Chronique | The Memory of Snow - Obsidian Dust

Pierre Sopor 12 juillet 2025

Mais comment fait-il ? Avec un rythme d'un album par an depuis son premier en 2023, on pourrait s'attendre à voir The Memory of Snow céder à certaines facilités... Il suffit de jeter un oreille distrait à la durée d'Obisidian Dust, le troisième album du projet cold wave / synthpop / dreampop d'Albin Wagener pour constater que non, l'artiste n'est pas devenu paresseux. Préparons-nous alors à une nouvelle plongée de plus d'une heure dans un univers poétique et mélancolique profondément personnel : réglez votre vision sur "nuances de gris", laissez mourir vos sourires niais, abritez-vous du soleil, si vous dansez ce sera avec la mollesse de l'abattement.

Ce n'est bien sûr pas qu'à sa durée que l'on note le travail dont a bénéficié Obsidian Dust. Alors que So Many Buildings Close to the Sea nous enveloppe de son spleen, une guitare discrète et une nappe de synthé éthérée donnent au morceau sa touche onirique, contrastant avec la réalité urbaine qu'évoque le titre. The Memory of Snow nous plonge dans les eaux de sa nostalgie et de sa recherche musicale, aussi bien en terme de composition que de structures. On n'a jamais fait le tour d'un titre en quelques secondes et Obsidian Dust est un album qui exige notre attention. Si son auteur respecte assez ses auditeurs pour leur proposer autre chose que du réchauffé, la moindre des choses est alors de lui accorder l'oreille et le temps qu'il mérite.

Il est d'ailleurs aussi agaçant que satisfaisant de chercher à ranger tout cela dans un tiroir alors que l'auteur, lui, parle de dreampop et de post-punk. The Memory of Snow décloisonne tout cela plutôt que de chercher à singer les gimmicks propres à un genre, bien que les influences soient parfois criantes : on pense par exemple à Depeche Mode et Bowie alors que ce chant grave, à la fois élégant et torturé, évoque une rencontre improbable entre Robert Smith et Mick Moss d'Antimatter.

Cette forte personnalité se retrouve également dans les paroles : "there's nothing romantic about pain" chante Wagener sur Betrayed, alors que la guitare durcit le ton... tant pis pour les clichés goth, alors que les textes bénéficient du même soin. On n'en attendait pas moins d'un artiste qui a par ailleurs lancé le magazine Malheurs Actuels, dédié à l'inaction écologique (on repense alors aux "immeubles trop près de la mer" qui ouvraient l'album...) : de la verve, de la pertinence, un ton bien à lui. En voilà un qui ne fait pas de la musique pour "faire comme" mais bien parce qu'il a des choses à nous dire. On est parfois surpris par la direction plus hargneuse que peut prendre Obsidian Dust (la fougueuse Dark Star, la nervosité post-punk de Ghost City, le crescendo poignant de The Cold Birth of Despair, l'amertume qui tend Blast from the Past), l'auditeur trouvera alors dans cette densité nouvelle de quoi transpirer, serrer les dents et se faire embarquer par des refrains "tubesques".

Il y a dans Obsidian Dust un sens perpétuel de la "chanson qui marche", de l'idée qui accroche, de la mélodie qui se colle à nous comme une bruine de novembre. La modestie d'une forme de simplicité couplée à une ambition, une envie de proposer des choses sans se répéter. Prince of Asturias et ses chœurs, le violon en intro de Dakota Skye ou le saxophone de Please Me viennent apporter par touches parcimonieuses une ampleur nouvelle qui élargit la musique, apportant un supplément d'air à l'ensemble. Appeler son final Destination, tout de suite, ça donne une teinte funèbre ! Avec son piano solennel et sa conclusion aérienne, ce dernier morceau synthétique bien le voyage. The Memory of Snow manie avec élégances les nuances, se rafraîchit dans la noirceur mais s'empare des rayons les plus pales du soleil pour dessiner de nouvelles ombres à l'aide de leur froide lumière.

L'ensemble, doux-amer mais brûlant aussi d'ardeur, réussit à trouver la formule magique de la chanson qui fonctionne immédiatement, entre fausse simplicité et recherche qui ne fait jamais dans la surenchère ou le cérébral pompeux. Si Obsidian Dust peut alors facilement se picorer par petits bouts tant chacun de ses fragments est un modèle d'efficacité, on vous recommande néanmoins de vous laisser porter par ces rêveries automnales et de vous immerger pleinement, la traversée ne manque pas de paysages dans lesquels projeter notre vague à l'âme.

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe