Motocultor Festival 2023 - Jour 4 @ Carhaix-Plouguer (20 août 2023)

Motocultor Festival 2023 - Jour 4 @ Carhaix-Plouguer (20 août 2023)

Pierre Sopor 31 août 2023 Virginia B. Fernson & Pierre Sopor

Alors que sa quatrième et dernière journée démarrait, l'info tombait : le Motocultor venait, la veille, de battre son record de fréquentation et pouvait sereinement envisager sa future édition. Pour un festival dont on mentionne souvent la précarité financière et le futur incertain, les choses semblent s'arranger : en 2024, le Motocultor se tiendra de nouveau sur le site des Vieilles Charrues, l'entente avec la mairie de Carhaix semblant au beau fixe. De ce que l'on a entendu, la jauge n'augmentera pas (ce n'était pas tout à fait complet) et tant mieux : il y a du monde, certes, mais on n'étouffe pas et bien que l'on comprenne tout à fait les ambitions des organisateurs, on espère aussi que l'événement saura garder cette dimension humaine. Avant d'attaquer cette dernière journée de concerts, on mesure les progrès faits par le festival en terme d'organisation, si ce n'est que l'espace camping nécessaire, le nombre de toilettes et le personnel pour gérer les files d'attente le premier jour a été sous-estimé.

Nos principales réserves viennent finalement, comme toujours, plus des festivaliers que de l'organisation : si le public est majoritairement bien plus respectueux des artistes et des autres festivaliers en général que dans des événements plus grands, on regrette toujours autant que ces rassemblements attirent aussi la lie de l'humanité. Que certains veulent se comporter comme des bonobos, ça les regarde, après tout se rouler dans son vomi en ricanant ou cogner une "pipiñata" est un choix individuel sans conséquences pour autrui. Mais les demeurés qui beuglent "à poil !" par exemple pendant le concert de Gggolddd, alors que la chanteuse parle d'un viol qu'elle a subi, ce n'est pas seulement irrespectueux de ceux qui essayent d'apprécier le concert, c'est tout simplement minable. Des minables qui ont beaucoup de chance, comme toujours, que les gens autour d'eux soient moins abrutis qu'eux. Si des efforts sont faits et que le festival a essayé d'être plus vigilant sur les questions de violences sexuelles, ça reste trop léger et il suffit de voir le nombre de signalements pour une main baladeuse par-ci, une remarque par-là, quand ça n'est pas plus glauque... Il reste un énorme boulot d'éducation d'une partie du public visiblement trop conne pour juste faire preuve du minimum de décence qui consiste à aller voir ailleurs quand on s'ennuie. Et on est toujours aussi attristés par cette absence de position claire envers les néo-nazes que l'on pourrait presque qualifier de complaisance embarrassée.

Pour commencer et se détendre, on vous propose une galerie de gens qui font n'importe quoi, mais le font bien. Des slams et un peu de chaos, on aime ça. Mention spéciale aux fous furieux qui ont slammé dans des poubelles (non, nous n'avons pas de photo propre) et au concert de Rise of the Northstar, très fun, mais où l'on n'a pas regardé la scène une seule fois tant le spectacle étant plutôt dans la foule (faut dire que le groupe se la pète quand même un peu, pour des gars sortis de manga qui chantent des onomatopées).

Mais place à la musique. Dernier jour, faut se réveiller, on attaque avec Nostromo. En studio, les Suisses ont récemment épicé leur mélange hardcore / grindcore / metalcore de quelques expérimentations (comme ce featuring avec Treha Sektori) prouvant l'an dernier avec Bucéphale que leur comeback en 2019 après quinze ans d'absence s'accompagnait d'une réelle inspiration (Narrenschiff n'ayant pas laissé un souvenir inoubliable). En live, là sous le soleil, les conditions ne sont pas forcément réunies pour apprécier les nouveautés dans le son, les touches sludge ou même atmosphériques (si, si) qui font du dernier album du groupe un monument de noirceur. Non, là, à 14h, on se prend la grosse mandale impitoyable. C'est violent, rapide, les rythmiques implacables impressionnent et l'assaut est frontal et brutal. Les esthètes retourneront apprécier la subtilité de compositions qui savent jongler entre grindcore et tentations progressives en réécoutant le dernier effort studio, les autres essayent de rester debout comme ils peuvent.

