Motocultor Festival 2023 - Jour 3 @ Carhaix-Plouguer (19 août 2023)

Motocultor Festival 2023 - Jour 3 @ Carhaix-Plouguer (19 août 2023)

Pierre Sopor 29 août 2023 Virginia B. Fernson & Pierre Sopor

On a fait la moitié, là, déjà ? Eh ouais : troisième jour de festival, la pelouse est désormais un souvenir nostalgique des premières heures mais la monumentale file d'attente à l'entrée des jours précédents a également disparu (pas sûr qu'elle suscite plus de nostalgie que ça, cependant). Félicitons le festival pour sa réactivité à régler le problème, à moins que des milliers de petits malins aient réussi à se cacher derrière des troncs d'arbre pour passer la nuit sur le site.

Le réveil est atypique : PØGØ n'est pas vraiment le genre d'ovni que l'on croise en festival metal dès 13h du matin ! On les attendait de pied ferme car ici on aime beaucoup Horskh, le groupe indus du chanteur Bastien, mais aussi parce qu'on suit avec grand intérêt ce petit monstre depuis ces premiers pas. Le public, curieux, était probablement moins averti... Ça commence avec les tenues des deux zozos, à la fois mystérieuses et clinquantes, à l'image de leur univers cryptique tout en symboles et couleurs criardes et ça continue avec la musique : des grosses basses et un mélange trap / metal où l'on passe d'un truc très énervé à du vocodeur. On sent que le duo expérimente, essaye des choses, mélange ses influences et le premier album, prévu pour novembre, s'annonce éclectique. Il fallait oser, mais PØGØ sait y faire. Leur musique envoie, c'est très lourd, Bastien a une présence scénique que l'on savait magnétique bien que son jeu soit très différent ici, tout en menace et pesanteur. Kanay, dont c'était le premier fest metal, joue avec le public, l'interpelle, le fait s'accroupir... et épate la galerie avec son gilet jaune fluo et sa cagoule rose. On sent les backgrounds différents des deux personnages, un venant d'un univers plus sombre et l'autre de la dub. On sent aussi leur savoir-faire pour réveiller un public qui réagit avec enthousiasme. Tant mieux : on se disait avant que les grosses basses et les expériences décalées passent souvent mieux tard le soir, aidées par l'alcool et la fatigue qui ont usé les préjugés mais PØGØ a cartonné. Bravo à eux mais aussi au public qui a fait preuve de curiosité !

L'intérêt d'un festival, c'est aussi ce Grand Huit constant où l'on passe d'un univers à un autre radicalement différent. Un peu comme enchaîner PØGØ avec Sylvaine et ses morceaux de dix minutes entre introspection et orages plus extrêmes. On y aime les lumières très froides du début du set et l'élégance des compositions, dont la mélancolie à fleur de peau côtoie l'émerveillement, c'est à la fois vulnérable et conquérant. Surtout, Kathrine Shepard incarne tout cela avec conviction et une énergie qu'elle partage avec son public. Si sa musique se fait parfois contemplative, elle y insuffle une vitalité qui fait parfois défaut à la grande famille de ce mélange shoegaze / post-black metal (on pense à Alcest, où ça ne danse pas franchement sur scène !). C'était aussi classe que joli.

De la classe et du joli, ce début de journée en proposait d'un autre genre avec notamment Rectal Smegma et Brutal Sphincter. On n'a pas trop vu, le grind n'étant pas notre tasse de thé, mais on est passés vite fait devant Brutal Sphincter. Ils avaient de loin le merch le plus outrancier du fest (on ne détaillera pas ici, sinon le boss va encore dire qu'on est insortables) et on pouvait lire ensuite sur facebook "désolé à la fille dont j'ai explosé la mâchoire pendant Brutal Sphincter" ou encore "Brutal Sphincter c'était trop bien, je regrette juste de m'y être fait une double fracture du tibia, j'ai pas pu voir la fin du festival". On ne sait pas trop ce qui s'est passé là-bas, mais ça faisait le bruit d'une orgie de sangliers. On en aurait presque des regrets !

Pour Pénitence Onirique, il y a du monde, attiré aussi bien par la réputation du groupe de black metal que par ses masques qui, effectivement, imposent d'emblée une aura mystérieuse et un climat à la fois mystique et cauchemardesque. Leur musique, elle, est sobre : si la froideur et la mélancolie s'incrustent, leur black metal mélodique ne fait pas dans l'ornemental surjoué ou l'hybridation forcée et va à l'essentiel. C'est immersif, riche et Pénitence Onirique sait quand casser un rythme ou passer de l'épique à l'intime alors que leur souffle glacial fait frissonner le Motocultor.

