Motocultor Festival 2023 - Jour 1 @ Carhaix-Plouguer (17 août 2023)

Motocultor Festival 2023 - Jour 1 @ Carhaix-Plouguer (17 août 2023)

Pierre Sopor 24 août 2023 Virginia B. Fernson & Pierre Sopor

Une durée de quatre jours testée l'an dernier et qui devient la nouvelle norme (pour mieux faire comme les grands), un nouveau lieu sur le site des Vieilles Charrues, une affiche particulièrement variée et ambitieuse : le Motocultor grandit tout en gardant les pieds sur terre. Si les files d'attente à l'entrée sont intimidantes (et le resteront pendant deux jours) et que ça manque toujours de toilettes, on ne peut qu'apprécier les progrès réalisés par le festival au niveau de l'organisation. L'espace y est agréable et bien géré, on respire, le son est acceptable, les bénévoles au top, on n'y est pas entassés outre mesure malgré une fréquentation massive sur cette édition, bref : le folklore sur un festival "à l'arrache" a fait long feu et le Motocultor s'est sacrément professionnalisé. On s'y sent bien, on y circule sans problème, on y mange plutôt bien sans y passer la journée... et il y a même des bornes d'arcade pour jouer à Mario Kart à l'espace presse ! Pour les galeries photos complètes, rendez-vous tout en bas de l'article.

On ne va pas se mentir : oui, bien sûr, nous sommes venus pour la musique et, rassurez-vous, on ne va pas vous parler que de hot-dogs à la raclette, de tartiflettes servies dans des demi-baguette, de suppléments fromage dans les crêpes au caramel et d'autres cauchemars diététiques absurdes. Côté musique, le Motoc a fait très fort : il y a de tout, pour tout le monde. Le festival a fait un effort de représentativité aussi bien musical qu'humain : on écoutera du metal extrême et de la trap, du post-rock et du punk, de l'indus et du thrash, on croisera des groupes venus d'Asie, d'Afrique et d'Europe... de la diversité pour des sensibilités différentes, c'est tant mieux !

Pour nous, la journée commence tranquillement avec Lost In Kiev dont nous avons déjà pu apprécier le show tout en sobriété et sourires bienveillants ces derniers mois. Pas de chamboulement à l'horizon : le groupe parisien avait déjà secoué ses habitudes avec l'excellent Rupture (chronique) sorti l'an dernier qui laissait plus de place à l'électronique dans leurs évocations cinématographiques introspectives. Cela n'empêche pas quelques tempêtes plus pesantes et autres passages plus tourmentés et on apprécie toujours autant l'intensité du jeu du guitariste Dimitri Denat ou la complicité sur scène de Maxime Ingrand (guitares, synthés) et Jean-Christophe Condette (basse, synthés). Certes, c'est du post-rock, une musique de gentils garçons qui mettent des habits propres, et la mélancolie de Lost in Kiev s'exprime souvent de façon solaire, mais c'est fait avec beaucoup de classe et ce n'est pas plus mal pour commencer en douceur, avant que la fatigue et les bières n'aient raison de l'attention des festivaliers.

Parlons-en, tiens, de l'attention : si l'on doit comparer le Motocultor à son grand cousin, force est de reconnaître qu'à Carhaix, on vient encore principalement pour la musique. Le public est respectueux des artistes et prend le temps d'apprécier leurs propositions, ce qui évite les flux incessants devant les scènes, les marées de smartphones et autres nuisances sonores où l'on ne sait plus si c'est le springbreak, un enterrement de vie de garçon ou un festival de musique. Tant mieux, car The Pyschotic Monks exige de son public ce genre d'intérêt.

Entre noise, garage et post-punk expérimental, les Psychotic Monks sont difficiles à étiqueter. Et c’est bien là où iel(le)s/ sortent du lot. Iel(le)s offrent au Motoc un début de set énergique avant d’assumer un son plus bruitiste et halluciné. Une pépite queer, weird et expérimentale dès le premier jour d’un festival de metal ? Fallait oser. Et pourtant, ouais : iel(le)s ont complètement leur place entre distorsions, coups de saxophones tonitruants et synthés modulaires en veux-tu en voilà. C'était passionnant, inattendu et totalement fou. Il faut une certaine estime de son public, une certaine confiance en sa curiosité, pour lui offrir quelque chose d'aussi atypique et audacieux, alors merci pour la révélation !

