Raymond Watts alias PIG nous rentre dans l’lard avec humour, poésie et humilité

Raymond Watts alias PIG nous rentre dans l’lard avec humour, poésie et humilité

Mandah 7 mai 2023 Mandah

PIG est le projet principal du musicien et producteur britannique Raymond Watts, membre fondateur du mastodonte industriel allemand KMFDM. Depuis le début des années 80, non seulement a-t-il été prolifique avec son propre projet PIG - qui est considéré comme une icône révolutionnaire de la musique industrielle, mais aussi actif dans son implication avec une multitude de musiciens, dont des pionniers de leur genre, à travers le monde (Foetus, Einstürzende Neubauten, Psychic TV, SCHAFT, SCHWEIN et bien d'autres). Le mélange original d'influences musicales de PIG, souligné par ses rythmes dansants, sa voix magistrale & présence charismatique, par ses références aux produits du porc et sa tendance à taquiner ses pairs en a fait un favori parmi beaucoup d'autres, dont le leader de Nine Inch Nails, Trent Reznor, qui a emmené le groupe en tournée en 1994. Plus tard, Raymond Watts a travaillé avec le supergroupe SCHAFT aux côtés de Imai Hisashi (BUCK-TICK) et Fuji Maki (Soft Ballet). Il a ensuite formé SCHWEIN avec Sascha Konietzko (KMFDM) et ses amis chers, Imai Hisashi et Sakurai Atsushi (BUCK-TICK) en 2000. En 2006, après s'être épuisé aux drogues, à l’alcool et musique, Raymond Watts a fait une pause qui a duré près une décennie. Durant cette période, l'artiste a composé de la musique pour des défilés de mode - dont ceux de l'icône de la mode Alexander McQueen - des musiques de film et jeux vidéo. En 2016, PIG revient sur la scène musicale industrielle avec 'The Gospel', co-écrit et coproduit par Z. Marr (ex-COMBICHRIST). Raymond Watts a été, depuis, extrêmement créatif et fertile dans son écriture pour PIG. Après une série d'albums et d'EP, Watts a sorti The Merciless Light en 2022 (chronique, ici). Aujourd'hui, nous sommes extrêmement heureux d'interviewer la tête créative derrière PIG. Attachez votre ceinture et préparez-vous à l'impact. Ça vaut le détour !

Merci, Raymond, de m’accorder du temps pendant tes vacances. C'est une véritable ère globale, tu es Anglais, je suis Française et nous sommes ici à Tokyo, au Japon, pour cette interview. Comment se passe ton voyage au Pays du Soleil Levant ?
Raymond
: Agréablement bien jusqu'à présent. Je suis venu ici de nombreuses fois dans le passé. C’est un pays très cher à mon cœur. J'ai voyagé au Japon 25 fois, ou plus, dans ma vie. Mais, c'était toujours pour le travail. À chaque fois, c'était un cycle de travail non-stop, de jour comme de nuit : enregistrement, tournée, promotion, photoshoot, interview, enregistrement, tournée etc. C'était une boucle infinie. Je suis venu ici, au Japon, pour la première fois en 1981, quand j'avais 19 ans avec un petit groupe qui s'appelait CLONES. Le groupe n'a pas eu de succès, on n’a rien fait d'important (rires). Puis, je suis revenu dans les années 1990, beaucoup de fois, pour le travail. C'était toujours pour les affaires, jamais pour le plaisir. C'est la première fois que je viens ici en tant que touriste et c'est absolument merveilleux. C'est ma première fois depuis plus de 20 ans. Je suis très excité d'être de retour. Ça faisait trop longtemps. C'est agréable de faire des choses touristiques : aller dans les temples et les sources chaudes (onsen) à Kyoto, aller au marché extérieur de Tsukiji à Tokyo. C'est aussi formidable de voir de vieux amis à moi et de ne pas avoir de travail à faire. C'est une nouvelle expérience et j'en profite. C'est super, j'adore.

