Chronique | Moonspell - 1755

Pierre Sopor 1 décembre 2017

Il y a des catastrophes qui marquent durablement l'histoire d'une ville ou d'un pays. Londres a eu son grand incendie en 1666, et à peine un siècle plus tard Lisbonne était détruite par un tremblement de terre et un tsunami qui décimaient la population en faisant près de 100000 morts, bouleversant jusqu'au mode de pensée très catholique de la population. C'était en 1755, et cette tragédie sert de cadre au nouvel album de MOONSPELL, le plus célèbre des groupes de metal portugais.

Avec le merveilleux Extinct (chronique) sorti deux ans plus tôt, la bande de Fernando Ribeiro s'était aventurée vers des terres musicales plus apaisées, où des mélodies presque pop et le chant clair et chaud du frontman flirtaient avec un son plus proche des SISTERS OF MERCY que du metal extrême souvent titillé par les portugais, ajoutant à leur son une dimension orchestrale. Avant même de se pencher sur l'orientation musicale de 1755, la première chose que l'on remarque est que l'album est chanté en portugais du début à la fin, une première pour le groupe et un choix qu'on ne peut que saluer. Avec un événement majeur de l'histoire du Portugal pour sujet, il était donc nécessaire et logique que Ribeiro opte pour sa langue natale et cela contribue d'ailleurs à établir l'univers de 1755 de manière cohérente. Souhaitons juste à MOONSPELL que ce choix, loin de standards commerciaux, ne soit pas un frein à la diffusion de l'album à l'international, le grand public n'étant pas habitué à la langue des lusitaniens (mais les succès de certains groupes scandinaves ou de certains teutons devraient les rassurer).

Si vous êtes familiers de la discographie de MOONSPELL, le début de 1755 devrait vous interpeller puisqu'il s'agit d'une reprise de Em Nome de Medo, un titre présent sur l'album Alpha Noir. L'introduction est magistrale, avec toujours cette dimension orchestrale qui rend tout plus théâtral avec notamment ces chœurs scandant les premiers vers tel une prière désespérée. Lorsque Ribeiro prend la parole, son verbe est rageur et plus aucune trace de clarté ne subsiste dans son chant, son growl étant justifié par l'ampleur du sujet et la désolation qu'il évoque. Le décor est planté : 1755 sera un album exubérant et ambitieux dont les dimensions historiques, culturelles et épiques sont soulignées par des rythmiques lourdes et l'orchestration qui apportent à MOONSPELL une puissance et une emphase à la SEPTICFLESH. L'auditeur est tétanisé, tenu en haleine par une telle intensité d'entrée. Une intensité loin de faiblir avec le morceau titre et son intro dont le son de basse rappelle si fort TOOL (même constat plus tard au début d'Evento et sa rythmique très carrée) . 1755 est un album concept qui raconte l'errance d'un narrateur dans les rues dévastées de Lisbonne, ce qu'il y voit, les gens qu'il y croise et les évolutions de mentalité qu'il y constate. Le lien culturel avec le Portugal est encore renforcé sur In Tremor Dei avec la participation de Paulo Bragança, un chanteur de fado. MOONSPELL gagne en théâtralité et en background, laissant en retrait ses tendances gothiques mises en avant sur Extinct pour proposer un son neuf et surprenant.

Avec 1755, MOONSPELL réussit à proposer un album riche, qui fuit à la fois la facilité de la répétition et celle de l'uniformisation culturelle. C'est puissant, érudit, efficace, passionnant et beau en plus de mettre en avant les racines du groupe.