Chronique | Swallow the Sun - When a Shadow is Forced Into the Light

Pierre Sopor 4 février 2019

On avait laissé SWALLOW THE SUN en 2015 avec Songs From the North, un triple album impressionnant qui marquait également les derniers travaux studio pour le groupe de Aleksi Munter (claviers) et Markus Jämsen (guitare) qui ont depuis quitté le groupe, le premier suite à un burn-out. Bien plus dévastateur, le décès de Aleah Stanbridge (TREES OF ETERNITY) a forcément marqué dans des proportions que l'on ne peut imaginer son compagnon Juha Raivio, guitariste et fondateur de SWALLOW THE SUN. Voilà qui plante un décor bien sombre pour ce nouvel album, plus encore que d'habitude pour un groupe qui ne nous a jamais habitués plus que ça à la chaleur et la joie de vivre. Le tableau ne saurait être complet sans mentionner le très chouette artwork réalisé par l'incroyablement talentueux Fursy Teyssier (LES DISCRETS), dont le travail peut s'admirer par ici.

Pourtant, quand When a Shadow is Forced Into the Light démarre avec son morceau-titre, c'est une impression inattendue qui s'empare de l'auditeur : avec sa mélodie et le chant clair de Mikko Kotamäki, le morceau nous plonge certes dans une mélancolie profonde et pourtant laisse aussi filtrer un peu d'espoir. Comme si, à l'inverse de ce que suggère son titre, c'est un peu de lumière qui réussissait à se forcer un passage parmi les ténèbres. Quand son chant se mue en growl, que les riffs d'alourdissent, s'orientent vers un doom écrasant et que l'horizon s'assombrit, le morceau devient par contre particulièrement anxiogène. Théâtral aussi, avec cette voix grave de conteur ou de magicien dans la dernière partie : c'est impressionnant et surtout, putain de prenant. Peu de temps avant la sortie de l'album, SWALLOW THE SUN avait sorti Lumina Aurea, un EP proposant un morceau ambiant d'un quart d'heure avec Marco I. Benevento (THE FORESHADOWING) et Einar Selvik (WARDRUNA) en guest : le résultat avait de quoi déstabiliser les fans et est décrit par son auteur comme son travail le plus sombre, celui qu'il aurait aimé ne jamais avoir à faire. Le clip qui l'accompagne est hanté par de nombreuses images évoquant la mort et le deuil. Ce travail très atmosphérique se retrouve régulièrement tout au long de l'album, comme au début de The Crimson Crown, laissant le temps aux fantômes omniprésents de rendre leur présence palpable. C'est dans la douceur que se déroule le morceau comme pour mieux laisser les émotions s'exprimer dans une forme de faux apaisement, mais aussi rendre la dimension narrative de l'album plus évidente (il y a par exemple ce texte récité en français à la fin de Clouds on Your Side).

Déjà plus important sur Songs From the North, le travail sur les mélodies et les atmosphères est ici remarquable (citons, par exemple, les deux premières minutes de Stone Wings). When a Shadow is Forced Into the Light est peut-être l'album le plus accessible à l'oreille de SWALLOW THE SUN mais, bien loin d'en édulcorer la saveur, cela lui donne une universalité et une portée telle que le groupe n'en a jamais connue par le passé. Cette voix claire nous enveloppe et nous prend par la main : c'est certes plus conventionnel et pourtant, le chant est assez riche et varié pour capter l'attention du début à la fin de l'album. La musique nous prend à la gorge et aux tripes et nous plonge dans un spleen à la fois sublime et bouleversant. Quand les tendances extrêmes reviennent, que le groupe se souvient de ses origines doom / death, c'est avec parcimonie : ces éclats n'en sont que plus puissants, pics émotionnels mis en valeur apportant au morceau un supplément de rage, de désespoir (Firelights, Upon the Water). Dans un album qui fait la part belle aux sonorités acoustiques, aux claviers et même à quelques cordes, SWALLOW THE SUN n'a pas besoin de hausser le ton pour être intense, mais quand ils le font c'est d'autant plus saisissant.

Avec sa théâtralité et sa mélancolie gothique à la ANATHEMA, When a Shadow is Forced Into the Light est un album élégant et touchant. Ce disque, qui aurait pu ne jamais voir le jour est, au final, avec sa sincérité indiscutable et l'âme tourmentée de son auteur qui s'y exprime comme jamais, peut-être l'album le plus puissant de SWALLOW THE SUN. D'ailleurs, jamais le nom du groupe n'a été autant à propos : dans la mythologie nordique, le moment où le loup Hati avale le soleil est annonciateur du Ragnarök, la fin du monde mais aussi sa renaissance. Il y a de ça dans When a Shadow is Forced Into the Light : sa douceur laisse deviner des bribes d'espoir, comme si, bien qu'avalé et oublié, le soleil continuait de nous envoyer sa lumière, signes de futurs moins sombres et, peut-être, d'un renouveau pour SWALLOW THE SUN dont on va guetter avec attention les futurs travaux.