J’en ai bien l’impression. Je me sens coupable de te déranger pendant tes vacances.
Quel est ton endroit préféré au Japon ?
Raymond
: Tu ne me déranges absolument pas. C'est un plaisir d'échanger avec toi. Je dois dire que j'adore Tokyo. J’ai toujours aimé cette ville. J’en suis tombé amoureux la première fois que je suis arrivé ici. J'avais 19 ans et j'en ai maintenant 61. J'adore Tokyo, parce qu’elle fait appel à deux mondes - un paysage urbain ultramoderne aux côtés de la nature et des sentiers de randonnée à quelques minutes en train. Je viens de passer 3 jours à Kyoto et c'était merveilleux. Marcher dans les belles rues de Kyoto est incroyable. L'atmosphère est vraiment calme et paisible. Kyoto est une ville qu'il vaut mieux voir à pied. J'ai vraiment aimé explorer les petites ruelles, m'arrêtant de temps en temps pour m'imprégner de la beauté et de l'atmosphère. C’est une belle et relaxante destination. Kyoto est calme et tranquille, et porte de la sagesse et du pouvoir. Elle a su préserver son histoire. Elle reste intemporelle en quelque sorte. Mais j'adore être ici à Tokyo, dans la folie de Shibuya et Shinjuku. Tokyo est un labyrinthe de rues animées et de ruelles secrètes. J'aime toute sa folie. C'est une ville merveilleuse. J'aime le Japon. C'est incroyable d'être de retour.

Je suis contente d'entendre que tu passes un bon moment.
Ta cadence de publication est impressionnante. Tu sors un album-studio chaque année et, entre ces albums, tu publies des EP ou remixes. Penses-tu qu'il y a une cadence idéale pour les sorties d'albums, un laps de temps d’attente entre les disques ?
Raymond
: Je ne pense pas du tout de cette façon-là. Je doute qu'il y ait un bon laps de temps à prendre entre les enregistrements. En ce qui me concerne, je ne prends en compte que mes propres besoins. S'il y a quelque chose à écrire, s'il y a quelque chose que je veux dire, s'il y a quelque chose que je dois faire sortir de moi-même, quelque chose que je veux publier, je le publierai. S'il n'y a rien à écrire, je m'arrête et je n'écris rien. Il est vrai que récemment j’ai sorti beaucoup de musique. J'ai été très occupé. J'écris beaucoup. Je me sens super créatif. Il fut un temps, entre 2003 et 2016, où je n'écrivais rien. J’avais tout arrêté. Je n'avais juste rien à dire. Je me noyais essentiellement dans la drogue. Je n'avais aucune envie de faire autre chose. A l'époque, j'avais touché le fond... Pour résumer, je ne pense pas à la cadence, à la fréquence ou aux nombres. Quand il y a quelque chose à écrire, je sors un album. Quand il n'y a rien à écrire, je ne publie rien. C'est égoïste et simple mais c’est ma façon de faire (sourit).


© E Gabriel Edvy

Tu as bien raison.
Ton dernier album, The Merciless Light, un excellent travail que j'invite tout le monde à écouter, est sorti à la fin de l'année dernière. J'ai entendu dire que tu travaillais déjà sur un nouvel album. Où en es-tu dans son processus ?
Raymond
: Merci pour ce que tu dis. C'est vrai, une grande partie de la musique a été écrite. Les mots ont été écrits aussi. Mais assembler les deux est une autre histoire. J'ai les paroles et la musique, mais les marier peut prendre un peu de temps. J'ai beaucoup de musique. J'ai des morceaux qui pourraient tenir sur 2 ou 3 albums. Il faut que je purge ça pour sortir les meilleurs sur un seul disque. Je suis assez loin dans le processus. J'ai travaillé avec un gars qui s'appelle Jim Davies, qui joue de la guitare pour THE PRODIGY. On a co-écrit de la musique ensemble, ce qui est très rafraîchissant. Nous avons co-écrit 3 chansons sur l'album Merciless Light. On a beaucoup plus travaillé ensemble sur celui-ci. Évidemment, certains éléments sont identiques. Je n'ai pas beaucoup changé depuis la dernière publication. C'est ma voix et ma façon de faire de la musique, ma programmation. Mais travailler avec Jim apporte une autre texture. Ce sera légèrement différent. Faire de la musique, c'est comme concocter un gâteau. Si tu utilises des ingrédients différents, la saveur sera différente.

