Chronique | Potochkine - Sang d'Encre

Pierre Sopor 11 octobre 2025

Depuis une petite dizaine d'années, le duo Potochkine mélange poésie et dureté synthétique dans un mélange de darkwave, techno, EBM, darksynth (libre à vous d'ajouter des ingrédients au cocktail), à la fois théâtral et intime. Alors que Pauline Alcaïdé et Hugo Sempé nous avait habitués à des sorties régulières, quatre ans séparent Sang d'Encre de Sortilèges.

Heureusement, il y a des choses qui ne s'oublient pas et très vite l'intensité de BI nous embarque dans les danses cathartiques du duo, que l'on retrouve un peu là où nous nous étions séparés avec Sortilèges : un son à la fois dansant et dur, des textes récités avec expressionnisme fiévreux et une froideur mêlant subtilement ironie, menaces à peine voilées et un besoin sincère de régler quelques comptes. Potochkine se perd en danses étourdissantes pour se libérer de ses peines et ses tourments, on peut se trémousser mais la violence sous-jacente donne à la musique sa teinte noire, nocturne, glacée. Bipolarité, peur, idées noires: Potochkine est angoissé, il y a une urgence et un désespoir qui donnent aux machines une âme.

En un nombre finalement assez ramassé de morceaux, on a le plaisir de retrouver cet univers viscéral dont les morceaux pourraient aussi bien être les numéros d'un spectacle. Cette sensation de théâtre poétique nous vient aussi bien aux émotions dans le chant de Pauline Alcaïdé, dont la diction permet de mettre en avant des textes à la fois imagés et incisifs, qu'au souvenir de Mythes, bande-son d'une pièce de théâtre qui amenait Potochkine vers des horizons inédits. On devine parfois l'influence de cette expérience (Tristesse Fantasmée et sa narration lugubre trempée de mélancolie et d'une forme de lyrisme surréaliste), sans pour autant perdre de vue l'efficacité des rythmiques (la tension de Partir et ses brusques parenthèses hantées). 

Potochkine dégage une sympathie à laquelle on ne peut que difficilement résister : outre la discrétion du duo et sa proposition assez unique, où la voix et le texte prennent une place inhabituelle dans les musiques "techno / EBM / industrielles" au sens large, il y a les thématiques abordées. On sent les luttes et les peines du duo... et puis il y a Bonnie, aux nappes mystérieuses et au chant habité pour rendre hommage à ce que l'on devine être un animal de compagnie (là, on espère vraiment ne pas se gourer). Existe-t-il sujet plus universel ? Comment résister, comment ne pas se sentir concerné ? Au milieu de cet ensemble fait d'angoisses, Bonnie est une bouée de sauvetage.

A l'image de son artwork qui nous évoque une photo post-mortem tentant de saisir l'âme quittant le corps du défunt, Sang d'Encre est un album hanté qui capture les tourments actuels de ses auteurs, sans fard, frontal, dépouillé des métaphores mystiques du précédent album. Après une vingtaine de minutes, on se laisse alors hypnotiser par un quart d'heure d'errances atmosphériques avec La Source, qui non seulement nous rappelle tout le talent de Potochkine pour signer des bandes-son oniriques et mystérieuses, mais nous laisse aussi dans une situation ambivalente : doit-on être apaisé ? Est-ce qu'on y entend quelques fantômes dans sa conclusion plus oppressante ? On aurait aussi pu ne venir que pour le plaisir physique des structures accrocheuses ultra-efficaces, mais Potochkine a décidément le chic pour s'emparer de notre âme.

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe