Chronique | The Great Old Ones - EOD : A Tale of Dark Legacy

Pierre Sopor 4 février 2017

On ne compte plus les adaptations de l'oeuvre de H.P. Lovecraft, que ce soit en films, en bandes-dessinées, en jeux vidéos... Mais étant donnée la nature très particulière de ses descriptions (les horreurs sont tellement atroces que notre esprit ne peut les concevoir, démerdez-vous avec ça !), le résultat n'est pas toujours glorieux. Et ceux qui s'en sortent le mieux (si on laisse de côté les potacheries gores des films de Stuart Gordon) sont ceux qui ont réussi à saisir l'essence de ses récits, à en retranscrire l'ambiance de mystère et de folie qui s'en dégage, comme le Call of Cthulhu de 2005 façon film muet ou les comics de Mike Mignola. THE GREAT OLD ONES l'a parfaitement compris, en associant la frénésie du black metal à des nappes atmosphériques ou en se servant d'interludes narratifs. Et la musique part avec un certain avantage : n'étant pas un art visuel, notre imagination est plus largement stimulée !
EOD : A Tale of Dark Legacy est le troisième album de THE GREAT OLD ONES, et après Al Azif et Tekili-li, on peut s'amuser de ce titre, moins hermétique que les précédents. Après Le Myhte de Cthulhu et Les Montagnes Hallucinées, ils s'attaquent cette fois à la nouvelle Le Cauchemar d'Innsmouth, à laquelle cet album est une suite. Dans le récit de Lovecraft, un homme découvrait un petit port de Nouvelle Angleterre (forcément) dont les habitants étaient d'ignobles hommes-poissons (forcément, Lovecraft et son aversion pour la mer...) vouant un culte à ces bons vieux Cthulhu et Dagon. Cette dimension narrative est présente dans les premières secondes de l'album, avec Searching for R. Olmstead où quelques mots nous introduisent à Innsmouth. Et tout de suite, les choses dégénèrent avec The Shadow Over Innsmouth, où l'on a le plaisir de retrouver toute la puissance du black metal de THE GREAT OLD ONES. Trois guitares qui installent une musique aussi dense qu'un brouillard de bled côtier du Massachussetts, une batterie furieuse, des ambiances ésotériques et des changements de rythmes imprévisibles qui instaurent l'idée d'instabilité psychologique. Ouais, ça va être bien. La pause "incantation de Yog Sothoth" dans la très lourde When the Stars Align met en avant cette dimension occulte explicitée par le titre The Ritual. Cette dernière s'ouvre sur des percussions seules, que rejoignent progressivement des guitares dont les riffs muent petit à petit en quelque chose de plus pesant, avant de se lâcher totalement. Véritable grand-huit, le morceau enchaîne ensuite un passage purement black metal avant de s'offrir une pause aux frontières du shoegaze, laissant aux guitares le soin d'évoquer une menace rampante, insidieuse face à laquelle aucun espoir n'est permis. Après ce titre épique, comme pour accentuer l'impression de cap franchi, Wanderings vient servir de court interlude narratif nous donnant des nouvelles de la santé mentale de notre cher narrateur. Et les nouvelles ne sont pas bonnes, décidément Innsmouth ça a l'air pire que les Yvelines pour y passer des vacances. In Scream and Flames est une nouvelle démonstration de puissance, avec une batterie comme possédée et des guitares toujours aussi impressionnantes. L'album s'achève avec Mare Infinitum, titre à nouveau plus lent, toujours mystique, et presque mélancolique. On flirte avec le funeral doom tant le rythme est lourd et lent et tant le désespoir suinte des deux ou trois premières minutes du morceau. Si vous cherchez un accompagnement musical pour offrir votre petite soeur en sacrifice, jetez une oreille à cette fin d'album ! La conclusion est aussi épique que prévue, avec, encore une fois, des changements de rythme brutaux sur toute sa durée, et même de discrets choeurs vers la fin pour nous renvoyer à la dimension fantastique de ce qu'on écoute.
Pour cet album, THE GREAT OLD ONES a signé sur Season of Mist, et mine de rien, on l'entend. La prod est impeccable, carrée. Peut-être qu'on y perd en insanité ce qu'on y gagne en puissance... Mais ne pinaillons pas ! Le groupe français maîtrise toujours aussi bien chaque élément de sa musique, se servant à merveille des possibilités atmosphériques offertes par de discrètes nappes ou cassures de rythme pour décupler la force de leurs compositions, et donner vie à ce sentiment mystique et mystérieux qui va de pair avec la folie des écrits du plus célèbre misanthrope de la région de Boston.