J’ai hâte d’écouter cela.
Tu voyages au Japon en ce moment. Tu étais dans la majestueuse vallée du Lot en France il y a plus de 2 mois. Comment les voyages profitent-ils à ta musique ?
Raymond
: Tout à fait. Je suis allé en France pour commencer le processus d'enregistrement du nouvel album. C'est agréable d'être loin de chez soi de temps en temps. Ma vie est à Londres. Je travaille à Londres mais c'est aussi l'endroit où je promène les chiens, c'est l'endroit où je fais des courses, fais de la paperasse, vois ma famille et rencontre mes amis. Et, j'aime ça. Mais, parfois, j'ai envie de m'absenter un petit moment, surtout quand j'essaie de me retrouver dans un disque. Parfois, j'ai du mal à trouver la direction d'un disque. Quand ça arrive, j'échappe à la routine. Cette fois-ci, j'ai installé un tout petit studio dans mon sac à dos et je suis allé voir mon plus vieil ami dans la vallée du Lot (France). Il a une belle maison. Il m'a laissé utiliser une chambre spacieuse avec une vue magnifique sur la rivière. C'est merveilleux, vraiment magnifique. Je me réveille, prends une douche, prends un café et puis, je commence à enregistrer. C'est tout ce que je fais. Il n'y a pas de conneries. Il n’y a pas de chichi. Cela m'aide à trouver ma route créative. C'est ainsi que j'arrive à découvrir comment réaliser ou gérer un nouveau disque. Quand je vivais et travaillais à Berlin, l'atmosphère était différente. L'environnement change ma façon de faire de la musique. Alors oui, l'environnement apporte quelques chose à ma musique.

Quels adjectifs utiliserais-tu pour décrire l'environnement d'enregistrement à la vallée du Lot, Seattle, Tokyo et Berlin ?
Raymond
: C'est une question difficile. Je ne pense pas pouvoir répondre convenablement. Cela dépend vraiment de beaucoup de choses. C'est un équilibre délicat et fragile d'influences. L'environnement englobe de minuscules petites choses. Jette un œil à la beauté du moment. On est ici dehors, ensemble. Regarde la manière dont le soleil brille sur les feuilles des arbres, écoute comme le vent souffle à nos oreilles ou le bruit du train qui passe. Il n'y aura plus de moment comme celui-ci. Ce moment sera bientôt un souvenir. L’environnement englobe également ce qui se passe en toi. La façon dont tu te sens en ce moment, ce qui se passe dans ta tête. L'émotion que tu ressens en ce moment disparaîtra bientôt. La ville n'est qu'un élément parmi une montagne d'autres composants. C'est une question intéressante, une idée intéressante. Je pense que changer les choses te fait parfois voir les choses d'une nouvelle manière. Changer d'environnement t’aide à changer les lentilles à travers lesquelles tu regardes le monde. Tu sais, nos décisions sont largement influencées par ce qui nous entoure. Certains objets autour de nous peuvent déclencher certaines pensées, émotions ou désirs. Cela peut influencer l'humeur. C'est juste un fragile équilibre d'influences.


© E Gabriel Edvy

C'était magnifiquement éloquent. Je ne pourrais pas être plus en accord avec toi.
Tu as vécu et travaillé au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Allemagne, en France et au Japon. Tu as travaillé avec de nombreux artistes à travers le monde. Comment fais-tu pour travailler avec succès à travers les pays, les langues et les cultures ?
Raymond
: C'est devenu plus facile maintenant grâce à la technologie. Les e-mails sont rapides et faciles. Avant la démocratisation d'Internet, je devais prendre l'avion et me rendre dans un studio d'enregistrement à Seattle, Tokyo ou quelque part en France. Cela devient de plus en plus facile. Avec ma chanteuse Michelle, qui vit en Australie, on correspond simplement par e-mails et parle sur FaceTime. J'envoie des fichiers et elle travaille dessus. Ce serait totalement différent si je devais me rendre en Australie en personne. Il y a des avantages et des inconvénients. Cela dépend en fait de ce que font les gens avec qui je travaille. Quand je travaille avec des guitaristes, je veux toujours être dans la même pièce. Je trouve beaucoup plus facile d'être côte à côte pour parler et essayer des choses. Je peux diriger le musicien : "raccourcis cette partie, rallonge-la, mets un peu de demi-ton ici". Travailler en étroite collaboration avec des guitaristes est essentiel pour moi. Travailler avec des guitaristes, c'est comme faire de la sculpture avec de l’argile. On doit se salir les mains ensemble et pour ce faire, je dois être dans le même espace. Cela dépend vraiment de ce que nous faisons. Parfois, j'aime laisser les musiciens faire leur travail et je reçois quelque chose en retour par e-mails. Cela étant dit, j'aimais vraiment être à Seattle pour enregistrer de la musique. Il y a quelque chose de spéciale dans l'atmosphère là-bas. Seattle est une ville qui danse sur son propre rythme. Seattle est musical. C'est différent à Tokyo. Avec les artistes japonais, il y a toujours toute le management dans la salle d'enregistrement, ce qui est un peu bizarre honnêtement. Le gars A&R, le manager, l'assistant et ainsi de suite. J'aime mon gars A&R, j'aime mon management, j'aime mon équipe mais je trouve un peu étrange qu'ils soient en studio tout le temps. Je trouve drôle de ne pas être entouré de musiciens uniquement dans un studio d'enregistrement. Je pense que le studio d'enregistrement concerne la musique et la musique uniquement. Quand je travaille en Angleterre, le studio d'enregistrement n'est occupé que de musiciens et la façon de créer de la musique est toujours spontanée. Les musiciens essaient vraiment des idées, ils jamment. Lorsque des suggestions sont faites dans un studio d'enregistrement japonais, c'était assez sérieux. Quand je travaillais au Japon, le management avait beaucoup de discussions autour des choix musicaux qu'on faisait.

