Pouvait-on imaginer, un lundi soir, meilleur moyen d'aller faire la gueule dans la pénombre que devant Paradise Lost, Messa et Lacrimas Profundere ? Cette belle affiche, proposée à l'Elysée Montmartre par Garmonbozia, réunissait trois grands noms des ténèbres pesantes, chacun culte à sa manière. Si bien sûr les maîtres gothiques du doom / death étaient les stars de la soirée, venus présenter leur excellent Ascension (chronique) devant une salle comble, les connaisseurs savaient qu'on aurait de belles raisons de bouder dès le début de soirée. On n'est pas venus célébrer, on est venus se recueillir, déprimer et maugréer. Pas de question de faire la chenille, l'ambiance de rigueur est au cafard (et alors imaginez si la soirée avait eu lieu à la Cigale, située à 250 mètres - les jeux de mots d'entomologistes qu'on aurait pu faire) !
LACRIMAS PROFUNDERE
Ne pas arriver en retard : la règle est d'autant plus vraie quand un groupe commence légèrement en avance ! Lacrimas Profundere a hâte d'en découdre avec le public et ceux qui n'ont pas suivi la carrière du groupe avec assiduité ont de quoi être surpris par l'énergie de Julian Larre, chanteur en poste depuis 2018. Le bonhomme gambade dans tous les sens, descend à la barrière puis l'enjambe pour cavaler dans la fosse... on est loin de l'image qu'on se faisait de ces vétérans du metal gothique ! On espérait pouvoir un peu se morfondre dans le noir et voilà qu'on se retrouve à devoir faire des activités, comme taper dans les mains, et tout !
En plus de trente ans d'existence, Lacrimas Profundere a muté, testé plusieurs choses. On les préfère finalement quand ils flirtent avec le gothic rock que dans leurs élans plus lourds. Malgré sa longue carrière, le groupe allemand semble très peu porté sur la nostalgie : à l'exception d'Ave End, qui date de 2004, seuls des morceaux des deux derniers albums sont joués. Ça file à toute allure, ils ont à peine une demi-heure de set, une impression de vitesse renforcée par la performance de ce chanteur monté sur ressort, sous le regard probablement amusé des vétérans Oliver Schmid et Ilker Ersin, forcément plus sages.
Un peu à contre-coeur, on s'est bien amusés. Avec son enthousiasme et son énergie folle, Lacrimas Profundere mélange les côtés les plus funs d'un cirque à la Cradle of Filth, jets de fumée inclus à la noirceur clinquante des 69 Eyes, avec une certaine modernité qui dépoussière les clichés pour proposer un truc accrocheur et outrancier pile ce qu'il faut. C'est allé trop vite pour qu'on ait le temps de tout comprendre et on ne s'attendait pas à ce que l'ambiance ne soit si électrique dès le début, ni à ce mélange survitaminé gothic / doom / death / metalcore sportif ! On regrette alors juste que, dans sa quête d'aller au plus efficace et d'offrir un maximum en si peu de temps, Lacrimas Profundere n'ait pas eu le temps de nous proposer ses titres plus mélancoliques... Une prochaine fois, avec un peu de chance !
MESSA
Avec Messa, au moins, on sait qu'on ne va pas se faire un claquage et qu'on va enfin pouvoir prendre le temps de souffler. Le set est intégralement consacré au récent album The Spin (chronique), presque joué en entier. On en apprécie les discrètes influences gothic rock / cold wave des années 80 (At Races), et toujours les touches plus jazz et 70's du groupe italien... dont le jeu de scène tranche radicalement avec Lacrimas Profundere !
Il y a quelque chose d'assez paradoxal dans la performance : alors que The Spin était probablement l'album le plus incarné et personnel de Messa, s'éloignant des thématiques ésotériques ou plus exotiques des albums précédents pour plonger vers quelque chose de plus cathartique avec des titres comme The Dress ou Thicker Blood, le quatuor semble de plus en plus refuser le show. D'une sobriété absolue, sans aucune posture, sans aucun artifice, Messa joue, tout simplement, sans esbroufe ni démonstration... sauf ce satané Alberto Piccolo, à la moustache insolente et à la chemise nonchalamment ouverte, qui prend la lumière en faisant semblant de ne rien faire de spécial avec sa guitare, qu'il maîtrise pourtant avec une facilité agaçante !
