SIDILARSEN apporte la lumière

SIDILARSEN apporte la lumière

Pierre Sopor 19 avril 2024

Sidilarsen sort aujourd'hui Que la Lumière Soit (chronique) qui a hérité de l'agressivité et de la lourdeur du précédent On va Tous Crever mais aussi d'une forme de mélancolie et de hauteur nouvelle. Les pieds sur Terre, Sidi n'a jamais semblé aussi en forme et tourné vers le futur. Pour nous en dire plus, ce sont Sylvain Sarrobert (basse) et Marvyn Palmeri (batterie), respectivement arrivés en 2018 et 2022 dans le groupe, qui ont répondu à nos questions.

Votre nouvel album s'appelle Que la Lumière Soit. Vous avez tourné un clip dans des ruines d'église et le morceau Intox mentionne Lucifer : ça en fait des références mystiques et bibliques. Qu'est-ce qui vous a attirés dans cette voie, plutôt inhabituelle chez Sidilarsen ?
Sylvain : Ce n'était pas forcément conscient. Quand on parle de "voir Lucifer", c'est plus une métaphore... mais c'est vrai que maintenant que tu le dis, je fais le rapprochement avec la formule "que la lumière soit" et même l'artwork !
Marvyn : Ce n'était pas vraiment prémédité. Les allusions comme sur On Revient sur Terre avec la chapelle, les tenues, tout ce côté sectaire, viennent illustrer ce qui est dit dans les paroles. Ce côté masqué est à mettre en parallèle avec l'anonymat sur la toile et le parallèle entre les sectes et les réseaux sociaux et les théories du complot par exemple, mais l'album voit plus large que ça.
Sylvain : Dans le clip, quand les deux masques tombent et qu'on voit qu'il s'agit des deux chanteurs du groupe, c'est pour dire qu'on est finalement tous un peu acteurs de cette mascarade, on ne se place pas au-dessus de qui que ce soit.

Votre précédent album avait pour titre On va Tous Crever et date de 2019... Il était difficile d'imaginer à quel point les événements allaient vous donner raison si rapidement...
Sylvain : C'est sûr. Je pense au clip du morceau On va tous Crever qui est sorti un an après l'album... et dix jours avant le premier confinement. On s'est retrouvés confinés après sept mois de tournée et on n'avait pas forcément envie de composer pendant cette période pour justement prendre du recul et ne pas réagir à chaud sur ce qui se passait. C'était un peu une première mondiale, on était tous concernés à l'échelle de la planète, pas juste par pays... Et puis on avait aussi encore envie de défendre notre album qui n'était pas sorti depuis longtemps.

On va Tous Crever était très énervé mais, alors qu'on pourrait penser que l'air du temps est plus que jamais à la révolte, Que la Lumière Soit semble plus apaisé, plus en quête de lien. Était-ce un choix délibéré ?
Sylvain : Exactement. Je pense que le fait d'avoir justement pris du recul sur le confinement, sur l'Ukraine et toutes ces choses-là nous a permis d'écrire plus posément plutôt que de foncer et d'être incisif. On a voulu être un peu plus nuancés.
Marvyn : On tenait aussi à donner un peu d'espoir aux gens mais aussi à nous-mêmes. On a des morceaux tout aussi énervés que sur On va tous Crever, on estime même avoir poussé le côté metal encore plus loin parfois, mais par contre on a aussi bien poussé les mélodies. Les textes cherchent un peu plus l'unité. Comme c'est dit dans les morceaux, on trouve qu'aujourd'hui tout cherche à nous diviser en jouant sur nos peurs. Apporter un message un peu plus positif peut faire du bien. En tout cas, c'était notre envie, tout en restant assez proche de notre album précédent.

Le son est moins compact, plus aéré...
Sylvain : C'est vrai qu'il est plus mélancolique aussi. En composition, on s'est pas mal posés de questions sur la possibilité par exemple d'amener des machines ou même un piano sur Amour Océan là où on avait prévu une guitare à l'origine.
Marvyn : Didou résumait ça tout à l'heure, il disait qu'il n'y avait pas forcément plus ou moins de machines mais qu'elles étaient utilisées différemment. Elles ont longtemps été très rythmiques chez Sidilarsen et ça a évolué vers quelque chose de plus mélodique aujourd'hui.

Quand vous composez, avez-vous déjà en tête le live ?
Sylvain : On se projette forcément un peu, on imagine ce qui est faisable ou pas. Vu qu'on a un chanteur qui est aussi guitariste, forcément, on ne va pas lui donner des trucs trop compliqués à jouer quand il doit chanter les refrains. C'est à prendre en compte.

