L'exploration est une prise de risques. On ne sait pas ce que l'on va découvrir ni quels monstres peuvent se terrer dans l'ombres d'obscures régions inexplorées. Dans ces nouvelles aventures, le Suisse Reto Mäder (basse, synthé, effets, composition, bizarreries) est accompagné du chanteur Marko Neuman et du batteur / claviériste Jukka Rämänen. Ensemble, ces trois-là continuent d'emmener Sum of R au-delà des limites connues, mélangeant doom expérimental, krautrock, noise, metal, ambient et hallucinations pour proposer un rituel psychédélique qui, cette fois, a pour titre Spectral.
Avec un nom pareil, on peut s'attendre à quelque chose d'aussi inquiétant qu'habité et insaisissable. Avec son rythme lent et ses guitares hypnotiques, Solace dégage tout de suite un pouvoir de fascination occulte. Invité au chant, Juho « Jun-His » Vanhanen des alchimistes Oranssi Pazuzu incante. Lamentations, grognements, un son qui gonfle et gagne en ampleur et intensité : tout cela est mystérieux, opaque, passionnant, terrifiant... mais il y a un twist. Sans le savoir, nous venons tout juste d'écouter le morceau "rassurant et facile" de l'album, c'est dire si ce qui suit s'annonce tortueux !
Spectral nous place régulièrement en position d'inconfort, de malaise. Avec ses empilements de sons, de voix lointaines déshumanisées qui hantent les nappes de synthés et ses sons inarticulés, Sum of R nous plonge dans les ténèbres. La folie règne et rampe, le temps s'étire, la tension devient insoutenable avec les horreurs ambiantes d'Agglomeration (avec le bassiste George Stuart Dahlquist, ex-Sunn O))), Burning Witch et Goatsnake) ou les borborygmes délirants de Null, huit minutes de plongée hallucinée dans l'insanité parsemées de contemplations surréalistes. Plus tard, Violate nous entoure d'une nuée de spectres aux lamentations aussi grotesques qu'effrayantes, les tourments expressionnistes contenus dans le chant prenant avec la réverbération une tournure immatérielle avant que des hurlements viscéraux ne libèrent enfin tous ces fantômes dans un mouvement rageur et cathartique. Dans ce contexte irréel, le raffinement gothique du chant clair de Yusaf "Vicotnik" Parvez (Dødheimsgard) semble presque rassurant lors de Beer Cans In a Bottomless Pit, delirium tremens progressif qui nous entraîne petit à petit sur la piste d'un cirque horrifique aux danses désarticulées et sans joie.
Sum of R décrit son album comme un exorcisme. On comprend le parallèle : il y a des esprits là-dedans qui refusent de sortir et qu'il va falloir extirper dans la douleur, une multiplicité de voix à en perdre la raison. La démence se pare d'une teinte funèbre avec Waltz of Death, dont la pesanteur théâtrale et solennelle a quelque chose de sacré, ou The Solution, procession menaçante avec, à nouveau, ce parfum de funérailles. Dans ses explorations, Sum of R nous a égarés au royaume des esprits et ceux-ci sont affamés, malveillants, et rêvent de votre âme. La séance de spiritisme a mal tourné et les forces invoquées ne seront pas faciles à apprivoiser : Spectral est à nouveau une œuvre singulière, passionnante, remplie de noirceur, de moments de pure terreur mais aussi quelques rares respirations contemplatives. Frottez vous-y avec prudence car voilà le genre de rituel qui nous fait ramener d'anciennes entités oubliées et innommables à la maison !