C'est définitivement culturel. Le Japon est connu pour ses réunions interminables. Ils impliquent toujours toute l'équipe. Chacun est obligé de participer même si ses responsabilités ne sont pas liées. Je pense que c'est une façon de mettre l'accent sur l'harmonie et l'homogénéité. Tout le monde dans le même bateau.
Raymond
: Ah, intéressant ! Je vois. J'en ai beaucoup fait l'expérience : qu'il s'agisse de mise en place d’un concert, de scénographie, d'enregistrement de musique, de choix de setlist. Je trouve que ça manque un peu de spontanéité et d'efficacité. C'est une perte de temps. Cela semble un peu inutile. Il y a un proverbe qui dit "the nail that sticks out gets hammered down". Ceux qui sont trop différents ou trop visibles sont critiqués ou sanctionnés par les autres. Le Japon semble si homogène, son peuple et sa culture semblent si similaires que si vous vous démarquez de quelque manière que ce soit, vous serez persécuté en conséquence. Peut-être. Je ne sais pas. Mais quoiqu'il en soit, lorsque la libre circulation des idées opère, elle ne doit être ni menacée ni perturbée par aucune conversation extérieure. C'est juste une façon différente de faire les choses, je suppose.

Comme je disais, tu as travaillé avec de nombreuses personnes à travers le monde. Quelle a été la collaboration la meilleure / la plus excitante que tu aies eue jusqu'à présent ?
Raymond
: J'en ai fait pas mal. Il y a de nombreuses, nombreuses années, en 1989 environ, j'ai collaboré avec le compositeur australien Jim Thirlwell sur un projet appelé STEROID MAXIMUS. C'est principalement de la musique instrumentale qui incorpore de nombreux autres éléments comme le jazz. C'était génial. Mais, ma collaboration préférée jusqu'à présent est SCHWEIN. J'ai vraiment aimé faire ce projet avec le chanteur Atsushi Sakurai et le guitariste Hisashi Imai (BUCK-TICK). PIG a tourné avec BUCK-TICK au Japon. J'ai suggéré l'idée de faire de la musique ensemble à ces deux mecs qui sont devenus de très chers amis. Ils ont adoré l'idée. On a enregistré quelques chansons à Yokohama, d'autres chansons à Londres. C'était un projet international, une union intéressante. Atsushi est une personne fantastique et un grand chanteur. Imai est un compositeur de génie et un guitariste intéressant. Ils sont très différents des gens avec qui j'ai l'habitude de collaborer. C'était une expérience intéressante. J'ai eu beaucoup d'autres belles collaborations. Je me considère chanceux. Dans les années 1980, je me souviens avoir fait un (presque) disque house pour rire et j'ai demandé à Blixa Bargeld, d'Einsturzende Neubauten, de chanter dessus. C'était une collaboration amusante. J'ai de bons souvenirs (sourires).

Avec qui aimerais-tu travailler maintenant ?
Raymond
: Oh, j'aime cette question. Laisse-moi réfléchir. Cela n'a rien à voir avec la musique industrielle, mais depuis peu je vais souvent à l'opéra. J'aime beaucoup Freddie De Tommaso. C'est un jeune chanteur d'opéra dont la voix magnifique prend d'assaut le monde de la musique classique. C'est un ténor anglo-italien, un phénomène vocal. Ce serait intéressant de collaborer avec lui. Tu vas à l'opéra un peu ?

Non, du tout.
Raymond
: Tu devrais essayer. C'est une super expérience. Aller à l'opéra est un événement que tu n'oublieras pas. Le chant est fantastique, un orchestre de 80 musiciens est grandiose, la mise en scène est fabuleuse. C'est le tout qui s'unit. Quand on écoute de l'opéra chez soi, c'est génial. Mais quand on voit la musique, les costumes, les éclairages, c'est un tout autre niveau. C'est un environnement fantastique et grandiose. Cela amène la musique à un autre niveau. C'est une belle expérience à vivre au moins une fois. L’union de tous ces beaux éléments crée de la magie.