Crédit photo : Gabbie Burns

Sidilarsen a globalement eu un line-up très stable avec seulement un changement en 2005... jusqu'à 2018 et ton arrivée Sylvain, puis la tienne Marvyn en 2022. Quand vous rejoignez un groupe qui a une telle expérience, avez-vous la possibilité d'apporter quelque chose ou vous devez suivre des règles déjà bien établies ?
Marvyn : J'ai encore une vision très fraiche, je suis entré dans le groupe récemment. On a quand même tourné une bonne année ensemble avant d'entamer l'enregistrement, mais le contact est bien passé. C'est vrai qu'on a beaucoup de libertés, même plus que ce à quoi je m'attendais. On discute beaucoup dans le groupe, on échange et on prend nos avis respectifs, y compris au moment de composer. Je m'étais un peu fermé des portes mais j'ai été poussé à proposer des choses, ils m'ont dit "vas-y à fond, fais-toi plaisir" !
Sylvain : Oui, il y a carrément de la place pour des propositions. On a une grosse liberté. Je suis arrivé en 2018 et huit mois plus tard on entrait en studio avec aucun morceau de fait. Ça a été très vite, on s'est vite retrouvés à maquetter des titres et j'ai été amené à proposer des choses. Sidilarsen fonctionne vraiment comme une intelligence collective : on est tous les cinq à œuvrer sur le projet. Chacun a bien sûr un rôle, mais pour les prises de décision nous sommes tous ensemble, qu'il s'agisse de la direction artistique ou musicale du groupe mais aussi tout le reste.

Au-delà de la référence biblique, pour vous, c'est quoi la Lumière du titre de l'album ?
Sylvain : Chacun se fera sa propre interprétation. Il peut y avoir ce côté biblique mais ça peut aussi être la lumière de l'espoir, ou comme sur la pochette une lumière qui attire les gens avec ses promesses, un peu de façon sectaire...

Plusieurs titres de l'album évoquent internet sous un angle négatif, entre les conspirationnistes, les trolls, etc... alors qu'aux débuts de Sidilarsen, le cyber-espace était un truc super "cool" et à la mode. C'est internet qui a vieilli, ou c'est vous ?
Marvyn : Bonne question ! Je réponds un peu à la place des chanteurs donc je ne veux pas dire n'importe quoi mais oui, je pense qu'on peut dire que tout le monde a vieilli mais dans le bon sens du terme. Sidilarsen a gagné en maturité et les centres d'intérêt ont évolué, le monde a évolué et je pense que le groupe continuera à parler de société, d'humaniste, etc. La forme s'est adaptée. J'ai l'impression que sur les textes, ils essayent d'évoquer ce qui leur parle mais aussi peut-être d'un peu moins trancher qu'avant, d'être moins frontal pour laisser place à la réflexion. On ne veut pas donner de leçons mais juste éveiller des curiosités.

Il y a une ironie à autant parler d'internet pour un groupe qui a fait une chanson qui s'appelle La Fibre !
Marvyn : Et c'était avant même que la fibre n'existe ! D'ailleurs, on peut trouver pas mal de références dans les textes actuels à d'anciennes chansons de Sidi. Par exemple dans Intox, ils disent "on a annoncé le pire, on a prédit le meilleur", qui renvoie aussi bien à Le Meilleur est à Venir et à On va tous Crever. Je ne suis même pas sûr d'avoir toutes les références, mais ils aiment bien mettre des petits clins d’œil comme ça un peu partout.
Sylvain : Oui, par exemple sur OVTC dans la chanson Interdit de se Taire, à un moment Didou dit "nouvel appel à résistance", ça renvoie à un titre de l'album Une Nuit pour Sept Jours.

... Ou bien On revient sur Terre qui semble répondre à Jusque sur Mars. A l'époque le titre évoquait, de façon ironique, la possibilité de trouver un espoir dans l'espace après avoir flingué notre planète....
Marvyn :
Oui alors que là, maintenant, il faut arrêter d'être dans le délire et garder les pieds sur Terre. C'est vrai que pour les gens qui suivent le groupe depuis un moment, ça fait un petit clin d'œil. Sans être le sujet principal, c'est effectivement pensé et écrit comme ça.

