Chronique | Paradise Lost - Ascension

Pierre Sopor 16 septembre 2025

Seulement trois jours sépareront la sortie du nouvel album de Paradise Lost du début de l'automne et il n'est pas interdit d'y voir un lien de cause à effet, la mélancolie écrasante des légendes du doom / death gothique se prêtant particulièrement bien à la saison de la grisaille. Depuis la sortie d'Obsidian, leur précédent album, Nick Holmes et Greg Mackintosh ont notamment lancé leur side-projet Host, entre synthpop et rock gothique, sorti deux albums live et réédité Icon. Fallait-il y voir des indices sur les envies des deux têtes pensantes, entre regard en arrière nostalgique et pulsions plus dansantes exorcisées au sein d'un autre projet ? Eh bien, peut-être, mais pas uniquement.

Présenté comme une nouvelle réflexion endeuillée sur le pouvoir, la vie, la spiritualité, le changement et le passage du temps, Ascension est illustré de La Cour de la Mort de George Frederic Watt afin de mettre en valeur cette notion d'abandon et de silence face à la mortalité. On les reconnaît bien, là : ils savent mettre l'ambiance ! Il y a bel et bien ici des airs de Draconian Times ou d'Icon, ce sens du riff mordant qui, très vite, rencontre également une approche fédératrice pleine d'ampleur. Si les albums récents de Paradise Lost contiennent chacun leurs classiques immédiats (No Hope in Sight, Fall From Grace, etc), rarement un ensemble n'a pourtant autant ressemblé à un enchaînements de tubes potentiels depuis Symbol of Life. Ascension, c'est Paradise Lost version blockbuster, avec ce côté Metallica gothique si satisfaisant (Sirens).

Les anglais maîtrisent à la perfection leur sujet et nous ratatinent bien sûr sous le poids de leur élégant spleen dès les premiers instants de Serpent of the Cross, les redoutables mélodies de Mackintosh nous attrapant immédiatement par les tripes pour nous enterrer sous un marbre fissuré. Il est d'ailleurs intéressant de constater comme, chez Paradise Lost, jamais le poids de l'existence n'est aussi accablant que lors des parties mélodiques ou quand le chant clair de Holmes, dans toute son humanité et sa gravité, tombe comme une condamnation. Pas besoin de surjouer la lourdeur pour faire son petit effet. Riche en nuances, puissant, prenant son temps, Paradise Lost est au sommet de son art.

Alors que beaucoup d'artistes parlent de la mort pour mieux mettre en valeur la vie, Paradise Lost semble n'évoquer la vie que pour nous ramener à sa finalité : la mort est partout. Chaque morceau sonne comme une marche funèbre, ce que la magistrale Salvation déguise à peine avant de s'emballer pour une partie aussi épique que funèbre où l'on jurerait, pendant quelques courts instants, entendre la voix d'Alan Averill de Primordial (en l'absence de crédit officiel pour le moment, nous devons partir du principe qu'il ne s'agit que d'une imitation très convaincante de la part de Holmes). L'abandon, la défaite et le deuil, mais avec un visage conquérant. On savoure alors ce paradoxe plus que jamais flagrant chez Paradise Lost : ils n'ont pas leur pareil pour rendre le malheur et le désespoir galvanisant. Il est en effet impossible de résister à ce sens de la chanson qui fait mouche, cette puissance qui nous accroche malgré la pesanteur constante.

Avec Tyrants Serenade et Silence Like the Grave, Paradise Lost fait dans le monument funéraire grandiloquent. On en apprécie la vigueur, la hargne, la superbe théâtralité. Mais c'est dans l'élégance des nuances et dans la beauté des accalmies qu'Ascension arrête notre souffle : la sobriété dépouillée du début de Lay A Wreath Upon the World, la pluie de tristesse implacable de Savage Days qui vient nous dissoudre ou le piano de la bien nommée The Precipice qui nous précipite dans l'abîme. On est suspendus aux mots de Holmes, que le chanteur nous les assène avec douceur ou avec son growl abyssal dont l'impact n'est que plus dévastateur après une respiration.

Ascension pourrait facilement être comparé à une espèce de best-of de ce que sait faire Paradise Lost, les tentations électroniques (presque) définitivement laissées de côté, probablement pour Host (on a tout de même quelques fantômes de synthés ici ou là, dans This Stark Town par exemple). C'est déjà ce qu'était à sa façon Obsidian, après une parenthèse de nouveau plus extrême à l'époque de The Plague Within et Medusa. Pourtant, il y a ici une énergie et une nervosité explosive, une combativité dans le désespoir qui infuse Ascension d'une vivacité spéciale. D'ailleurs, un tel titre pourrait sembler ironique chez un groupe qui passe son temps à nous enfoncer toujours plus loin sous terre... Pourtant, avec Silence Like the Grave ou la conclusion A Life Unknow, définitivement tournée vers l'avenir, ses incertitudes mais aussi ses espoirs, Paradise Lost accélère aussi le tempo pour s'extraire de la tombe. 

Le groupe de Mackintosh et Holmes est certes dans la démonstration d'un savoir-faire qui a fait ses preuves et navigue ici entre les époques de sa propre histoire, les associant avec une cohérence et une fluidité qui forcent le respect, mais ne se contente pas non plus de "seulement" satisfaire ses fans en leur offrant une nouvelle collection de titres avec lesquels se morfondre. Ces oraisons funèbres sont autant d'hymnes et Ascension semble contenir une ambition, une envie d'exploser, d'imposer ses deuils à une assemblée toujours plus vaste. C'est le genre d'album que l'on écoute en augmentant progressivement le volume, immédiatement intemporel, à la fois apogée d'une signature et nouvelle porte d'entrée idéale vers cet univers si fascinant. Pas d’esbroufe, une authenticité et une fausse simplicité à l'efficacité redoutable que seules permettent la virtuosité et la maîtrise parfaite de leur sujet de Paradise Lost... Effectivement, la peine et l'abattement ont rarement été aussi viscéralement jouissifs.

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Pierre Sopor

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