N'écoutant que notre courage, nous nous risquons du côté des Burning Witches, groupe de heavy / power metal venu de Suisse. Bigre, là, tout de suite, c'est moins cérébral. Si l'on est déçus de ne pas voir de sorcières brûler pour de vrai, on y rigole deux minutes. Sans déconner, qu'est-ce qu'ils ont les métalleux avec le Seigneur des Anneaux, les épées, les dragons et tous ces trucs là ? Au moins, cette fois, ce ne sont pas de grands garçons qui font joujou avec leurs gros manches mais une bande de filles. Avant d'aller traîner nos vilaines trognes de goths blasés ailleurs, on leur trouve quand même un certain charisme : c'est fait avec enthousiasme et énergie alors probablement que les amateurs y trouvent leur bonheur.

Après toutes ces couleurs criardes et ces guitares hurlantes, il devenait vital de replonger dans les ténèbres. Imaginez un peu l'angoisse : on était sur les lieux depuis même pas deux heures que, déjà, nos peaux se mettaient à bronzer. Vite, on s'abrite sous les chapiteaux et on va se prendre une bonne dose de spleen british en pleine face. Avec A.A. Williams sur scène, on sait qu'il n'y aura pas de fantaisie. Ni visuellement, ni musicalement. Les musiciens sont droits comme des piquets, tout de noir vêtus et ne risquent pas de se faire un claquage aux joues en souriant la fois de trop. Mais qu'est ce que c'est beau ! Si l'on aimait déjà beaucoup le travail de l'artiste à ses débuts, plus minimaliste à l'image de Melt, c'est avec le récent As the Moon Rests qu'elle a fini de nous convaincre. Le supplément de lourdeur dans son rock sombre vient ajouter à sa poésie mélancolique une puissance qui prend aux tripes et si la scénographie n'est pas franchement spectaculaire, au moins, on y prend le temps de contempler toutes les imperfections de nos âmes brisées. Cool !

En festival, c'est parfois bon de se perdre et d'aller voir un truc au pif. C'est comme ça qu'on est tombés sur Hällas et son rock psychédélique venu de Suède. On aime leur look très seventies chatoyants (des capes ! des paillettes ! des santiags shiny !), du coup on reste par curiosité. La technique est mise en avant mais pas étouffante, on aime bien l'énergie épique qui se dégage de ce truc un peu halluciné, un peu kitsch mais plutôt classe.

Le gros morceau du jour, pour nous, c'était Zeal & Ardor. Il y a presque quelque chose d’agaçant dans le talent concentré dans ce Manuel Gagneux : charisme, technique vocale... c’était difficile de faire déjà mieux en vu du niveau d’origine, mais la performance au Motoc n’a fait que confirmer que nous avons là un très grand chanteur qui maîtrise une palette vocale en clair et saturé à faire pâlir ses pairs. Le jeu de scène, contrairement à la musique, est minimaliste : tous alignés, les musiciens nous plongent toujours aussi bien dans leur univers de cérémonie mi gospel / work songs, mi black metal ultra-millimétré. Le dernier album éponyme a permis à Zeal & Ardor de peaufiner l'équilibre de son set, évitant la sensation d'alternance entre parties violentes et accalmies qui pouvait autrefois sembler trop systématique. Dès les premiers instants sur l'irrésistible Church Burns, tout le monde s’y retrouve, et c’est là que réside la force de ce groupe. Le bulldozer Götterdämmerung est d'une puissance apocalyptique et leur premier single Devil is Fine résonne à l’unisson avec la foule du festival comme un hymne désespéré et salvateur. On en pleure tellement que c’est beau. A ceux qui craignent le non-renouvellement des têtes d'affiche de la scène metal, tournez donc vos yeux et vos oreilles du côté de Zeal & Ardor.

De la même manière que nous nous sommes perdus du côté d'Hällas, nous traînons nos museaux curieux vers Kadavar. Sur scène, le trio allemand devient quatuor et entraîne ses adeptes dans son hard rock psychédélique, lui aussi très 70's. Simon "Dragon" Bouteloup à la basse déborde d'énergie et fait le show, ça groove bien, c'est sympa et sans ambition démesuré de révolutionner quoi que ce soit. D'ailleurs, nos tripes n'en ressortent pas franchement révolutionnées et, la fatigue des heures de route n'aidant pas, on décide d'arrêter là. On aurait bien vu Long Distance Calling, mais il faut se rendre à l'évidence : on est vieux, le post-rock / post-metal passé une certaine heure demande une attention qui nous faisait défaut et la journée du lendemain s'annonce intense!

Notre top 3 de la journée (à l'unanimité) : The Pyschotic Monks, Zeal & Ardor, A.A. Williams

Lost In Kiev

The Psychotic Monks

Burning Witches

A.A. Williams

Hällas

Zeal & Ardor

Kadavar