Tu m’intéresses. Je l’ajoute sur ma liste de choses à faire.
Tu es polyglotte, n'est-ce pas ?
Raymond
: Polyglotte (sourit, surpris) ? Non, je ne le suis pas du tout. Nan (rires). Honnêtement, j'ai vécu en Allemagne pendant 6 ans et pourtant je ne parle pas l’allemand. Je connais quelques bases mais ma grammaire est déconstruite. J'ai aussi vécu longtemps en France, ma copine était française et pourtant, je n’ai jamais réussi à apprendre la langue. C'est un peu gênant à dire. Je ne suis vraiment pas polyglotte. Je suis nul pour apprendre les langues. Mais je chante en allemand, parfois. J'étais dans un groupe appelé KMFDM, un groupe allemand. Il y avait un gars nommé En Esch qui a également collaboré avec moi sur le projet PIG. Quand je chante en allemand, j'écris d'abord à peu près ce que je veux dire et il le corrige, il s'assure que c'est grammaticalement exact. Et puis, on le chante ensemble. Il affine ma prononciation et mon intonation. La langue allemande sonne industrielle, elle est sombre, puissante et tranchante. Mais, je ne suis certainement pas polyglotte. Je connais des mots dans d'autres langues que je veux utiliser dans mes chansons. Mais c’est tout.


© E Gabriel Edvy

Complètement d’accord, l'allemand est parfait pour la musique industrielle.
Quand tu travailles avec le chanteur Atsushi Sakurai et le guitariste Hisashi Imai de SCHWEIN (BUCK-TICK), quelle langue utilises-tu ?
Raymond
: On parle le japoglais qui est un mélange non orthographique et absurde de japonais et d'anglais (rires). Lorsqu’on travaille ensemble sur le côté technique de la musique, on fait parfois appel à un traducteur. Mais la musique est un autre langage. La musique parle d'elle-même.

C’est sûr.
Ton expression musicale, y compris le style de ta voix, est unique. Quand tu as commencé à faire de la musique, était-ce quelque chose que tu avais en tête, être unique ?
Raymond
: Honnêtement, j'ouvre juste la bouche et des sons sortent (sourire). Plus sérieusement, ce n'était pas quelque chose que j'avais en tête. J'ai juste fait ce que je voulais faire et je fais toujours ce que je veux faire. Ce n'est jamais calculé. Quand j'ai commencé PIG, je vivais à Berlin-Ouest et  Hambourg (Allemagne). Dans les années 90, ma vie était une montagne russe de beaucoup de choses sur lesquelles je travaillais en tant que personne. Je n'étais pas dans un état d’esprit heureux. Je m'enfonçais de plus en plus profondément dans une fosse de plus en plus sombre sans issue. C'était une véritable descente dans les endroits les plus sombres de ma vie. La vie était excitante, mais tout était trop extrême, comportement extrême, consommation extrême de drogue, travail extrême, tournée extrême. J'avais l'impression que j'avais besoin d'aller dans des endroits de plus en plus sombres pour créer de nouvelles compos pour le prochain album. Et puis, au début des années 2000, j'étais à la limite de l’épuisement. Je ne savais pas où aller. J'étais perdu sur le plan créatif. Alors, j'ai arrêté et j'ai fait des choses très différentes. J'ai pris un autre chemin et changé ma vie. Quand je suis revenu à PIG en 2015, je me suis reconnecté à ma façon de penser et de faire de la musique quand j'étais beaucoup, beaucoup plus jeune. Faire de la musique est amusant et devrait consister à jouer.  Je ne cherche plus les fins fonds obscures de ma personne. Je veux juste profiter de la musique pour ce qu'elle est. Je veux juste jouer. Je pense que le véritable art, la véritable créativité, vient d'un flux spontané d'idées. C'est un processus qui se déroule de lui-même, sans aucune aide extérieure. Il s'agit de déconner, d'essayer des choses, de faire des erreurs. Cela m'a rappelé de revenir à l'époque où j'étais vraiment jeune, quand je commençais à m’intéresser à la musique. Dans les années 70, j'avais un mini magnétophone. Je frappais littéralement sur des boîtes de biscuits et faisais des bruits de guitare avec ma bouche avant de pouvoir acheter ma première petite guitare. Je suis revenu aux fondamentaux. C'est modeste, pas si grandiose mais beaucoup plus amusant et plus lié à la créativité qui vit en moi. Je ne vais plus dans les endroits les plus sombres pour trouver la création. Je trouve la création dans l’enfant qui sommeille en moi. Les drogues ont une longue histoire en relation avec la créativité des artistes. Elles sont utilisées comme un moyen d'accéder à des modes de conscience enfouis par une altération de l'expérience de l'esprit du moment présent. Mais c'est dangereux et faux. Ce fut une bénédiction de découvrir que je pouvais être créatif sans consommer de drogue. Ma musique est maintenant un voyage intérieur.

