Chronique | Body Count - Carnivore

Pierre Sopor 6 mars 2020

BODY COUNT a trente ans. Entre la fin des années 90 et le milieu des années 2010, la bande d'Ice-T avait quand même sacrément levé le pied. Ces dernières années, cependant, le groupe a retrouvé un second souffle presque inespéré, avec le très fun Manslaughter tout d'abord, mais surtout avec l'impressionnant Bloodlust en 2017, concentré surpuissant de rage politisée. Ice-T avait clarifié la chose en 2014 avec sa reprise d'Institutionalized : ça l'emmerderait d'être pris pour un vegan. Va donc pour Carnivore, un septième album dans lequel les Californiens continuent de nous croquer à leur sauce, forcément relevée.

Comment passer après un album aussi bien reçu que Bloodlust ? En en reprenant les ingrédients, pardi ! Sirènes anxiogènes, hurlements gutturaux, lourdeur pachydermique, texte furieux scandé par Ice-T toujours en verve : le morceau-titre a des faux airs de Civil War, qui lançait le précédent effort de BODY COUNT. On est d'emblée plongé dans l'urgence d'un album qui ne s'annonce pas plus joyeux que le précédent.

BODY COUNT a un sens du rythme qui nous accroche direct, ça envoie du très lourd, la gouaille de son turbulent leader fait le taf et le groupe semble particulièrement à l'aise avec sa notoriété retrouvée. Carnivore a ses tueries au groove magique, comme le single Bum-Rush lancé au 300 à l'heure, irrésistible, Thee Critical Beatdown et ses riffs thrash, ou cette mouture metal de Colors, morceau d'Ice-T datant de 88. Carnivore est un album laissant même la place à des émotions inhabituelles (l'hommage au rappeur Nipsey Hussle When I'm Gone avec Amy Lee d'EVANESCENCE au chant apporte une dose de mélancolie).

Pourtant, malgré l'efficacité indéniable de la chose, BODY COUNT ne surprend pas. Entre une reprise trop sage d'Ace of Spades de vous-savez-qui et une surenchère dans la lourdeur (No Remorse), le groupe en oublie peut-être de vraiment lâcher prise pour trouver une fraîcheur nouvelle. On ne leur demandait peut-être pas de réinventer leur son, mais l'ensemble manque de spontanéité et de décontraction, donnant parfois l'impression de forcer le trait en allant vers toujours plus d'agressivité et de sauvagerie. Un défaut compensé par le très cool morceau bonus 6 in Tha Morning, nouvelle reprise metal d'un vieux titre d'Ice-T.

Bien entendu, Carnivore est un rouleau compresseur. Mais dans le dosage, on aurait sûrement aimé que le rap-metal-hardcore de BODY COUNT n'oublie pas d'être un peu plus fun, un peu plus fou, sans pour autant perdre de la rage viscérale qui anime la bande. En l'occurence, l'album est une suite parfaite à Bloodlust, avec ce que ça implique de surenchère, un disque puissant, violent, rentre-dedans, jouissif et à la subtilité d'un menhir bourré à la Kro. C'est un véritable plaisir régressif, mais BODY COUNT ne peut pas réussir le coup de Bloodlust deux fois de suite et le séisme n'a, cette fois-ci, pas tout à fait le même impact.