Rap, metal, indus : plus de bruit, plus de rage

Pierre Sopor 10 mars 2020

Une musique qui fait peur aux grand-parents, qui va à l'encontre des convenances et dans laquelle s'expriment parfois violemment nos émotions les plus sombres ainsi qu'une forme de poésie inhabituelle et déviante ? De la contestation, de la rage, de la provocation et quelques vilains petits canards qui font passer les autres pour des blaireaux ? Des adeptes alcoolisés aux cheveux crades qui jouent les victimes marginalisées (comme si on en avait quelque chose à foutre de l'avis - pourtant pertinent quand il dit que LORDI c'est pourri - de Michel Drucker !) mais dont les idoles remplissent des stades ? Metal et rap ont bien plus en commun que ce que les clans les plus cools du collège voulaient nous faire croire. Heureusement, en vieillissant et en se cultivant, on apprend que la musique n'a ni époque, ni nationalité, ni frontières culturelles. Ce n'est pas comme si ça faisait plus de trente ans que les deux fricotaient bruyamment !

En bons opportunistes que nous sommes, on a profité de la sortie de Carnivore de BODY COUNT (chronique) pour vous proposer quelques exemples de mélanges et d'appropriation de l'un par l'autre, et, ligne éditoriale oblige, on vous propose un peu plus que les traditionnels featurings entre AEROSMITH et RUN DMC ou ANTHRAX et PUBLIC ENNEMY, non mais.

On vous propose de découvrir quelques exemples d'hybridation et de rencontre entre les scènes metal, industrielles et hip-hop. La liste n'est pas exhaustive mais essaye naïvement d'aller parfois vers des choses que vous n'avez peut-être pas entendues déjà 50 fois et qui pourraient vous plaire, ou que vous pourriez recroiser à l'avenir.

Si on n'appuie pas tant que ça sur les moments les plus connus et indispensables du rap-metal ou du neo-metal (Epic de FAITH NO MORE, CYPRESS HILL, RAGE AGAINST THE MACHINE, etc), c'est qu'on s'est dit que vous les aviez déjà assez entendus et qu'en plus, ça ne se fait pas d'enfoncer sous la ceinture une porte ouverte déjà à terre. En revanche, on vous invite à jeter une oreille à une petite sélection faite sur Spotify qui, cette fois, mélange allégrement tout ça (sauf ce que vous ne trouverez pas sur la plateforme). Vous y trouverez en vrac ALICE COOPER, SKYND, TECH N9NE, WITHIN TEMPTATION, DÄLEK, LIMP BIZKIT, SIR MIX-A-LOT, le WU-TANG CLAN et même TRENT REZNOR. L'écoute en mode aléatoire est recommandée !

Se mélanger, oui, mais pourquoi ?

Ce n'est pas un mystère, c'est même scientifiquement prouvé : à trop rester entre soi, ça finit par faire des enfants rigolos et on appelle ça la consanguinité. C'est aussi valable en culture. Vouloir apporter plus de lourdeurs à un morceau de rap en y ajoutant des guitares, ou donner à un morceau de metal une percussion nouvelle ou plus de groove via un texte scandé sont des idées fréquentes. Le résultat peut être plus agressif, plus glauque, plus festif, au choix. Tenez, prenez ce morceau de DMX : sonnerait-il aussi poisseux sans que MARILYN MANSON vienne y poser sa voix ? NOTORIOUS B.I.G. serait-il aussi lugubre sans KORN ? Les refrains de TECH N9NE auraient-ils la même puissance mélodique ou la même intensité émotionnelle sans Serj Tankian de SYSTEM OF A DOWN et quelques guitares ?

L'avantage d'un texte rappé, c'est qu'il laisse plus de place aux mots : on peut en mettre plus, et l'auditeur apporte une attention supplémentaire aux paroles puisqu'elles sont au centre même du morceau. PUNISH YOURSELF et SONIC AREA, qui ont déjà fait des étincelles ensemble avec l'album Phenomedia notamment, se sont associés à la rappeuse B'Loon pour sortir une reprise de NOIR DÉSIR mémorable (on aurait adoré entendre ces artistes pousser la collaboration un peu plus loin) : à la plume de Cantat s'ajoute un groove et une ambiance d'apocalypse cyberpunk inédits.