Félicitations pour ta sobriété. Cela me rappelle une citation qui dit "chaque enfant est un artiste. Le problème est de savoir comment rester artiste une fois devenu grand". J'ai entendu dire qu'avec PIG, tu voulais faire quelque chose de plus extrême, de plus expérimental que la musique que tu créais avec KMFDM.
Raymond
: A l'époque, je travaillais avec beaucoup de petits groupes sympas de la scène Neue Deutsche Welle, qui est un genre de musique rock ouest-allemand dérivé à l'origine de la musique post-punk et new wave avec des influences électroniques. J'ai travaillé avec Psychic TV et Foetus. Ensuite, j'ai lancé le projet KMFDM. Cela va paraître un peu impoli mais la musique du groupe était un peu ennuyeuse et plate à mon goût. Ce qu'ils faisaient n’était pas aussi sombre que je voulais faire. J'aime En Esch (KMFDM) et j'aime son travail avec moi sur le projet PIG. Mais, au début des années 80, je voulais vraiment pousser les limites le plus loin possible. Je voulais être totalement libre artistiquement. Je voulais conduire mon propre véhicule et être capable de percuter un mur, de franchir une falaise. Parfois, cela me conduisait dans un palais de fabuleuse sonorité, et d'autres fois, cela me conduisait dans un cachot de misère. J'avais besoin de cette liberté. Je voulais emmener PIG dans des terres inconnues. Et c'est ce que je fais encore aujourd'hui. Je conduis ma propre voiture. Je marche au rythme de mon propre tambour.


© E Gabriel Edvy

J'en suis sûre.
Pourquoi n’as-tu pas simplement appelé ton projet par ton nom Raymond Watts ?
Raymond
: Bonne question. Je ne sais pas. J'adore le mot "pig" (cochon). C'est juste un mot court, saisissant et simple. Les utilisations métaphoriques du mot ont des connotations très négatives, couramment utilisées pour insulter une personne comme étant sale, cupide ou répréhensible d'une autre manière. Mais les cochons sont extrêmement intelligents, incroyablement incompris. Si je devais examiner tout le pourquoi du comment, je pense que j'ai probablement été attiré par cet obscur malentendu. Peut-être que ça me parle intimement.

Je vois.
PIG est considéré comme un héros de la scène industrielle. Qu'est-ce que ça fait d'être considéré comme un pilier de la musique industrielle ? En es-tu conscient ?
Raymond
: Je n'en sais rien (rires). Je ne suis pas au courant de ça. Je n'ai jamais ressenti ça. Je ne suis pas un pilier de quoi que ce soit. Je préfère ne pas être au courant de choses comme ça. Je préfère faire mon truc, mon humble truc de mon côté. Je veux être libre de tout ça. Sans attentes, sans pression. C’est ce que j’aime avec PIG. J'ai toujours essayé de garder ce projet volontairement obscur. Il est assez difficile de se procurer les CD par exemple. Une grande partie de mon travail avec PIG n'est pas sur des plateformes de streaming et j'en suis très content.

Tu as décidé de te lancer en solo pour des défis musicaux et liberté artistique. Si KMFDM n'était pas assez satisfaisant, qu'est-ce qui t’a inspiré à former un autre groupe, SCHWEIN, un projet révolutionnaire d'ailleurs, avec Sasha (KMFDM), Imai et Sakurai (BUCK-TICK) ?
Raymond
: Simple, j’adore Atsushi Sakurai et Hisashi Imai. Ce sont des gens formidables et des artistes très talentueux. J'aime leur travail. Ils sont éclectiques. Ils sont vraiment ouverts à différents types de musique. Ils aiment relever des défis, aller dans différentes directions. Ils sont artistiques, réfléchis, sophistiqués, ouverts d'esprit et curieux. Je les aime et évidemment, je voulais travailler avec eux. On a créé SCHWEIN ensemble et cela a fonctionné à merveille. Quant à Sasha, j'avais l'habitude de travailler avec lui sur le projet KMFDM. J'ai quitté le groupe et je l'ai rejoint en 1994. J'ai beaucoup travaillé avec eux. On a tourné en Amérique ensemble. A l'époque, j’allais pas mal au Japon. Je travaillais avec The Hit Parade, un groupe pop. Sasha semblait vouloir aller au Japon. Il disait toujours : "Je veux aller au Japon, je veux aller au Japon aussi". Je l'ai invité à travailler sur le projet. Mais, il ne nous a pas rejoints lors de la tournée. Il a abandonné, ce qui n'était pas génial… Je ne sais pas pourquoi il a décidé de ne pas venir… Je pense qu'il est tombé malade ou autre. Quoi qu'il en soit, j'ai demandé à Bryan Black de BLACK ASTEROID et Arianne Schreiber de m'accompagner. Et c'était bien. Ce fut une tournée mémorable.