Comme on est super pros, on a fait une ou deux interviews. Comme on est super organisés (hum), on a raté Birds in Row. Alors on a été se consoler devant Washington Dead Cats et son mélange punk / psychobilly décalé. On y va pour les singes qui font de la trompette et du saxo, la bonne humeur générale et surtout le show toujours hallucinant de Mat Firehair au charisme magnétique. Le bonhomme est monté sur ressort, grimace, se trémousse... Et nous amuse un petit peu quand il fustige le mp3 au profit du vinyle, parce qu'au moins, "y'en a un où c'est écrit bien gros et on risque pas de tomber sur une merde genre Calogero ou Obispo par accident". On se demande qui, en 2023, télécharge encore des mp3 et on s'amuse de la maîtrise d'internet du gars qui arrive à télécharger du Calogero par erreur : voilà bien le genre de remarque qu'on fait après quarante ans de carrière ! On adhère en tout cas à l'univers, gentiment horrifique, et à la musique survitaminée qui transpire le rock'n'roll dans toute sa rage flamboyante et son envie de faire la fête jusqu'à tomber par terre.

Un des gros morceaux du festival pour nous, c'était Brutus, dont le merveilleux Unison Life sorti l'an dernier résonne encore autant dans nos enceintes que nos cœurs. Le trio belge a parcouru bien du chemin depuis ses débuts, notamment ces derniers mois. Leur évolution en studio vers un son plus personnel et leur succès grandissant n'a cependant en rien modifié la sobriété de leurs concerts. Seule fantaisie de la scénographie : la batterie de Stefanie Mannaerts est comme d'habitude placée de profil comme pour mieux apprécier l'aspect physique de sa performance. Le public peut donc voir les quatre membres de la chanteuse / batteuse s'animer et avoir leur vie propre tels les tentacules d'un poulpe, et ainsi constater toute l'intensité de son jeu. On est aussi touchés par la bienveillance du bassiste Peter Mulders et son large sourire... Mais c'est surtout la musique qui nous souffle. Brutus peut être frénétique et puissant mais aussi ralentir le tempo pour mieux nous toucher. Le son est énorme et le trio heureux d'être là malgré la chaleur écrasante et la scène surexposée au soleil. Stefanie toujours aussi perfectionniste, s'excuse encore et toujours pour une erreur qu'elle seule a entendu (on s'en amusait en interview quelques instants avant le concert). Sa gestuelle est aérienne, tout en cognant toujours aussi fort. C’est précis, millimétré, et offre une belle palette d’émotions. Le public est conquis. Brutus est devenu un grand groupe et, à en croire la courbe de progression des Belges, cela promet encore d’excellents albums et des performances lives à la hauteur des productions studio.

S'il y avait pu avoir un moment de flottement dans la carrière de Russian Circles, qui s'était essayé à des choses plus calmes ces dernières années, Gnosis a remis tout le monde d'accord l'an dernier. Le power trio originaire de Chicago y consacre près de la moitié de son set et c'est tant mieux : il y a chez Russian Circles ce talent pour embarquer son auditeur et le noyer dans les profondeurs d'un son lourd, puissant qui lorgne d'ailleurs désormais parfois du côté du metal extrême et renoue avec les riffs prenants, ce côté viscéral qui faisait un peu défaut sur Guidance et Blood Year. Les boucles font office de quatrième membre en aidant petit à petit à construire des titres à la fois psychédéliques, mystiques et écrasants, l'intensité monte encore et toujours jusqu'à cet inévitable final sur Mlàdek, haletant.