Les collaborations sont nombreuses : ANTHRAX et PUBLIC ENNEMY, XZIBIT et ALICE COOPER, COREY TAYLOR et TECH N9NE, MARILYN MANSON et EMINEM... Mais le rap s'est aussi emparé du metal le temps de featurings "non officiels" via les samples dont se servent les producteurs. On connaît l'exemple de DR DRE qui recycle Aznavour sur What's the Difference ou même quelques accords de One de METALLICA sur Same Song and Dance d'EMINEM (qui a utilisé Dream On d'AEROSMITH pour un de ses plus gros hits, ou plus récemment Changes d'OZZY OSBOURNE). On a choisi de vous partager un morceau d'ILL BILL (membre de la COKA NOSTRA) à la place, parce que le bonhomme, fan de metal, est moins célèbre et son univers particulièrement sombre pourrait vous parler. Voilà ce qui se passe quand on sample Refuse/Resist de SEPULTURA.

Pas de guests, pas de samples, mais...

Il n'y a pas qu'en récupérant les morceaux des autres, voire en récupérant directement les autres, que l'on peut mélanger tout ça avec harmonie. Comme ce qui motivait BLACK SABBATH à ses débuts (composer quelque chose qui serait l'équivalent musical d'un film d'horreur), l'horrorcore va puiser son inspiration dans les péloches déviantes et inquiétantes. Un œil rapide à la programmation du Hellfest ces dernières années prouve que l'alchimie entre metal, rap et musiques industrielles et noise fonctionne. L'incroyable succès d'HO99O9 en est la preuve : ils ouvrent pour SLIPKNOT et MARILYN MANSON, font des featurings avec THE PRODIGY et 3TEETH et cassent tout sur scène. La rencontre entre hardcore, punk et rap est cependant naturelle : les musiques urbaines contestataires sont faites pour s'entendre.

Ce ne sont pas les seuls. DEATH GRIPS et GHOSTEMANE sont déjà bien connus (l'un a ouvert pour MINISTRY et l'autre sera justement au Hellfest cette année), mais du côté de Clisson vous pourriez également découvrir une curiosité made in France, CHEVALIEN. Enfin, BAXTER LILLY, regretté projet du label Audiotrauma proposait une musique écrochée et une distorsion très indus. Ces projets partagent un même goût pour les paroles hurlées qui viennent des tripes, la lourdeur et le bruit.

Si vous voulez plus sale, on peut vous recommander le turbulent KIDCRUSHER, qui mélange metal parfois extrême, horrorcore et même dubstep sur fonds de samples de série B (on y croise aussi bien Tucker & Dale que Frankenhooker).

Plus étrange, plus underground aussi, GRIIIM est un side-project de Maxime Taccardi (K.F.R.) qu'il décrirait comme un mélange de rap, de dark ambient, de noise et de black metal. On y retrouve le même univers poisseux et malsain, angoissé et viscéral que dans K.F.R. POLICHINEL, après des débuts baroques et poétiques proches du trip-hop s'est petit à petit plongé dans les ténèbres, ses chuchotements possédés se trouvant une ambiance parfois proche de l'electro-dark. Enfin, TRAÎTRE CALIN propose un résultat entre rap et noise aux textes surréalistes.

Toute cette crasse, c'est bien. Et si on danse ?

Mais oui, allez. Nous, ici, on aime les ténèbres. Pourtant le mélange entre rap et metal peut aussi être fun et coller la patate. Et plutôt que de vous partager des classiques et parce qu'on apprécie le brassage culturel, on laisse les Roumains de DIRTY SHIRT et les Indiens de BLOODYWOOD vous le prouver.

Et parfois, c'est embarassant.

Un peu comme des parents qui utilisent des hashtags à l'oral ou disent "hard rock" pour parler aussi bien de CHELSEA WOLFE que de NINE INCH NAILS, parfois, on se sent mal à l'aise. Un peu comme quand MARILYN MANSON essaye désespérément de trouver ses marques sur scène avec EMINEM (alors que le remix de The Way I Am par Danny Lohner est excellent) ou que GUANO APES, après une première partie de carrière sympathique, essaye d'avoir l'air jeune et reprenant Lose Yourself du même EMINEM sans que la pauvre Sandra Nasic ne tienne vraiment la comparaison en terme de flow.

Voilà. Il en manque, mais l'article est déjà bien assez long. On a essayé de vous proposer quelques featurings et titres changeant des habituels classiques et, surtout, de vous faire découvrir des artistes méconnus qui pourraient bien se trouver une place légitime dans votre cœur ou vos playlists. Comme on ne savait absolument pas quoi faire de ça, on vous laisse avec SNOOP DOGG qui reprend METALLICA.