J'espère que tu redonneras vie à SCHWEIN un jour.
Comment se passe le processus d'écriture et d'enregistrement en tant qu'artiste solo par opposition à travailler avec un groupe ? Quels sont les avantages et les inconvénients des deux processus ?
Raymond
: Pour être honnête, je suis toujours assez solo (rires). Il y a plus à faire quand on fait tout par soi-même, ce que j'aime. J'aime faire les choses moi-même. J'ai besoin d'avoir les mains pleines. J'ai besoin de travailler. J'adore travailler en tant qu'artiste solo. La collaboration est une chose étrange pour moi. Souvent, lorsque je collabore avec quelqu'un, la personne me présente du matériel musical. Désolé, je vais être vraiment honnête ici, la première impression que j'ai est toujours négative. Je pense toujours : "Oh mon Dieu, qu'est-ce que je vais faire avec ça". Je ne sais pas quoi faire de ce qui m'est présenté. J'ai l'impression de n'avoir rien à dire. Je pense toujours : "je ne peux rien faire avec. Si j'avais écrit ça moi-même, je l'aurais mis à la poubelle" (rires). Mais, c’est précisément parce que quelqu'un me le présente, que je veux faire de mon mieux pour en faire quelque chose. Cela devient un défi qui est l'essence même d'une collaboration. Son essence réside dans le fait d’aller visiter des terres inconnues, un endroit où tu ne serais jamais allé par toi-même. C'est la partie intéressante de la collaboration.

En effet.
Tu as baigné dans l'industrie de la musique toute ta vie. Tu l'as vu changer au fil des années. Quand as-tu pris conscience pour la première fois de l'impact d'Internet sur l'industrie de la musique ?
Raymond
: J'ai commencé à voir un changement à la fin des années 1990 et au début des années 2000. C'est le moment où j'ai vraiment eu l'impression que l'industrie de la musique était en train de changer. Cela a coïncidé avec ma prise de conscience, c’est l’époque où j’ai eu l’envie d'explorer de nouvelles choses et comprendre les avantages de sortir de la spirale infernale des tournées interminables, des enregistrements extrêmes, de la consommation massive de drogues et autres dépendances. C’est l’époque où j’ai pris conscience que j’étais pris au piège dans le tourbillon des ténèbres. C'est le moment où j'ai réalisé que je voulais descendre du bus et prendre un autre chemin. Quand la démocratisation de la musique s'est produite, ma première réponse a été "oh merde, on est foutus". J'avais une aversion pour sa démocratisation. Je pensais que n'importe qui pouvait faire de la musique. C'était presque choquant. Maintenant, j'ai l'impression que c'est la meilleure chose qui soit. Si tu veux te démarquer, tu te dois d’être très bon. Avant, c'était spécial et limité aux personnes qui pouvaient se permettre d'aller dans un studio d'enregistrement. J’ai mis les pieds dans un studio pour la première en 1978. C'était un studio d'enregistrement 16 pistes pour être précis. C'était comme le Saint Graal. C'était un lieu sacré parce que c'était cher et difficile. Maintenant, tout le monde peut avoir un studio d'enregistrement dans son ordinateur portable. N'est-ce pas fou ? J’aime l’idée. Tu dois te pousser plus loin pour être bon et te démarquer.

