Chronique | Ubikande - Artefact

Tanz Mitth'Laibach 30 avril 2019

Voici donc venue l'heure du premier album pour UBIKANDE ! Et chose étrange à dire, on a déjà l'impression de bien connaître l'univers de ce jeune trio originaire de Tours : en effet, le groupe a déjà sorti deux EP mêlant coldwave et musique industrielle, dont nous vous disions à quel point ils étaient intéressants ici et iciUBIKANDE reprend donc aujourd'hui ses expérimentations sur un nouveau format.

Sous cette couverture aussi bizarre et chimérique que les précédentes, on retrouve en effet ce qui nous avait plu sur les deux EP : ce style que le groupe qualifie lui-même de "heavy cold wave", empruntant au rock et au metal industriels leurs riffs de guitare répétitifs et mécaniques pour apporter leur force à l'atmosphère froide et mélancolique de la coldwave, produisant un univers implacable et désespérant comme on n'en avait plus vu depuis les débuts de CRANES. On sait le thème de l'irréel cher au groupe, il y a consacré ses deux disques précédents : cette fois-ci, l'album s'appelle donc Artefact, hommage à ce qui est fabriqué de toute pièce, ce à quoi notre imagination donne vie -un exemple qui est peut-être particulièrement éclairant quant à l'usage de ce mot en l'occurrence est le fait que Pierre Bourdieu désignait ainsi "l'opinion publique", considérant qu'on la fabriquait en cherchant à la montrer. Est-ce donc à la poursuite d'un objet imaginaire que nous entraîne UBIKANDE ? La pochette semble bien le suggérer, d'autant que les titres renvoient pour beaucoup d'entre eux à des lieux et des personnages imaginaires.

Et en fait de poursuite, on a tôt fait de se retrouver dans un labyrinthe ! Le groupe a renforcé ses mélodies, les morceaux se font plus entraînants et plus entêtants mais on se perd rapidement entre les effets de réverbération, cernés par de hauts murs de guitares saturées, la basse venant distiller son rythme lourd et angoissant en arrière-plan ; le chant de Cassandre Azama-Buxton est lui aussi plus entraînant que sur les deux EP, plus présent et varié, mais en définitive, elle aussi nous emmène nous perdre, tour à tour cri de détresse ou murmure hypnotique. L'ensemble est plus structuré que sur les deux disques précédents, mais cette structuration ne nous entraîne que plus vite nous égarer dans un monde où la répétitivité de la musique industrielle donne l'impression que tout se ressemble, engloutis par le labyrinthe dans notre quête d'un objet imaginaire, hantés.

Il semble un peu fastidieux de mettre en valeur des morceaux particuliers dans un disque aussi uni mais faisons-le tout de même, à titre d'exemples : la mélodie reptilienne de Snake, l'abandon désespéré de Guru ou la détresse de Jeriko sont ainsi de bonnes illustrations de ce que l'album nous offre.

Artefact est donc un disque puissamment immersif et inquiétant, servi par des mélodies accrocheuses qui manquaient un peu sur les disques précédents. À eux trois, le guitariste Julien Puechmaille, le bassiste Erwan Ropars et la chanteuse Cassandre Azama-Buxton mêlent froide brutalité industrielle et désespoir coldwave pour en tirer un univers musical comme on en a rarement vu d'aussi abouti. On souhaite à cet album et à UBIKANDE tout le succès qu'ils méritent.