Il y a de quoi trouver cela austère. Pourtant, la musique de Messa ne l'est pas. Il faut alors prendre le temps de se laisser transporter par ces longs titres atmosphériques, se laisser guider par le chant de Sara Bianchin dans un univers brumeux qui ne se révèle pas immédiatement. Comme d'habitude, c'était de toute élégance. Messa semble cultiver une distance qui n'est pas de la frime mais plutôt un détachement, ils n'appartiennent pas tout à fait à la réalité et le concert passe alors comme un mirage dans la chaleur étouffante de l'Elysée Montmartre, complet. Cela n'empêche pas une forme de communication discrète et chaleureuse dans les sourires de la chanteuse et ses nombreux remerciements... Le mirage continue encore un peu après le concert, alors que la sono nous fait passer le temps avec Dead Can Dance. La classe.
PARADISE LOST
Bon, allez, cette fois c'est sûr : fini la rigolade, fini le sport, fini les sourires chaleureux. Les rois de la mélancolie écrasante se pointent sur scène au son de Serpent on the Cross, du récent Ascension... dont on n'aura finalement au cours de la soirée que droit aux trois singles. Dommage pour l'incroyable Salvation, mais tant mieux pour le reste : le set propose une exploration assez complète de la discographie des Anglais, même si certains albums sont oubliés (il faut faire des choix).
Peut-on parler de setlist best-of ? Presque, mais pas vraiment : en piochant parmi des titres parfois mal aimés en leur temps, Paradise Lost s'amuse à sa façon et nous réserve quelques surprises. C'est leur conception de l'humour, comme quand Nick Holmes demande si des gens ici aiment l'album Host. Le public crie son enthousiasme et le chanteur répond "vous êtes vraiment sûrs ?". A l'époque, il n'avait pas reçu le même accueil. Idem pour Mouth de l'album Believe in Nothing... Avec le temps, les titres sont devenus cultes, une fois que l'on laisse retomber les piques et fourches dressées par réflexe à la moindre surprise. Nous, on est ravis : c'est dans la variété que s'apprécie le mieux le talent de Paradise Lost, avec la voix claire de ce diable de Nick Holmes qui continue de se bonifier.
Sur ses deux derniers albums en date, Paradise Lost semblait offrir une démonstration de ses capacités assez représentative, entre marches funèbres au désespoir aussi théâtral que plombant et hymnes conquérants. Le concert est à cette image, alors que l'on traverse les différentes époques, les différentes esthétiques. On se dandine avec les incontournables One Second et Say Just Words, on joue à Depeche Mode pendant Nothing Sacred avant de plonger dans les abîmes de noirceur du doom rugueux avec Beneath Broken Earth. On reprend nos forces quand Paradise Lost laisse entrevoir ce qu'aurait pu être Metallica si c'était bien plus goth (Once Solemn, True Belief, Pity the Sadness). De la musique d'enterrement taillée pour les stades, ça c'est des funérailles qui ont de l'allure !
Entre les surprises et les incontournables (Faith Divides Us - Death Unites Us pendant laquelle on agite les loupiotes des téléphones en chantant "ohohoooooh"), Paradise Lost régale. Sur scène, eh bien, sans grande surprise, Greg Mackintosh fait la gueule dans son coin (pourtant, il est régulièrement mis en avant par son spot de lumière : le patron des mélodies qui nous enterrent vivant, c'est lui), Nick Holmes se tient droit, solennel. On a dit le cafard, pas la chenille. Pourtant, à sa façon, il divertit le public de quelques rares bons mots. Son humour pince-sans-rire fonctionne particulièrement au cours d'un rappel au thème visiblement très festif : après la bien nommée No Celebration, il lâche un "bonne année" puis présente Ghosts et ses relents de Sisters of Mercy comme une chanson de Noël. Le voilà, le sens de la fête à la Paradise Lost : des fantômes, de la déprime, la mort et surtout, SURTOUT pas la chenille et toutes ces conneries. Avec eux, le mot "fun" est avant tout le début de "funérailles".
Le seul reproche qu'on peut leur faire, finalement, c'est d'avoir passé aussi longtemps backstage avant le rappel. Les gars, on le sait, c'est de la comédie ! Revenez plus vite, et jouez-nous un titre de plus ! Mais alors lequel ? Alors, là, bon courage. Un petit No Hope in Sight ? Un Perfect Mask rigolo pour être sombre comme dans les années 2000 ? Peu importe, tout est bien, comme on a pu en avoir la confirmation avec une setlist qui a brassé large (enfin, si l'on oublie le peu de surprise dans le choix des titres du dernier album en date). Paradise Lost fédère et, malgré ses mines renfrognées, a aussi proposé DES ACTIVITÉS à un public trop content de pouvoir agiter ses mimines, chanter les refrains et faire des jolies lumières. Allez, 66,6 % cafard, 33,3% chenille... et surtout pas de célébration !