On ne va pas vous mentir : ici, il y a des genres qui nous parlent moins que d'autres. On n'est pas spécialement fan de heavy et power metal, par exemple... Ni de metalcore moderne. On n'y comprend rien, mais on va voir Landmvrks, pour mourir moins cons. On en a tiré plusieurs enseignements : 1) on est soufflés par la polyvalence de Florent Salfati au chant, qui bondit d'un chant clair pop à du growl en passant par des parties rappées et des cris piqués au hardcore, impeccable dans tous les registres, 2) en live, Landmvrks ça tabasse avec une efficacité constante, des sauts d'un genre à l'autre tous maîtrisés, on respire juste ce qu'il faut pour mieux se faire ratatiner par des breakdowns des abysses, 3) quand il pleut des slammeurs dans le pit photo au point où ça devient la guerre en ce lieu d'ordinaire si calme, on sait qu'on va bien rigoler et 4) ils sont trop choupinous ces petits gars-là, ils dégagent un truc immédiatement sympathique et super fun, on a presque envie de leur pincer leurs petites joues en disant "oh mais tu as bien grandi" pendant qu'ils se débattent en bougonnant "fous-nous la paix, mémé". C'était étonnamment vachement mieux que ce que l'on imaginait avant. On mourra moins cons.

Messa, malgré les tonnes de fumée qui donnent aux italiens des airs de spectres paumés dans la brume (bon, l'effet fonctionne moins en plein jour), nous permet de reprendre notre souffle. On est toujours autant captivés par ce doom atmosphérique et ésotérique aux sonorités orientales très présentes depuis Close (on regrette un peu les hallucinations jazzy mystérieuses de Feast for Water, cependant) et la voix de Sara qui se superpose aux volutes de fumée pour hypnotiser son audience. On note aussi qu'Alberto réussit un truc bien particulier et assez rare pour être mentionné : quand il nous sort un solo, on ne s'emmerde pas et ça sert le morceau. Messa, c'est toujours aussi beau. Un seul sujet de discorde, cependant, persiste : alors que tout le groupe a une attitude plutôt discrète, du genre à se fondre dans les ténèbres, c'est quoi le problème d'Alberto avec les chemises ? Le débat fait encore rage au sein de notre rédaction entre les "pour" et les "contre". Choisissez votre camp si vous le souhaitez, mais que quelqu'un offre à cet homme une nouvelle chemise !

La dernière fois qu'on avait vu Stephen Brodksy sur scène, il était tout gentil, tout poli, tout discret lors d'une des rares dates de Converge en formation Bloodmoon, un peu invisibilisé par Chelsea Wolfe et Jacob Bannon. C'était l'an dernier et le retrouver en seul et unique frontman avec Cave In offre un beau contraste : tout de suite, il a les coudées plus franches malgré un son qui enterre totalement sa voix. Comment Cave In peut, en un set relativement court, condenser ses presque trente ans d'existence ? Facile : en expédiant la question et en ne jouant quasiment que le récent Heavy Pendulum, au désespoir peut-être de ceux qui espéraient retrouver plus d'anciens titres. Tout y est : du groove, de l'intensité, des idées en veux-tu en voilà et une variété d'influences allant du hardcore au grunge en passant par le stoner pour nous offrir un rock lourd, survitaminé et inventif mais toujours cohérent. On pense à Converge et à Alice in Chains et on se laisse embarquer par le charisme et l'enthousiasme des musiciens sur scène. On avait besoin d'un truc cool, immédiatement appréciable sans être simpliste, on est servis.

Moins immédiat dans le plaisir procuré, Soen fait aussi dans la présence solaire. C'est souriant et bienveillant, on y est bien habillés... Et côté musique ? Eh bien Soen s'est fait une belle réputation ces dernières années parmi les amateurs de metal progressif. Si l'on apprécie les parties plus lourdes et agressives, les riffs bien rentre-dedans ainsi qu'un choix de ne pas faire dans la démonstration technique pour laisser aux mélodies et aux émotions une chance de nous atteindre facilement, on ne peut s'empêcher de trouver Soen un brin trop sage. Peut-être trop facile à appréhender pour les amateurs de prog cérébral, peut-être qu'on aurait aimé se cogner sur quelques arrêtes plus prononcées ou se perdre dans quelque chose d'un peu plus mystérieux... on aurait sûrement aimé voir cet équilibre parfait être parfois un peu plus bouleversé.

Histoire de paraphraser ce qu'on écrivait un peu plus haut : la dernière fois qu'on avait vu Jacob Bannon sur scène, c'était lors du concert Converge : Bloodmoon de l'an dernier. S'il n'y était pas avare en mimiques expressives, il y était aussi très sage et tenait sa position derrière son pied de micro. Il devait avoir quelques fourmis dans les jambes. On le retrouve donc possédé, intenable, évidemment accompagné de l'irremplaçable Kurt Ballou, plus stoïque, du bassiste Nate Newton (déjà sur scène avec Cave In plus tôt dans la journée) et de Ben Koller à la batterie. C'est fou le raffut qu'ils font à quatre. Leur punk hardcore viscéral sans répit vise la jugulaire d'entrée avec un enchaînement Concubine / Dark Horses / Eagles Become Vultures de rigueur sans pitié. Si vous vouliez voir un type crucifier ses tripes sur scène et vous faire écorcher par la musique, c'était le concert idéal.