Vous avez annoncé beaucoup de dates et notamment à l'Olympia à Paris. Vos deux derniers passages à Paris étaient au Bus palladium en 2017 et à la Maroquinerie en 2019. L'Olympia, c'est tout de suite d'autres proportions... Avez-vous senti la popularité du groupe grandir à ce point ?
Sylvain : On l'a senti, en effet. Bizarrement, c'est pendant le confinement que ça a été le plus flagrant. Quand on a sorti l'album On Va Tous Crever, c'était un peu un retour à un son plus metal pour Sidilarsen et ça a plu à pas mal de gens. Quand on a sorti le clip juste avant le confinement, je pense qu'il a fait écho à l'actualité avec ses paroles. Il y a eu un truc qui a fait que cette vidéo a très bien marché et ça a vraiment fait grossir le groupe pendant à ce moment très particulier, ce qui était surprenant. C'est d'ailleurs aussi pour ça qu'on n'avait pas envie de composer tout de suite, pour continuer à faire tourner cet album. Comme belle date, on a aussi le SidiFest en octobre 2024 avec Tagada Jones et Madam et plein d'autres choses qui se profilent à l'horizon pour l'automne...

On idéalise souvent l'image des tournées, les groupes aiment bien mettre en avant le côté cool de tout ça. Mais quand on enchaîne autant de dates comme vous le faites et qu'on passe par exemple de l'Olympia à une petite salle dans un bled un peu paumé, est-ce qu'il vous arrive d'avoir du mal à trouver l'énergie ou la motivation pour monter sur scène ?
Marvyn : Personnellement, ça ne m'est encore jamais arrivé. Ça arrive évidemment qu'il y ait des hauts et des bas dans nos tournées mais ce qui fait que c'est un bon ou un mauvais concert, ce n'est ni la salle ni la technique. S'il y a des galères, qu'on est claqués mais que les gens sont chauds, qu'ils soient 100 ou 2000, globalement quand ça réagit on passe tous un bon concert !
Sylvain : Oui, ça balaye les problèmes. Je tiens aussi à dire que certes, parfois on joue dans des grandes villes avec du monde mais c'est aussi très important qu'on aille dans des endroits plus petits avec moins de monde, c'est important d'aller là où il y a moins de concerts et jouer pour ceux qui n'ont pas la capacité de faire deux heures de route pour voir un concert. C'est à nous d'aller vers ces gens, d'aller les rencontrer. Quand j'avais 17 ans, dans mon petit village, j'étais très content d'avoir parfois un concert de metal ! Même s'il n'y avait pas grand monde, pour moi c'était important.
Marvyn : Oui, on a eu des dates comme ça dans des petites salles jusqu'à la fin de la tournée OVTC et il y en aura encore. On ne fera peut-être pas des bars devant 50 personnes, mais des petits clubs dans des petits patelins, oui, on y tient. Et l'énergie est différente. J'ai des souvenirs de dingo devant 150 personnes parfois. C'est un luxe d'avoir les deux expériences, c'est plus riche.

Vous ne jouez plus du tout de titres des deux ou trois premiers albums, à part La Morale de la Fable. Quel regard portez-vous sur les titres de cette époque ?
Marvyn : Quel regard ? On louche un peu ! Non, plus sérieusement, c'est compliqué. On a huit albums et parfois on n'a même pas une heure de concert.
Sylvain  : Oui, à partir d'1h30 de set, on peut commencer à faire plaisir et revoir toute la discographie. Après, nous deux on est là depuis pas longtemps mais moi j'étais fan de Sidilarsen avant de rejoindre le groupe et il y a plein de vieux morceaux que j'aimerais trop jouer !
Marvyn : C'est vrai, on fait des propositions régulièrement !
Sylvain : Mais bon, quand tu vois que les mecs ont joué le même morceau pendant quinze ans, c'est normal aussi qu'ils aient envie de passer à autre chose. Mais si on m'écoutait, on ferait des concerts de deux heures à chaque fois !
Marvyn : C'est aussi l'intérêt du SidiFest : là, on peut se faire plaisir, on joue deux heures, on fait des vieux morceaux et des choses qu'on ne peut pas faire sur des dates normales.
Sylvain : Pendant le SidiFest on essaye aussi de se donner des challenges et prendre quelques risques. On joue des morceaux qui n'ont jamais été joués, on a même fait des versions acoustiques pour le show des 25 ans et je pense que pour l'édition à la fin de l'année on fera de nouveau ce genre de choses, essayer des trucs inédits.
Marvyn : Et puis sur un set classique, il y a aussi des morceaux incontournables qu'on ne peut plus vraiment enlever donc ça réduit aussi le champ des possibles.