La soirée défile et, un peu comme la veille où il a fallu choisir entre Ic3peak et Wardruna, il faut choisir entre Watain et Scarlxrd. Une valeur sûre du black metal avec une scénographie qui en jette d'un côté, un petit phénomène trap-metal de l'autre. La curiosité l'emporte : il y a toujours quelque chose de satisfaisant à aller voir les artistes les moins "metal" d'un festival metal et Watain, on a déjà vu, on connaît... Pourtant, en attrapant un court morceau de leur set de loin, en plein air et dans la fraîcheur du soir, les tridents enflammés avaient sacrément de la gueule et le son à la fois glaçant et mystique était monumental... Mais au concours de la possession démoniaque, le vainqueur n'est peut-être pas celui que l'on imaginait. Avec son salto arrière en arrivant, ses hurlements, son énergie hallucinante (on n'est pas sûrs de l'avoir vu toucher terre plus d'une seconde par-ci, par là), Scarlxrd est un monstre de scène. Il hurle, convulse, court dans tous les sens. Pas de décor, pas de costume, pas de musicien, juste un grand espace vide et une bande sur laquelle il crache ses tripes. Peu importe : le type est un ouragan, il lui faut de l'espace et aurait de toute façon volé la vedette à n'importe qui d'autre. Le public prend une des plus grosses claques du festival et, rien qu'à le regarder, Scarlxrd nous fait perdre 20 kilos. Un rappeur qui castagne plus fort que n'importe quel groupe de metal extrême à l'affiche du festival ? Y'a des susceptibles qui ont dû grincer des dents. Les autres ont pu profiter d'un moment totalement fou.

Pour redescendre, on a enchaîné avec Amenra... Et tu parles d'une redescente ! Fidèle à leur habitude, les Belges ont écrasé tout le monde avec leur performance, rituel cathartique où se mélange la violence d'un exorcisme à la beauté de moments de grâce sublimés par les images projetés derrière le groupe : on plonge dans l'abîme et on s'élève dans un même mouvement. Comme d'habitude, les musiciens tirent une tête d'enterrement derrière des tonnes de fumée alors que Colin Van Eeckhout crache ses tripes la plupart du temps dos au public, prostré, tordu. Amenra impose un respect absolu à son audience, attentive, tant il s'en dégage quelque chose d'authentique et de viscéral mais également de religieux. Dommage qu'en festival le set soit écourté, mais aussi que quelques allumés ne sachant pas trop ce qu'ils foutent là aient confondu le concert avec on ne sait trop quelle fiesta (dédicace à la fille qui trouvait le premier rang pas assez fun parce qu'ils ne voulaient pas twerker pendant Razoreater, ainsi qu'à l'unique slam en début de concert).

On avait pu le constater au printemps dernier lors de la tournée d'Igorrr : passer après Amenra, c'est compliqué. Et si la folle créativité du projet de Gautier Serre n'avait su nous sortir de l'état d'esprit bien particulier dans lequel nous plonge le groupe de post-hardcore, on ne donnait pas cher de la peau de Little Big. Effectivement : on parlait de Grand Huit en début de journée, en voilà un vertigineux. Suicidaire, même, bien que l'on salue toujours ce choix de la diversité musicale. Au-delà de ça, malgré une foule enthousiaste, c'était un gros crash. Certes, l'énergie d'Ilya Prusikin, déchaîné, fait plaisir et sa robe concurrencerait presque le look de PØGØ, mais c'est à peu près tout. Le mélange rave-punk-pouêt-pouêt de Little Big est trop minimaliste pour prendre sur une aussi grande scène, même à 1h du mat'... ou bien il faudrait être sacrément bourré. On aurait aimé plus de proximité, un sentiment moins fort d'artificialité. Anna Kast, décédée en 2021, ou Olympia Ivleva avaient quand même plus de présence que Sonya Tayurskaya, qui, la pauvre, réussit l'exploit rare d'être "en playback mais de chanter faux quand même", dixit une copine. Comme on le craignait, l'énergie punk un peu sauvage et plus sombre de Little Big s'est sacrément essoufflée au profit d'un divertissement bordélique bas de gamme. Alors que l'atroce reprise rave cheapos de Blitzkrieg Bop des Ramones nous évoque l'odeur du gasoil sur un parking d'hypermarché en faillite, le constat n'est pas glorieux... Little Big, ce sont des vidéos qui buzzent parce que ça fait rire les gens de voir des russes moches en survêt faire des trucs débiles (c'est dire...). Mais à part ça ? Il reste les éclairages qui diffusent des messages allant de "No War" à "Apero". Ça fait léger et on repart en se sentant un peu exclu d'une blague pas terrible. On savait qu'on aurait mieux fait de repartir dans l'épais brouillard de la campagne bretonne en gardant le parpaing d'Amenra au fond de l'estomac !

Top 3 de Virginia : Brutus, PØGØ, Scarlxrd

Top 3 de Pierre : Amenra, PØGØ, Brutus

 

PØGØ

Sylvaine

Pénitence Onirique

Washington Dead Cats

Brutus

Russian Circles

Scarlxrd

Amenra

Little Big