Chronique | ohGr - Tricks

Pierre Sopor 21 juin 2018

Annoncé un an plus tôt, le cinquième album de ohGr a dû passer par la case du financement participatif pour exister. Tricks est un disque auto-produit, une façon de faire dont l'idée a peut-être germé dans le cerveau malade de Nivek Ogre à l'époque des problèmes rencontrés par SKINNY PUPPY à la fin des années 2000 avec le label SPV. Sept ans se sont écoulés depuis Undeveloped et il était grand temps de retrouver l'univers décalé et déviant du canadien, dont les derniers signes de vie en studio remontent à 2013 et l'album Weapon de SKINNY PUPPY.

 L'identité de ohGr a pas mal été chamboulée au cours de la décennie passée, insaisissable et mutante. Après le tortueux et psychédélique Devils in my Details, Undeveloped renouait avec un son plus catchy mais, comme son nom le laissait entendre, donnait parfois l'impression d'être né de pistes abandonnées par SKINNY PUPPY, avec ce sens du refrain irrésistible et inoubliable en plus qui rendait le tout plus pop. Avec son artwork surchargé aux airs de cartoon glauque sous acide et ses titres aux typographies anarchiques, Tricks s'approche en apparence plus de la première partie de carrière de ohGr, à l'époque de Welt et SunnyPsyOp. Un constat qui s'applique également rapidement au son : Tricks revient à une forme de simplicité et d'efficacité, un son pop et plus dénué. Pourtant, FreAky est une entrée en matière anxiogène et menaçante. Impossible de résister au plaisir de retrouver sa voix nasillarde et robotique alors qu'il se met dans les bottes d'un bonimenteur d'entresort nous invitant dans son univers dément. Le thème derrière Tricks ? Des tours et illusions de trickster facétieux et imprévisible, rôle dans lequel on imagine facilement Nivek Ogre ? Indéniablement, oui, mais son producteur et ami Mark Walk et lui semblent avoir été tout autant inspirés par les "tours" que peuvent prendre certaines argumentations pour détourner la vérité. ohGr se met à la politique ? Pas ouvertement, non, mais ne se ferme pas à l'air du temps.

La musique, elle, garde cet aspect pop et accessible où la folie de son auteur s'exprime dans une relative douceur. Les lignes de chant guident les boites à rythme et synthés aux sonorités parfois étrangement retro (le début de LYe, par exemple) dans cet univers agréablement tordu, facile à aborder, laissant place à une certaine théâtralité, toujours. Le ton est parfois enjoué, parfois mélancolique. Moins chargé que pouvait l'être Undeveloped, Tricks n'en a pas toujours l'ampleur mais revient à un son plus direct, moins expérimental. On n'échappe pas à certains passages trop lisses, à la frontière du niais (les refrains de Tricks, ou encore MudDle) mais l'album regorge aussi de pépites. Entre le roller-coaster flippant FreAky, dUe they kNow et ses forts airs de SKINNY PUPPY, admettons-le, ou des hits en puissance comme BlowBy ou Mind made goD, Tricks propose son lot de moments mémorables, sans ne jamais se départir de son groove et de petits détails l'enrichissant et en faisant une oeuvre singulière. 

Après plusieurs écoutes, impossible de ne pas être partagé : une petite voix un peu pénible et grinçante ne peut s'empêcher de nous faire croire qu'on en attendait peut-être plus : plus d'essais, plus d'expérimentations, plus de surprises. La promo cryptique de l'album au cours des derniers mois avait tant fait monter la sauce... Et pourtant, le plaisir de retrouver ohGr et de l'entendre faire du ohGr est réel et sincère. L'album est peut-être plus modeste que ce qu'on imaginait, il n'en est pas moins abouti. Tricks passera en boucle dans les semaines à venir, soyez-en sûr.