Dans ce que vous dites, il y a quelque chose d'assez sain : cette idée de ne pas rester à rejouer les mêmes choses. Après presque 30 ans de carrière, Sidilarsen n'est pas un groupe passéiste et reste tourné vers l'avenir... Ce qui va avec l'ouverture à la fois dans votre propos et dans votre musique et qui fait que vos chanteurs, à bientôt 50 ans, ne sont toujours pas des vieux cons. Comment gardez-vous cette énergie et évitez-vous de devenir des vieux boomers pénibles ?
Sylvain : Alors là, je ne sais pas, on verra dans vingt ans pour nous ! Mais je pense qu'il y a deux choses essentielles qui sont la curiosité et la passion et qui permettent de se renouveler. Si tu es curieux et passionné, tu as envie de voir ce qui se passe, tu as envie d'avancer. Si tu n'es pas curieux et que tu te cantonnes à ce qui a marché par le passé, que tu restes sur ce qui te plaisait il y a vingt ans parce que c'était super, que tu gardes ce regard nostalgique, c'est forcément plus difficile.
Marvyn : Il y en a qui le font très bien mais en tout cas ce n'est pas comme ça qu'on voit les choses dans Sidilarsen. On essaye d'avancer, de se réinventer, d'être au courant de ce qui se passe. Ça plaît profondément à Didou et Viber qui ont toujours envie d'essayer de nouvelles choses sans pour autant renier le passé. Après, je ne pense pas que le metal aujourd'hui soit un monde de boomers passéistes. Il y en a, c'est sûr, mais quand je vois la scène actuelle, mondiale comme française, j'ai plus que jamais espoir pour l'avenir. Regarde : on va faire l'Olympia, mais Landmvrks a aussi annoncé une date là-bas alors qu'ils ont à peine dix ans de carrière. Il y a une espèce d'engouement et de sang frais dans la scène actuelle au sens large. C'est assez porteur, même pour un groupe comme nous, de voir certains ouvrir la voie vers de nouvelles perspectives. On voit aussi que les artistes avec qui on tourne assument plus facilement d'avoir des idées différentes, plus visionnaires et ça ouvre des portes.

Tu citais Landmvrks. Quels autres groupes ayant émergé ces dernières années et qui font bouger les frontières des genres vous ont marqués ?
Marvyn : Il y en a plein. Dans le groupe, on est tous assez friands de ce qui se passe actuellement. Moi j'écoute beaucoup de metal français actuel, des groupes comme ten56, Resolve, Ashen, etc. Je les écoute beaucoup, je vais les voir dès que je peux. Je trouve que ce qu'ils proposent est vraiment bien et sur scène ça tue !
Sylvain : En plus ce qui est intéressant avec les groupes que tu viens de citer, c'est qu'ils arrivent à évoluer à l'étranger. Cette volonté de sortir des frontières, c'est assez puissant.
Marvyn : Oui, ça faisait un moment qu'on n'avait pas vu ça. Ça ouvre des voies, ça fait connaître la scène française ailleurs donc c'est bénéfique pour tout le monde et pas seulement pour la scène metal mais pour la culture en général. Et ça fait plaisir aussi !

Et vous, avez-vous des propositions à l'étranger ?
Marvyn : Je sais que Sidi a pas mal joué ailleurs par le passé. On a une volonté aujourd'hui de renforcer notre notoriété en France parce qu'on sent qu'on y est bien, que le public répond présent, qu'on arrive toujours à toucher de nouvelles personnes. En Europe, on joue surtout des pays francophones frontaliers. Mais ça nous va très bien, on est bien comme ça !

Avec le recul que vous avez sur le groupe, est-ce qu'il y a des aspects de la musique de Sidilarsen sur lesquels le groupe a particulièrement travaillé pour les faire évoluer avec le temps ?
Sylvain : Je sais que quand je suis arrivé dans le groupe, leur volonté était de revenir à quelque chose de plus metal. Chaque album avait un ton bien à lui, un thème, et on voulait revenir au metal, au gros riff.

Oui, il y a un aspect moins festif si l'on compare avec les anciens albums. La fête est finie ?
Marvyn : Je ne pense pas, on joue encore en live des morceaux qui donnent envie de faire la fête ! On ne s'est pas posés énormément de questions de ce genre pendant le processus créatif. On avait aimé OVTC, on aime le jouer, donc naturellement on a continué dans sa lignée sans se dire qu'il faudrait faire plus ceci ou cela. On s'est laissés porter. Pour nous, il y a des morceaux comme Intox qui gardent ce côté un peu festif sur le refrain. C'est sûr que le propos différent des morcaux du genre Comme on Vibre et tout ça, que l'on continue de jouer en live, mais ça devrait quand même donner envie de sauter partout !