix brisée, triste, comme une version plus organique du titre A Minute to Breathe. Certes, rien de nouveau à l'horizon, mais c'est beau et ça marche. Ironiquement, avec un titre comme Add Violence, on ne s'attendait pas à une ambiance aussi mélancolique, après un début très pop. On est très loin de la testostérone de Not the Actual Events, du moins jusqu'à Not Anymore, plus bruitiste, furieuse et folle. Avec ses sonorités très industrielles, ses refrains explosifs chargés de colère et son final brutal, le morceau sert de rampe de lancement à The Background World, titre fleuve de presque 12 minutes (ce qui est assez rare pour NIN), à nouveau assez ambiant mais auquel une rythmique à la Closer et la superposition de sons vient donner un côté sale et désespéré avant une deuxième partie instrumentale de plus en plus destroy avec d'étranges boucles qui sonnent comme des glitches, comme si la machine se grippait... à moins que ça ne soit la réalité (ou son illusion) elle-même qui tombe en ruine. Si en terme de sons, NINE INCH NAILS nous propose essentiellement des choses que l'on a déjà entendues, ce morceau épique est assez inédit dans sa construction et rajoute une grosse louche d'intérêt à l'EP.

Add Violence est à nouveau un très bon disque. C'en est agaçant. Ces types sont tellement bons que tout ce qu'ils font est objectivement excellent, tout fonctionne, chaque son est parfaitement à sa place. Oui, mais (et c'est un gros mais), la musique, c'est subjectif. Et si NINE INCH NAILS version Hesitation Marks était probablement trop froid pour émouvoir, le duo (et ses guests) renoue avec quelque chose de plus viscéral sur ces EPs. Ce n'est pas toujours une réussite totale et on se dit parfois à l'écoute du disque que c'est certes très bien mais aussi un peu chiant, un peu déjà entendu. Rester sur cette impression, ce serait oublier les moments de grâce qu'il nous offre, quand, au détour d'une nappe, d'une note ou d'une nuisance sonore, Reznor nous rappelle qui c'est le patron.