Tu penses qu'à l'époque, la limitation des possibilités te faisait pousser le son plus loin ?
Raymond
: Oui, ça ! Absolument, oui. La limitation des possibilités te faisait pousser le son plus loin. Le premier album de KMFDM que j'ai fait - dans lequel il y a quelques chansons de PIG (puisque écrites entièrement par moi-même), était dans un studio d'enregistrement à 8 pistes. J'avais un sampler avec une seconde de temps d'échantillonnage. Je ne pouvais pas ni modifier l’arrière, ni l'avant. C'était vraiment limité. J'avais un synthétiseur et une boîte à rythmes. Et c'était tout. Je devais faire de la magie avec très peu de possibilités. J'ai dû pousser le son plus loin. Lorsque tu es limité, tu dois défier les idées à la limite de leurs possibilités. Maintenant, tu achètes un synthétiseur et 3000 préréglages te sont présentés. C'est ce que j'appelle la "tyrannie du choix". Et ça te retient en arrière. Au lieu de faciliter ta liberté créative, l'abondance de choix te limite. Apprendre à choisir est difficile. Apprendre à mieux choisir est plus difficile. Et apprendre à bien choisir dans un monde de possibilités illimitées est peut-être trop difficile. Le choix peut gâcher ta capacité à repousser les limites. Comme je le dis toujours, "moins, c’est plus" (less is more).


© E Gabriel Edvy

Tu as dit plus tôt que tu ne voulais pas mettre toute ta discographie sur des plateformes de streaming. Tu n’as pas l'impression de perdre de l'argent ? Les services de streaming procurent désormais à l'industrie de la musique ses plus gros bénéfices depuis une décennie.
Raymond
: PIG n'est pas le projet le plus rentable du siècle (rires). Mais, tu as probablement raison. Je devrais peut-être me pencher là-dessus. Je vais voir les gars de SCHWEIN et on en reparlera. J'adorerais rééditer les travaux antérieurs de PIG.

Tu as fait une pause en 2006 qui a duré près d'une décennie. Pendant ce temps, tu as composé des musiques pour des défilés de mode dont celui d'Alexander McQueen. Était-ce difficile ?
Raymond
: J'ai adoré. Travailler avec Alexander McQueen était grandiose. On pourrait penser que, parce que c'est de la haute-couture, parce que c’est une marque de luxe, les mecs diraient : "nous voulons quelque chose de vraiment raffiné et fabuleux". Non du tout, c'était plutôt le contraire. Ils ont toujours voulu la musique la plus sombre, la plus bizarre, la plus sale, la plus sinistre qui soit. Drôle, non ? J'ai fait de la musique qui accompagnait leurs films, des vernissages et des défilés. C'était super de travailler avec eux. J'ai adoré (sourit). Le directeur musical de McQueen était un gars avec qui j'étais dans un groupe, un vrai groupe industriel, sale, du début des années 80. Il s'appelle John Gosling. Il était dans Psychic TV. Il est ensuite devenu DJ puis, il est devenu le directeur musical d'Alexander McQueen. C'est lui qui m'a présenté ce créateur de mode et couturier britannique. Notre histoire est assez expérimentale et obscure.

Après une décennie, qu'est-ce qui t’a fait revenir chez PIG ? Quel a été le déclencheur ?
Raymond
: Vraiment simple. J'ai eu une énorme dépendance à la drogue et à l'alcool pendant des années et des années. Je suis allé en cure de désintoxication et je suis devenu clean. Je suis sorti, je suis rentré chez moi. Un e-mail est alors venu d'un promoteur qui disait "voudriez-vous venir faire la tête d’affiche d'un festival industriel à Calgary, Canada". J’ai trouvé ça sympa. J'ai demandé à En Esch (KMFDM) de me rejoindre. Il a accepté. Et c'est ainsi que PIG est revenu à la vie. Le concert s'est transformé en une tournée de 26 dates en Amérique. Ensuite, le promoteur m'a demandé si j'avais des nouvelles chansons à promouvoir. J'ai dit que non. Il m'a dit : "dans ce cas, tu ferais mieux de te pencher sur la question et commencer à faire un nouveau disque". C’est ce qui est arrivé. Et me voici aujourd'hui en train de faire une interview avec toi, au Japon.

Ce qui me réjouit.
Quand te verra-t-on en tournée en France ou au Japon ?
Raymond
: Depuis le Brexit, il est devenu très difficile d'aller en Europe et c'est dommage. C'est une véritable catastrophe pour le pays. C'est la pire blessure auto-infligée qu'on pouvait commettre avec pour objectif la détérioration de nos relations avec nos voisins européens. J'espère pouvoir venir dans ces deux pays dans un avenir pas trop lointain. J'adorerais faire une tournée en Europe et au Japon avec PIG. J'espère pouvoir faire cela bientôt.

J'espère te voir très bientôt en tournée.
Merci pour cette interview absolument délicieuse et ce merveilleux moment.

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