On n'a pas de photos, mais le set de Biohazard et son line-up d'origine était top. La saveur retro de leur hardcore se suffit à elle-même, ça groove bien et le plaisir des musiciens étaient communicatif. Leur émotion était même palpable : ils sont trop mignons ces gros durs, là, à nous dire qu'il faut bien s'occuper des enfants pour un monde meilleur ou à réclamer que l'on chante un joyeux anniversaire (en français) à la copine du chanteur.

On ne va pas se mentir : on avait déjà plus ou moins prévus de faire nos blasés devant Avatar, de ronchonner sur la popularité du groupe due en partie à l'univers visuel qu'ils mettent en place depuis leur seconde partie de carrière amorcée il y a une grosse dizaine d'années. Pour nous, le côté cirque / freak show servait surtout de gimmick bien trouvé... Eh bien, un peu comme avec Landmvkrs dans l'après-midi, on mourra moins bêtes : c'est surtout qu'on connaissait mal. Avatar, en live, c'est un show plein de folie qui commence par l'apparition du chanteur Johannes Eckerström sortant de sa boite, un ballon rouge à la main ( les clowns aux ballons rouges, en général, il faut s'en méfier...) et qui continue par un enchaînement de titres inspirés qui rendent effectivement hommage aux univers circassiens. Il y a la rythmique de Dance Devil Dance en ouverture de show mais aussi cette façon qu'ont les influences diverses (heavy, groove, death mélodique...) de se superposer comme autant de numéros d'un spectacle hétéroclite pour proposer un truc rock'n'roll généreux, décomplexé et théâtral. On voulait des cuivres, de la fête foraine, de l'extravagance ? On est servis, notamment avec Puppet Show, moment le plus jouissif du concert où Eckerström sort le trombone, ou encore l'inquiétante Tower où le frontman se retrouve seul sur scène. Finalement, le meilleur moyen de découvrir vraiment Avatar, surtout si vous êtes réticents en studio, reste de les voir sur scène.

En fin de soirée, il y avait de nouveau un choix sérieux à faire : plutôt Abbath ou Carpenter Brut ? Voir l'ancien chanteur d'Immortal croasser et gambader sur scène ou aller remuer nos popotins sur les sons du boss de la darksynth ? On a vite tranché. D'Abbath on entendra surtout parler de la gueulante qu'il a passé sur un pauvre technicien, pas très classe, et d'une pyrotechnie venue faire de la figuration (un petit pétard en début de concert, une torche expédiée plus tard et vite rangée). Alors certes, on peut reprocher à Carpenter Brut le côté désincarné du show du gars derrière son pupitre avec des guests vachement moins présents quand ils sont, eh bien... absents. Mais là, en fin de soirée, avec la fatigue du festival, ça le faisait carrément. Le set attaque comme le récent Leather Terror et il est difficile de résister à l'enchaînement Straight Outa Hell / The Widow Maker. On connaît le talent de Carpenter Brut pour nous pondre des hits irrésistibles mais on apprécie tout particulièrement la setlist de la soirée car avec seulement cinquante minutes de concert, il n'y a pas le temps de traîner en chemin. Asséché des morceaux superflus un poil trop légers pour nos âmes meurtries, Carpenter Brut va à l'essentiel et nous tabasse avec le ton bien plus sombre de son dernier album, plus industriel et flirtant parfois avec le metal extrême. Frank Hueso ne sourit pas, ne cause pas, mais impose sa présence avec son pupitre en milieu de scène qu'il quitte de temps en temps pour aller saluer le public ou balancer quelques ballons, assumant son rôle d'entertainer. Le final était attendu par les fans et reste immuable : la menace frénétique de Le Perv ouvre la porte à la reprise de Maniac, devenue un incontournable des playlists et qu'on n'a d'ailleurs pas arrêté d'entendre pendant le festival, ici ou là. Et si Carpenter Brut faisait partie de ces artistes qui s'apprécient mieux en festival ?  Avec ce set plus court, où l'énergie n'avait pas le temps de s'essouffler, la fatigue accumulée et l'envie peut-être d'entendre autre chose que du gros metal qui tâche, cette fiesta à la fois sombre et flamboyante était la conclusion idéale de cette édition placée sous le signe à la fois de la variété et de l'ambition.

Top 3 de Virginia : Messa, Biohazard, Converge

Top 3 de Pierre : Carpenter Brut, Messa, Landmvrks

 

Nostromo

Landmvrks

Messa

Cave In

Soen

Converge

Avatar

Carpenter Brut